Cet article a pour objectif d’étudier les dynamiques des mobilités des Français·es et des Parisien·nes, entre mars 2020 et septembre 2022, afin de décrypter les potentielles recompositions territoriales qui les accompagnent [1]. La recherche s’appuie sur des données inédites rarement convoquées dans la littérature scientifique. Elles sont issues de la base de données Meta Data for Good, produite par Facebook, et permettent de capter l’évolution des mobilités de millions d’individus dans le monde, dès lors que l’application Facebook est installée sur leur smartphone. Pour la France, ces données couvrent les mobilités de 10 % environ de la population présente sur le territoire. En renseignant la localisation des utilisateurs de Facebook de plus de 18 ans toutes les huit heures, ces données rendent possible la mesure de la présence de ces utilisateurs dans un espace donné ainsi que de leurs déplacements à différentes échelles territoriales [2].
Questionner le fantasme de l’exode urbain
La pandémie du Covid-19 a conduit la plupart des pays à mettre en place des mesures de prévention, notamment de confinement et de distanciation physique des individus. En France, l’annonce des restrictions à la mobilité, le 12 mars 2020, aurait suscité des déplacements extraordinaires d’individus souhaitant passer le confinement hors de leur lieu de résidence [3].
La plupart des travaux sur les liens entre les mobilités et la crise sanitaire du Covid-19 ont porté sur les échelles internationale et nationale. Or, la diffusion des virus s’apprécie mieux à des échelles territoriales plus fines, comme celle des communes, localités ou villes (Telle 2015), mais le manque de données à de telles échelles rend les investigations plus difficiles. Par ailleurs, rares sont les travaux qui mobilisent des données de mobilités mesurant la présence effective de populations sur un territoire donné (Shepherd et al. 2021) pour étudier les effets des crises sanitaires. En effet, la plupart des recherches se concentrent sur des données plus classiques de mobilités résidentielles (Bouba-Olga et Fouqueray 2022). En analysant les mobilités réalisées quotidiennement en France, notamment à Paris et en Île-de-France, nous souhaitons revisiter l’impact de la turbulence de la mobilité qui a secoué la France en mars 2020. À cette fin, les deux types de données fournis par la plateforme Facebook Data for Good sont utilisés, de présence et de déplacement des individus : le nombre d’utilisateurs par commune (soit des stocks, à différents pas de temps) et le nombre d’individus se déplaçant d’un lieu à un autre (soit des flux d’utilisateurs entre deux lieux – commune ou département –, à partir de la localisation effective des utilisateurs, lors de leurs différents déplacements [4]). Ces données sont appréhendées à différentes périodes : une période de référence (6-10 mars), juste avant l’annonce du confinement ; une période dite de préconfinement, où le confinement est annoncé (13-17 mars) pour étudier les données de flux, soit les mobilités des utilisateurs pour s’y préparer ; une période de confinement (18-25 mars), pour analyser les stocks d’utilisateurs après réalisation des mobilités qui l’anticipaient ; enfin, une période estivale (29 juillet-2 août), qui permet de mettre en perspective la situation liée au premier confinement.
La géographie des utilisateurs lors du premier confinement : des centres-villes évités au profit des espaces touristiques ?
Fin mars 2020, le confinement décrété, les données Facebook montrent que les plus grandes villes françaises ont perdu une part non négligeable de leur population présente (tableau 1 et carte 1) : entre 20 et 35 % à Paris, Lyon, Toulouse, à l’exception de Marseille où celle-ci reste stable. À l’inverse, les littoraux (Manche, façade atlantique et Méditerranée) ont connu un fort accroissement de la population présente : des destinations traditionnellement prisées des vacanciers estivaux, comme le Cap Ferret, Tourgéville et Ploulec’h ont attiré entre 24 et 43 % d’individus en plus par rapport à la période de référence. En revanche, très peu d’individus se sont rendus dans les départements de Saône-et-Loire, des Deux-Sèvres et de Haute-Vienne, réfutant l’hypothèse d’une attractivité rurale indifférenciée (Pistre 2015). En somme, les accroissements localisés de population s’expliquent par l’arrivée d’individus dans des territoires déjà attractifs tant en termes de mobilités résidentielles que touristiques. En revanche, les diminutions de la population présente dans les villes relèvent d’une multitude de facteurs rendant leur interprétation beaucoup plus complexe. L’absence de touristes étrangers et la forte baisse des navetteurs des périphéries vers les centres se combinent aux mobilités sortantes pour expliquer la diminution des populations dans le cœur des villes durant le confinement.
