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Vers une formalisation de la promotion immobilière au Cameroun ?

L’essentiel de la production de logement est informel au Cameroun. Des réformes récentes cherchent à réguler le secteur et révèlent ainsi les différents degrés d’informalité qui caractérisent la construction et la promotion immobilières.


Dossier : Logement : extensions et restrictions du marché

Au Cameroun, comme dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, la production de logements est majoritairement assurée par des acteurs et logiques dites informelles [1]. Le concept d’informalité permet de qualifier un ensemble de pratiques et d’acteurs participant aux logiques économiques de production et d’échanges en dehors des circuits réglementaires définis par les institutions publiques. Ce terme est largement utilisé pour saisir la réalité de la production des espaces urbains dans les villes africaines en général, et les villes camerounaises en particulier (Assako Assako 1995 ; Djatcheu 2018 ; Kobou et al. 2021 ; Pettang et al. 1995), la grande majorité de l’urbanisation échappant à l’encadrement des pouvoirs publics. L’expression « logement informel » désigne donc des produits immobiliers aux qualités architecturales, statuts juridiques et modes de production hétéroclites. Autoconstruits ou autopromus, individuels ou collectifs, précaires ou décents, avec ou sans titre foncier, la part de logements informels s’élèverait ainsi à plus de 90 % [2], dont 71,5 % de logements considérés comme précaires (Comité national Habitat III 2015).

Comme en Mauritanie ou au Burkina-Faso, les programmes de logements publics (Biehler et al. 2015), dits sociaux, n’ont jamais été suffisants pour faire face à la croissance urbaine des villes camerounaises. Pour autant, la promotion immobilière publique ne s’est, jusqu’à peu, pas accompagnée d’une promotion immobilière privée conventionnelle (Jourdam-Boutin 2018). Or, depuis la fin des années 2000, l’État camerounais conduit des réformes qui vise à la promotion d’une activité immobilière marchande privée et soutient la constitution d’une concurrence réglementée dans le secteur du logement.

Cet article propose d’interroger les effets de la formalisation d’un secteur immobilier aux marges du capitalisme et de la financiarisation du logement (Aalbers et al. 2020 ; Goodfellow 2020). Notre analyse [3] démontre que la production résidentielle, proposée par de nouveaux acteurs du marché du logement camerounais, demeure tributaire de pratiques informelles, parfois illicites, qui la situent à plusieurs niveaux intermédiaires sur le spectre de la formalité.

Encadrer et formaliser le secteur immobilier

Les premiers textes législatifs portant sur l’organisation et la définition de la promotion immobilière sont promulgués en 1985, puis 1997. Cependant, le décret fixant leur application, c’est-à-dire leur entrée en vigueur effective, n’est publié qu’en 2007. Ce décret soumet notamment l’exercice de la profession sur le territoire camerounais à une agrémentation ministérielle, conditionnée à une caution. La fin des années 2000 donne lieu à la multiplication de textes juridiques afférant à l’ouverture du secteur immobilier résidentiel aux acteurs privés. Les promoteurs immobiliers et les fonctionnaires rencontrés font d’ailleurs remonter à 2009, année d’octroi des premiers agréments, ce qu’ils identifient comme une « libéralisation du marché » immobilier.

Le processus de formalisation des activités marchandes lié au logement s’étend par la suite à l’ensemble des activités connexes à la promotion immobilière. Si les professions techniques de l’amont – architectes, urbanistes et ingénieurs civils – et le système bancaire sont déjà régulés de longue date, l’effervescence législative de la fin de la décennie 2000 statue également sur les professions d’agent immobilier et de syndic de copropriété. Comme la promotion immobilière, l’exercice de ces activités est soumise à la détention d’un agrément. Enfin, ce corpus légal s’articule à un processus de bureaucratisation : au sein des ministères et des institutions parapubliques, les postes, services et procédures dédiés à l’encadrement des nouveaux acteurs de l’immobilier se multiplient.

