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L’est parisien, un territoire sans qualité ?

L’est parisien est une partie méconnue de l’Île-de-France. L’analyse des trajectoires résidentielles des habitants venus s’installer à Serris et à Fontenay-sous-Bois montre les connexions entre les espaces de cette partie du territoire francilien, mais aussi les ancrages locaux et l’attachement aux lieux de vie. S’installer dans l’est parisien répond au pouvoir d’attraction de territoires qu’il convient de considérer autrement que dans la dépendance à Paris.

« Ni Paris, ni province », « ni très riche, ni trop pauvre », « ni totalement urbain et plus entièrement rural »… l’est parisien, allant des arrondissements centraux de Paris à la ville nouvelle de Marne-la-Vallée est moins connu et étudié que l’ouest bourgeois et le nord plus populaire de Paris. Cet espace est souvent réduit à l’univers de Disneyland, à la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, ou encore à quelques quartiers fermés construits par de grands promoteurs immobiliers (à Magny-le-Hongre ou encore Bussy-Saint-Georges). Ces représentations tendent à occulter l’extrême hétérogénéité de cet espace, tant sur le plan urbanistique que social.

Composé de bourgs anciens et d’extensions récentes, avec ses poches de pauvreté et de richesse, ses habitants aux trajectoires diverses, l’est parisien prend forme au jour le jour. Cet espace, comme le montrent les résultats d’une recherche récente [1], présente une cohérence propre qui invite à l’envisager autrement que dans sa seule dépendance au centre de Paris. L’analyse des trajectoires résidentielles et des ancrages locaux invite, en effet, à reconsidérer cet est parisien qui fait désormais territoire.

Note méthodologique

Nous présentons ici les résultats de l’enquête Habest portant sur 275 ménages et 16 quartiers répartis dans 12 communes et qui s’est déroulée en avril 2012. Des typologies croisant les caractéristiques sociales (Clerval et Delage 2014) et celles du logement et la morphologie urbaine des IRIS [2] ont permis de dégager six types de terrain et, parmi eux, seize quartiers où ont été passés les questionnaires (Figure 1) :

  • Type parisien : 20e arrondissement (autour de la rue d’Avron), Montreuil (centre) ;
  • Type banlieue aisée : Saint-Maur-des-Fossés (centre ancien), Bussy-Saint-Georges (centre) ;
  • Type banlieue très populaire : Noisy-le-Grand (le Pavé Neuf), Champigny-sur-Marne et Chennevières-sur-Marne (le Bois l’Abbé), Créteil (le Mont Mesly) ;
  • Type banlieue populaire : Créteil (le Port), Fontenay-sous-Bois (les Larris), Noisiel (le Luzard) ;
  • Type moyen : Serris (Val d’Europe et centre ancien), Pomponne (les Cornouillers) ;
  • Type rural périurbain : Ozoir-la-Ferrière (domaine d’Armainvilliers), Claye-Souilly (centre et Mauperthuis).

Le questionnaire en lui-même comportait plusieurs volets, s’intéressant au logement, à la trajectoire résidentielle des individus, aux mobilités quotidiennes, mais aussi aux ancrages et aux représentations de l’espace vécu des habitants interrogés. Cette dernière partie, plus qualitative, a donné lieu à des questions ouvertes.

Figure 1. Seize terrains d’enquête dans l’est parisien

S’installer dans l’est parisien : des trajectoires de proche en proche

Depuis la fin des années 1990, l’est parisien est marqué par une légère croissance démographique. La variation annuelle moyenne de la population entre 1999 et 2008 est de 1 % pour la Seine-et-Marne, 0,9 % pour la Seine-Saint-Denis, 0,7 % pour le Val-de-Marne et 0,5 % pour Paris. Elle s’explique, certes, par un solde naturel qui se maintient, mais aussi par les parcours résidentiels de populations qui, s’ils n’indiquent pas d’augmentation significative, modifient pour partie la géographie sociale de cet espace (APUR 2012). Nous proposons d’illustrer cette dynamique à partir de l’exemple de deux communes ayant un profil social proche de celui de l’ensemble de la métropole parisienne (Clerval et Delage 2014) : Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne et donc la petite couronne de la métropole parisienne ; et Serris, aux limites de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Les parcours résidentiels des habitants illustrent les ressorts des choix pour emménager « au-delà du périphérique », et même des « banlieues ».