* Sélectionnées parmi celles qui comptent le plus grand nombre d’utilisateurs ou qui recensent les accroissements d’utilisateurs les plus significatifs.
Source : Data for Good @Meta.
Source : Data for Good @Meta © L. Chalonge-Géographie-cités.
Afin de dépasser le fantasme d’une ville se vidant au profit des campagnes françaises, et y favorisant une transmission du virus, effectuons un focus sur Paris et sa dynamique mobilitaire aux échelles nationale et régionale. Lors de la période de référence, les mobilités depuis Paris étaient à 95 % dirigées vers le reste de l’Île-de-France et à 5 % vers le reste de la France (tableau 2). Ce ratio est resté identique pendant les jours précédant le confinement : il n’y a donc pas eu de bouleversement massif de la ventilation des flux parisiens. Par ailleurs, le nombre de déplacements depuis Paris vers le reste de France a baissé de près de 30 % durant cette période comparativement à la période de référence. Les flux entrants ont également diminué : les mobilités des petite et grande couronnes franciliennes vers Paris ont connu une baisse de 43 % lors de cette période de préconfinement, correspondant à environ 160 000 utilisateurs de moins à destination de Paris.
Ces résultats invitent à relativiser l’importance des départs des Parisiens, la perte du nombre d’utilisateurs à la journée à Paris s’expliquant aussi par la forte réduction des mobilités depuis les grande et petite couronnes franciliennes vers Paris. De plus, ce processus de perte de population dans les centres urbains, couplé à une augmentation de la population dans les communes périurbaines, fait écho à une tendance lourde en France en matière de mobilités résidentielles (Fol et Miot 2021) et n’est donc pas totalement hors norme.
Source : Data for Good @Meta.
L’absence d’exode urbain : pour une mise en perspective de ces mobilités
Rejoignant les observations faites dans l’étude des migrations résidentielles du programme POPSU Territoires (Milet et al. 2022), les mobilités des (grandes) villes vers ces régions attractives correspondent en fait à une somme de petits flux. Mesuré dans cette recherche grâce aux flux observés à des pas de temps de huit heures, ce constat robuste nuance grandement les affirmations hâtives d’un exode urbain massif depuis les plus grandes villes et en particulier depuis Paris ou l’Île-de-France (Galiana et al. 2020). Les résultats convergent également pour montrer que se poursuivent des tendances préexistantes, telles que l’attractivité des littoraux et des villes petites et moyennes de régions déjà attractives.
Observer les mobilités durant une période d’intenses déplacements, celles des vacances d’été 2022, permet d’apprécier plus précisément les logiques de rupture et de continuité. En se focalisant à nouveau sur les mobilités des Parisien∙nes, fin juillet-début août 2022, on peut constater, non sans une pointe de provocation, que si exode urbain des Parisiens il y a, il se joue plutôt durant cette période de vacances (tableau 3). Avec des populations présentes de dix à cinquante fois plus nombreuses en comparaison à la période de référence, certains départements, des bords de Loire aux Pyrénées, des Côtes-d’Armor au Morbihan, ont été les destinations privilégiées des vacanciers et vacancières parisiens.
Source : Data for Good @Meta.