L’État camerounais participe donc activement à la structuration d’une offre privée légale ainsi qu’à l’encadrement des échanges marchands portant sur le logement. De ce fait, l’action publique étend ce qui est gouverné et régulé, délimite ce qui est légal et illégal, formel et informel. En contribuant à la constitution d’un secteur formel du logement, l’État redéfinit en creux un secteur immobilier informel. Celui-ci, très dynamique, mais fonctionnant à la marge de la régulation étatique, voit sa dimension illégale renforcée par la légalisation même de la promotion immobilière privée. Un fonctionnaire du ministère de l’Habitat et du Développement urbain (MINHDU) m’affirme : « Enfin, je suis l’État moi, je ne vais pas parler et compter des gens qui sont hors la loi, moi ! Je parle de ceux qui sont agréés, pas de l’informel » (Yaoundé, décembre 2019). Indirectement, l’État se fait donc producteur d’informalité (Roy 2005).

Une professionnalisation modérée des acteurs de la promotion immobilière

L’ouverture du secteur immobilier a encouragé une centaine d’acteurs économiques à se constituer comme promoteurs immobiliers agréés dans les villes de Yaoundé et Douala. Or, il apparaît que ceux-ci sont en très grande majorité de nouveaux acteurs du secteur. En effet, seuls deux de la trentaine de promoteurs rencontrés [4] avaient déjà mené des projets immobiliers avant la légalisation des initiatives privées marchandes ; tandis qu’aucun des promoteurs, dits informels, avec lesquels nous nous sommes entretenus ne souhaitait entamer les démarches pour se faire agréer. La formalisation de l’activité de promotion immobilière ne provoque donc pas celle des acteurs l’exerçant déjà au préalable, mais l’irruption de nouveaux acteurs.

La majeure partie des promoteurs immobiliers rencontrés partagent trois caractéristiques : ils possèdent un capital foncier à valoriser, ils sont membres d’une classe urbaine prospère et leurs expériences de circulations internationales, notamment en Europe et en Amérique du Nord, façonnent leurs références urbanistiques. Ces nouveaux acteurs de l’immobilier sont issus de divers milieux professionnels (médecins, fonctionnaires, hommes d’affaires). Une dizaine d’entre eux a cependant travaillé dans des secteurs proches de l’immobilier, tels que le BTP, le droit foncier ou encore l’aménagement urbain public. Ces expériences leur paraissent suffisantes pour réussir dans le secteur immobilier qu’ils se représentent comme vierge et peu concurrentiel. L’un d’entre eux m’affirmera ainsi : « Tu comprends, même les personnes qui ont de l’argent n’ont pas de logement, donc si on fait du logement, ça marche forcément […]. Si tu construis, tu es sûr de vendre ! » (Douala, novembre 2017).

Toutefois, la grande majorité n’ont qu’une très faible connaissance en économie du logement et rencontrent de nombreuses difficultés pour réussir à financer et à mener à terme leurs chantiers ou à vendre leurs produits résidentiels. Afin de pallier ce fait, les pouvoirs publics organisent des formations destinées à ces nouveaux acteurs et soutiennent la structuration d’une offre académique dédiée [5]. Au final, les acteurs formels du secteur ne sont considérés comme professionnels ni par leurs interlocuteurs du secteur publics, ni par ceux du secteur privé. Un expert financier au Crédit Foncier du Cameroun (CFC), institution parapublique en charge du financement de l’immobilier, déclare ainsi : « Des professionnels de la promotion immobilière, y en a pas ! » (Yaoundé, décembre 2018).

Les promoteurs immobiliers agréés contribuent tout de même à une professionnalisation de leur activité. Par le biais de leur association professionnelle, ils s’emploient notamment à dénoncer comme une concurrence illégale la pratique de l’activité immobilière par des acteurs non agréés. L’un des promoteurs déplore ainsi : « Vous payez l’agrément et vous n’avez aucun avantage. Pendant ce temps, un particulier qui obtient un pécule peut construire et s’enrichir ! » (Douala, novembre 2017). Ce plaidoyer commun auprès de l’État, pour des sanctions renforcées et davantage de soutien, témoigne d’une dynamique de constitution d’un groupe professionnel auto-assigné exclusif défendant ses intérêts, « processus par lequel une activité devient une profession » (Wittorski 2008).