Les parcours résidentiels des nouveaux habitants de ces deux communes se font principalement dans la proximité [3]. La commune de Serris a connu une très forte hausse de sa population (+ 207 % entre 1999 et 2008), surtout due à l’arrivée de nouveaux résidents : 58 % des habitants n’y résidaient pas en 2003, cette réalité n’étant pas compensée par des départs de la commune. Ces nouveaux résidents viennent essentiellement des communes proches (Bailly-Romainvilliers, Bussy-Saint-Georges, Torcy, Noisy-le-Grand), mais aussi des grands pôles de Seine-et-Marne (comme Meaux). Le pouvoir d’attraction de Serris sur les ménages s’exerce dans un rayon de 15 kilomètres environ, au sein duquel ces communes de l’est sont autant de relais et marquent des étapes dans les parcours résidentiels des nouveaux habitants. Ces parcours se font dans un périmètre restreint. Ils renforcent les pratiques spatiales locales et permettent le maintien de liens sociaux entre les communes, donnant ainsi de la cohérence à l’est parisien.

Figure 2. Communes d’origine des nouveaux résidents de Serris

Fontenay-sous-Bois présente des caractéristiques proches, avec toutefois une moins forte arrivée de population extérieure (23 % des habitants n’y résidaient pas en 2003) : les nouveaux arrivants viennent de Paris pour 21 % d’entre eux, puis de la petite couronne, en particulier de Vincennes et de Montreuil. Ces nouveaux habitants proviennent d’un espace plus resserré autour du centre de la métropole parisienne. Ces parcours résidentiels donnent à voir la constitution d’un espace migratoire suivant un secteur est, accréditant l’idée d’un ancrage dans l’est des ménages qui déménagent de proche en proche.

Figure 3. Origine géographique des nouveaux habitants ayant emménagé à Fontenay-sous-Bois

En termes de catégories socioprofessionnelles, le profil de ces nouveaux habitants de l’est parisien diffère de celui des anciens habitants. Alors que la géographie de l’Île-de-France est déjà marquée par le renforcement et la progression spatiale des « cadres et professions intellectuelles supérieures » (APUR 2012), les parcours résidentiels contribuent à renforcer la présence des cadres et, de manière moins marquée, des professions intermédiaires, au sein d’espaces où ils n’étaient auparavant pas majoritaires. Ainsi, à Fontenay-sous-Bois, les cadres et professions intellectuelles supérieures sont plus nombreux, en proportion, parmi les ménages entrants que parmi les ménages déjà présents (30 % vs 15 %). Cela s’explique par la dynamique d’embourgeoisement généralisée que connaît l’Île-de-France, en lien avec les prix du foncier, les transports et les politiques de rénovation urbaine. La commune de Serris, quant à elle, présente une configuration différente, en défaveur des cadres, mais avec des proportions plus élevées d’employés parmi les entrants que parmi les populations déjà là (32 % vs 18 %). Ces deux exemples mettent en avant des espaces de renforcement et d’attraction des cadres et un éloignement des parcours résidentiels des employés.

Ces changements interrogent les choix résidentiels des nouveaux arrivants. Si les ressorts des déménagements sont nombreux, qu’ils soient professionnels (Baccaini 1992 ; Gobillon 2001), familiaux (Bonvalet 1990), liés à un projet résidentiel (Driant 2014) ou propres à des cycles démographiques (Cribier 1992), il semble que nos deux cas d’étude montrent des évolutions souvent liées au marché de l’emploi ou à l’accès à la propriété. À Fontenay-sous-Bois, on observe majoritairement des mobilités résidentielles de ménages d’actifs (65 %) à destination du parc locatif privé (39 % des nouveaux habitants font ce choix résidentiel), puis des mobilités liées à l’accès à la propriété (31 % des nouveaux arrivants y ont acheté leur logement). À Serris, les mobilités résidentielles des nouveaux habitants se composent à une écrasante majorité de ménages d’actifs (85 %), à destination du parc locatif privé (33 %), de meublés (30 %) puis de la propriété privée (26 %). Les parcours résidentiels dans ce périurbain lointain renverraient ainsi plus à des logiques d’accès à l’emploi, favorisé en particulier par la Walt Disney Company, qu’à des logiques d’accession à la propriété pure et simple.