Les communes côtières affichant de très fortes croissances de leur nombre d’utilisateurs Facebook se situent essentiellement sur les côtes bretonnes et aquitaines : Groix et La Couarde-sur-Mer ont multiplié leur population d’utilisateurs de Facebook par quarante ; tandis qu’à Quiberon, à Saint-Denis-d’Oléron, à La Tranche-sur-Mer ou encore à Souillac, cette population a augmenté de 30 %. Cette attractivité persistante des littoraux atlantiques et bretons fortement plébiscités lors du préconfinement s’inscrit dans une dynamique de long terme, observée avant la pandémie.
Source : Data for Good @Meta. © L.Chalonge-Géographie-cités.
Plusieurs recherches récentes ont remis en cause la réalité d’un exode urbain à long terme. Cette recherche confirme qu’un tel exode n’a pas eu lieu à l’occasion du premier – et plus spectaculaire – confinement. Elle montre que la diminution de la population dans les centres urbains est due certes à des départs depuis ces centres, mais aussi à la réduction, voire à l’arrêt des mobilités des espaces périphériques vers les centres urbains. Par ailleurs, la comparaison des mobilités sortantes observées lors du premier confinement avec une période plus classique de fortes mobilités permet plus encore de nuancer un potentiel exode lié au confinement. D’une manière générale, les dynamiques des mobilités observées en France avant, au début et durant la pandémie ne laissent pas augurer un changement radical des sociétés urbaines (Couclelis 2020). À plus long terme, s’il est prématuré de tirer des conclusions sur le devenir des villes, dans un contexte de crises plurielles (climat, énergie…), la pérennité des nouveaux régimes de mobilités doit être interrogée et de nouvelles recherches utilisant le type de données mobilisées dans cette étude permettraient de contribuer à déceler de potentielles bifurcations.
Bibliographie
- Bouba-Olga, O. et Fouqueray, E. 2022. « La pandémie a-t-elle déclenché un “exode métropolitain” ? », Alternatives économiques, 1er mars.
- Couclelis, H. 2020. « There will be no Post-COVID city », Environment and Planning B, vol. 47, n° 7, p. 1121-1123.
- Fol, S. et Miot, Y. 2021. « Des villes condamnées à la décroissance ? Mise à l’agenda de la décroissance urbaine et stratégies locales dans cinq villes de Champagne-Ardenne », in V. Béal, N. Cauchi-Duval et M. Rousseau (dir.), Déclin urbain. La France dans une perspective internationale, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, p. 97-127.
- Galiana, L., Suarez Castillo, M., Sémécurbe, F., Coudin E. et de Bellefon, M.-P. 2020. « Retour partiel des mouvements de population avec le déconfinement », Insee Analyses, n° 54.
- Milet, H., Meyfroidt, A. et Simon E., 2022. « Exode urbain ? Petits flux, grands effets. Les mobilités résidentielles à l’ère (post-)covid », PUCA, PopSu Territoires.
- Pistre, P. 2015. « Potentiels démographiques pour des alternatives dans les campagnes françaises », Mouvements, n° 84, p. 48-55.
- Shepherd, H., Atherden, F., Chan, H., Loveridge, A. et Tatem A. 2021. « Domestic and international mobility trends in the United Kingdom during the COVID-19 pandemic : An analysis of Facebook data », International Journal of Health Geographics.
- Telle, O. 2015. « Géographie d’une maladie émergente en milieu urbain endémique, le cas de la dengue à Delhi, Inde », Cybergeo, n° 718.
Pour aller plus loin :
- Adrjan, P. et al. 2021. « Will it stay or will it go ? Analysing developments in telework during COVID-19 using online job postings data », OECD Productivity Working Papers, n° 30, Paris : Éditions OCDE.
- Graham, H. 2004. « Social determinants and their unequal distribution : Clarifying policy understandings », Milbank Quaterly, vol. 82, n° 1, p. 101-124.
- Lussault, M. 2022. « Ce que l’imagination de l’exode urbain veut dire », AOC, 22 mars.
- Nathan, M. et Overman, H. 2020. « Will coronavirus cause a big city exodus ? », Environment and Planning B, vol. 47, n° 9, p. 1537-1542.