En France, le secteur du bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie, utilisant chaque année 70 millions de tonnes équivalent pétrole (soit 43 % de l’énergie finale totale). Cette énergie consommée entraîne l’émission de 120 millions de tonnes de CO2 représentant 25 % des émissions nationales et 32,7 millions de tonnes de carbone. Le gouvernement souhaite, à l’horizon 2020, réduire de 38 % cette consommation en intervenant notamment en faveur de la réhabilitation de 3 millions de logements privés. Les réductions de consommations d’énergie dans ce secteur devraient permettre de répondre aux engagements nationaux de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre et de s’affranchir davantage de la dépendance aux énergies fossiles, ressources épuisables par définition. Le Grenelle de l’environnement est, dans ce contexte, un des actes fondateurs de l’évolution actuelle des réglementations et des financements publics pour la réalisation de travaux de maîtrise des énergies : création du crédit d’impôt, nouvelles modalités d’octroi des subventions de l’ANAH (Agence nationale de l’habitat), création des éco-primes et des éco-prêts à taux zéro. Mais, en initiant un plan global de rénovation du parc des habitations occupées, le Grenelle de l’environnement a aussi mis en lumière la situation difficile de millions de familles.
Qu’est-ce que la précarité énergétique ?
Plusieurs conceptions de la précarité énergétique coexistent. Hormis la Grande-Bretagne, qui a très strictement défini la notion (définition entendue sous l’aspect financier : plus de 10 % des ressources du ménage affectées au paiement des factures énergétiques), pour la plupart des États membres de l’Union Européenne, la précarité énergétique est rarement déterminée de façon scientifique et/ou pragmatique. L’absence de définition officielle rend ainsi la précarité énergétique difficile à quantifier, à qualifier et à traiter. Seules des orientations en matière de réglementation thermique sont posées, via la Directive 2002/91/CE [1] sur les exigences en matière de performances énergétiques des bâtiments.
Toutefois, la précarité énergétique combine en général trois dimensions : la situation sociale et économique d’un ménage (conjoncturelle ou structurelle) ; l’état de son logement ; la qualité thermique du logement et sa fourniture d’énergie (accès, coût, qualité), dans un contexte de crise du logement.
La précarité énergétique concerne celui qui connaît une vulnérabilité sociale, économique et environnementale qui l’empêche de se chauffer convenablement et/ou de payer ses factures d’énergie. Une définition empirique plus large estime que toute personne dans l’incapacité chronique de garder une température convenable dans son logement souffre de précarité énergétique. Selon EDF et le ministère de l’Écologie, se sont 3,4 millions de personnes qui souffriraient de la précarité énergétique en France. 62 % sont propriétaires de leur logement.
Un programme expérimental de lutte contre la précarité énergétique
Établissement public administratif spécialisé dans le domaine de l’habitat privé, l’ANAH a proposé l’expérimentation de nouveaux outils dans le domaine de la précarité énergétique par le biais de Programmes d’intérêt général (PIG). Une expérimentation est menée en ce moment sur quatre départements : la Seine-Saint-Denis, la Moselle, le Lot-et-Garonne, la Haute-Loire. Le PIG Précarité énergétique procède d’une démarche expérimentale visant à identifier les leviers – techniques, sociaux et financiers – permettant à la fois de garantir la bonne application des réglementations thermiques et de travailler sur la résorption de la précarité énergétique des ménages.
À mi-parcours, ce programme montre déjà ses limites dans sa capacité à venir en aide aux ménages les plus en difficultés. La solvabilisation des propriétaires occupants est un des écueils majeurs de ce dispositif. En effet, le plafonnement des subventions limite la prise en charge de l’aide publique et occasionne un phasage des travaux ne permettant pas d’actionner tous les leviers financiers (notamment l’éco-prime). Sur le front du parc locatif privé, un nombre important de logements énergivores sont détenus par des propriétaires bailleurs ne possédant qu’un ou deux logements. Les dispositifs de dégrèvement fiscaux ne sont pas bien adaptés à ce type de propriétaire bailleur. D’autre part, l’obtention des aides de l’ANAH est conditionnée par le conventionnement des loyers. Dans un département au marché locatif tendu comme la Seine-Saint-Denis, le montant imposé du prix au mètre carré n’est pas avantageux pour les propriétaires. Ces phénomènes conjoints rendent l’impact du PIG quasiment nul pour les locataires en situation de précarité.
Malgré ces résultats en demi-teinte, le principe de cette expérimentation vient de s’étendre au territoire national. La loi du 9 mars 2010 (loi de finance rectificative) a créé le programme « Rénovation thermique des logements ». À sa suite, un Fonds national d’aide à la rénovation thermique (FART) des logements privés a été constitué pour permettre à des propriétaires modestes de mener à bien des réhabilitations thermiques. La mise en place du FART valide également une démarche multi-partenariale (mais également multithématique et multi-entrées). La tenue de « tables rondes » de la précarité énergétique, sous la responsabilité du Préfet, permettra d’établir les modalités de partenariat et de synergies entre tous les acteurs et référents locaux.
Des besoins d’évaluation à différents niveaux
Comme le soulignent les représentants nationaux de l’ANAH, « ce programme est à visée expérimentale. Il permet de valider des outils dans la perspective de politiques générales ». Une évaluation plus large est donc indispensable. À l’issue d’une période plus longue d’exercice du dispositif, une recherche de l’impact sur les objectifs gouvernementaux en matière de développement durable pourrait être envisagée. En effet, ce dispositif se trouve au cœur d’une politique plus globale instaurée par les lois Grenelle de l’environnement. Une analyse des Diagnostics de performance énergétique (DPE) pré-travaux et post-travaux financés par le programme permettrait une étude de l’impact environnemental des réalisations thermiques.
Une autre vision plus économique s’attacherait à l’effet que peut avoir ce type de programme sur la croissance. Le discours politique et médiatique de ces derniers mois met l’accent sur la volonté de créer une « croissance verte ». Cette croissance peut être définie par les bénéfices dégagés par les entreprises travaillant dans les secteurs des énergies renouvelables et des matériaux ayant une empreinte écologique faible. Ainsi, nous pouvons nous demander dans quelle mesure la lutte contre la précarité énergétique favorise la croissance verte préconisée par le Plan de relance de l’économie française. Nous n’avons aujourd’hui pas le recul nécessaire pour répondre à ces questions. Mais il est certain qu’elles définissent un des enjeux principaux de la poursuite d’une politique volontariste en faveur des ménages en situation de précarité énergétique.