S’ancrer dans l’est parisien pour faire territoire

Qu’il renvoie à l’identification au quartier ou à l’expression d’un attachement à la commune, l’ancrage des habitants à l’échelle du quartier, de la commune et plus largement de l’est parisien a été bien étudié dans le cas de Marne-la-Vallée, permettant de distinguer les anciens habitants (les « autochtones ») des nouveaux arrivants (Imbert 2005 ; Brevet 2011). Les années passant et la ville nouvelle vieillissant, ce n’est pas tant la durée de l’implantation qui joue sur cet ancrage que l’environnement dans lequel les habitants s’inscrivent. La notion est fort utile pour comprendre l’évolution du Val d’Europe, dernier secteur de la ville nouvelle, particulièrement jeune, tant en termes d’âge de la population que du bâti (le Val d’Europe vient de célébrer ses 20 ans). À 35 kilomètres de Paris, là où est implanté Disneyland, les grues s’affairent quotidiennement, respectant les principes du « New Urbanism » prônés par la Walt Disney Company : déplacements piétonniers, architecture (néo-)traditionnelle et dense (Picon et Orillard 2012). Notre enquête montre que deux catégories d’individus se croisent et vivent sans forcément échanger dans deux espaces bien distincts : le centre-bourg, qui correspond au vieux noyau urbain, se distingue du centre urbain récent, localisé près du RER et du centre commercial. Dans ce centre urbain, les façades proprettes des immeubles bien entretenus et surveillés occultent souvent de petits logements loués. Y résident des habitants jeunes, arrivés récemment, relevant des catégories socio-professionnelles ouvriers et employés, aux statuts souvent précaires liés à leur contrat de travail (CDD ou intérim). Ces derniers reconnaissent n’être là que de passage, pour profiter du bassin d’emplois qu’offrent le parc d’attraction et les activités afférentes, sans être, pour autant, au fait de la vie municipale. Les entretiens mettent en évidence des appréciations différenciées de ces habitants sur leur espace de vie. Si certains déclarent apprécier le lieu pour son « calme », le caractère « vert » des espaces, la « tranquillité », d’autres se montrent plus critiques envers cet espace jugé « ennuyeux », et un environnement « trop bétonné ».

À l’opposé, dans le centre-bourg de Serris résident beaucoup de couples avec enfants, arrivés depuis une quinzaine d’années, souvent dans le cadre d’un parcours résidentiel au sein de l’est parisien ayant abouti à l’achat d’un pavillon avec jardin. Les entretiens menés révèlent un sentiment partagé de vivre dans un endroit privilégié. Plusieurs habitants se réjouissent de l’absence de délinquance : « c’est la sécurité, c’est pas la zone », « y a pas d’histoires ». Les discours valorisent la qualité des relations de voisinage : « une bonne ambiance de quartier car beaucoup ont emménagé en même temps, les enfants y ont grandi », « ici le voisinage est sympathique », propos qui rappellent ceux relevés à Gonesse par les auteurs de La France des « petits-moyens » (Cartier et al. 2008). Les habitants sont bien informés de la politique municipale, qu’ils apprécient en général, certains propos recueillis soulignant la volonté du maire de préserver le caractère de Serris malgré l’influence de Disneyland : « il fait plein de choses pour les jeunes et les personnes âgées ».

Cependant, cette analyse ne peut se réduire à la construction d’un schéma simpliste opposant « pavillonnaires » propriétaires et classes populaires locataires et précarisées. En effet, les disparités sont fortes, dans et entre des communes parfois voisines. À quelques encablures du grand centre commercial du Val d’Europe et du parking de Disneyland qui accueille chaque année 16 millions de visiteurs, la commune de Jossigny (qui jouxte celle de Serris), cultive son cadre champêtre avec ses 643 habitants. Ces derniers en sont les ardents défenseurs, comme le soulignent les témoignages relevés : « on ne veut pas de ces hordes de fauves amenés par le RER », « si cela grossit, on déménagera plus à la campagne », « nous avons choisi Jossigny car c’est un petit village qui n’a pas “explosé” comme les autres ». Les allures de dernier village gaulois, mis en avant par certains habitants de Jossigny qui disent « résister », se construisent dans la défiance à Disneyland et dans le rejet du modèle d’urbanisation suivi par les communes voisines. Toutefois, les pratiques de mobilités résidentielles des habitants nuancent quelque peu les prises de position collectées çà et là (les habitants rencontrés, tout en prétendant le rejeter, fréquentent, eux aussi, le centre commercial). Ainsi, les habitants de cet est parisien évoluent dans un environnement relativement proche, dans lequel le centre de Paris ne figure pas forcément et articulent ces différents espaces constitutifs pour en faire un même bassin de vie.

Reconsidérer la mosaïque sociale de l’est parisien

Les disparités et inégalités de cet est parisien tendent actuellement à s’accentuer. Alors que les grands ensembles des premiers secteurs de la ville nouvelle sont (déjà) en phase de rénovation/réhabilitation (ANRU au Pavé Neuf à Noisy-le-Grand, EPAMARNE à l’Arche Guédon à Torcy), le dernier secteur du Val d’Europe voit surgir de terre des complexes résidentiels destinés à des populations plus aisées. De véritables frontières socio-spatiales se dessinent, allant même jusqu’à se matérialiser – le quartier du Golf à Bussy-Saint-Georges en serait l’exemple-type (Saint-Julien et Le Goix 2007) – par des processus de fermeture, de résidentialisation et de clubbisation (Charmes 2011). Si ces phénomènes sont réels, ils ne sauraient, cependant, être généralisés. À l’instar de ce qui a pu être mis en évidence dans d’autres espaces périurbains, de l’Ouest de la France (Dodier 2012 ; Berger 2013) ou de la région parisienne (Charmes et al. 2013), les habitants de l’est parisien ne cultivent ni plus ni moins l’entre soi qu’ailleurs. Leurs espaces de vie ne sont nullement hermétiques et ne sauraient être envisagés comme celui de la « France du repli ». Ce serait passer sous silence la résistance à la fermeture dont témoignent certains habitants et élus, comme ceux de Magny-le-Hongre, qui se sont battus contre les promoteurs immobiliers (notamment Kaufman & Broad) qui livrent des quartiers résidentiels fermés ou des bâtiments surprotégés avec caméras et doubles sas d’accès. Ce serait oublier la difficulté à gérer un territoire si hétérogène avec des acteurs aux aspirations différentes, des habitants aux trajectoires et profils socio-économiques divers. Ce serait faire abstraction de la forte pression foncière qui affecte cet espace. Ce serait enfin ne pas voir que les habitants qui constituent cette mosaïque sociale apprécient et valorisent ce territoire, qui n’est certainement pas un est parisien sans qualité. Cette reconnaissance territoriale témoigne peut-être de la capacité de « l’est » anciennement populaire à « co-produire de l’espace » à partir d’un fort volontarisme de l’État, mais également à « faire territoire » en dehors de lui, à travers notamment les pratiques spatiales de ses habitants.

Bibliographie

  • APUR. 2012. Les migrations résidentielles dans le cœur de l’agglomération parisienne.
  • Baccaini, Brigitte. 1992. « Mobilité géographique, distances de migration et mobilité professionnelle en France », in Eva Lelievre et Claire Lévy-Vroelant (dir.), La Ville en mouvement : habitat et habitants, Paris : L’Harmattan.
  • Berger, Martine. 2013. « Entre mobilités et ancrages : faire territoire dans le périurbain », Métropolitiques, 11 janvier.
  • Bonvalet, Catherine. 1990. « Accession à la propriété et cycle de vie », in Catherine Bonvalet et Anne-Marie Fribourg (dir.), Stratégies résidentielles (Paris, 1988), Paris : INED/Plan Construction et Architecture, p. 129‑137.
  • Brevet, Nathalie. 2011. Le(s) Bassin(s) de vie de Marne-la-Vallée. Une politique d’aménagement à l’épreuve du temps et des habitants, Paris : L’Harmattan.
  • Cartier, Marie, Coutant, Isabelle, Masclet, Olivier et Siblot, Yasmine. 2008. La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris : La Découverte.
  • Charmes, Éric. 2011. La Ville émiettée. Essai sur la clubbisation de la vie urbaine, Paris : Presses universitaires de France.
  • Charmes, Éric, Launay, Lydie et Vermeersch, Stéphanie, 2013. « Le périurbain, France du repli ? », La Vie des idées, 28 mai.
  • Cribier, Françoise. 1992. « La cohabitation à l’époque de la retraite », Sociétés contemporaines, n° 10, p. 67‑91.
  • Dodier, Rodolphe. 2012. Habiter les espaces périurbains, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
  • Driant, Jean-Claude. 2014. « Les choix résidentiels des ménages face à la crise », in Sylvie Fol, Yoan Miot et Cécile Vignal (dir.), Mobilités résidentielles, territoires et politiques publiques, Lille : Presses du Septentrion.
  • Gobillon, Laurent. 2001. « Emploi, logement et mobilité résidentielle », Économie et Statistique, n° 349‑350, p. 77‑98.
  • Imbert, Christophe. 2005. « Ancrage et proximités familiales dans les villes nouvelles franciliennes : une approche comparative », Espaces et Sociétés, no 119, p. 159‑176.
  • Picon, Antoine et Orillard, Clément. 2012. De la ville nouvelle à la ville durable : Marne-la-Vallée, Marseille : Parenthèses.
  • Saint-Julien, Thérèse et Le Goix, Renaud (dir.). 2007. La Métropole parisienne, centralités, inégalités, proximités, Paris : Belin.

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Pour citer cet article :

Matthieu Delage & Armelle Choplin, « L’est parisien, un territoire sans qualité ? », Métropolitiques, 10 septembre 2014. URL : https://metropolitiques.eu/L-est-parisien-un-territoire-sans-qualite.html

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