Des circuits de financement complexes

Malgré l’opposition qu’ils revendiquent avec le secteur informel et ses pratiques, les promoteurs agréés y ont régulièrement recours dans l’exercice de leur activité, en premier lieu pour faire face à leurs difficultés de financement. En effet, le secteur bancaire privé camerounais fait preuve d’une frilosité aiguë envers les projets immobiliers, dont la rentabilité est incertaine dans un environnement macroéconomique instable. Dans le secteur public, le CFC propose un « prêt promo foncier » réservé aux promoteurs agréés. Toutefois, les conditions d’accès au prêt sont exigeantes et les promoteurs parviennent très rarement à constituer un dossier éligible. Par conséquent, les promoteurs immobiliers adoptent des stratégies alternatives de financement, telles que la vente en état futur d’achèvement (VEFA), la participation à des tontines [6] ou la contraction d’emprunts multiples (figure 1).

Il est difficile d’en rendre compte car celles-ci sont caractérisées par l’opportunisme et l’opacité qui expliquent leur grande diversité. Je rapporterai donc deux illustrations se situant différemment sur le spectre de l’informalité et de l’illégalité. Un promoteur immobilier de Douala, issu de la diaspora camerounaise en France, finance la construction d’un premier immeuble de quatre niveaux grâce à des prêts à la consommation qu’il a contractés auprès d’une banque française et d’une banque canadienne. Ce promoteur a donc recours à des financements formels, mais le montage financier de ce projet est illégal. Un promoteur de Yaoundé compte quant à lui sur sa position sociale et son réseau de relations pour financer son projet de lotissement résidentiel. Ce promoteur emprunte auprès de « Grands », constituant l’élite politico-administrative et économique, pour financer étape par étape les travaux de son projet, grâce à des prêts de particulier à particulier. Cette forme non contractualisée de financement informel n’est pas illégale – exceptée lorsqu’elle participe à des processus de « blanchiment d’argent [7] ».

Figure 1. Les stratégies de financements des promoteurs immobiliers camerounais

Réalisation : M. Jourdam-Boutin, 2022.

Des projets immobiliers caractérisés par l’informalité

La construction des projets immobiliers conduits par les promoteurs agréés est, elle aussi, caractérisée par différents modes d’informalité. La réalisation des travaux est rarement assurée par des entreprises de BTP formelles, les promoteurs privilégiant le recours à une main-d’œuvre sans contrat. Surtout, les promoteurs immobiliers formels ne respectent que peu les procédures administratives. La modernisation des instruments de planification par les autorités urbaines des villes de Yaoundé et Douala a entrainé l’augmentation du nombre de permis de construire instruits ces dix dernières années. Pour autant, ces permis ne recouvrent qu’une part minime des logements produits [8] et les promoteurs immobiliers agréés n’en font pas toujours la demande (figure 2). Selon les acteurs publics et les promoteurs immobiliers rencontrés, les permis ne sont, par ailleurs, que rarement respectés. Un promoteur agréé ayant réalisé un immeuble de huit étages m’expliqua ainsi avoir demandé un permis de construire pour « un immeuble de quatre niveaux, car à partir de cinq il faut installer un ascenseur ». Certaines opérations sont donc dépourvues de permis de construire, mais respectent les normes architecturales, tandis que d’autres bénéficient du premier mais contournent les secondes.

Enfin, la commercialisation des produits immobiliers résidentiels demeure dominée par le recours à des réseaux d’acteurs informels, et ce, même pour les segments supérieurs du marché résidentiel auquel les promoteurs agréés contribuent (Minfede 2020). Malgré la formalisation du statut d’agent immobilier, les promoteurs immobiliers déclarent compter principalement sur leurs réseaux de sociabilités, la publicité et le recours aux démarcheurs pour assurer la mise sur le marché de leurs productions résidentielles.

Figure 2. Immeuble dans le quartier de Bastos, à Yaoundé

Sur la porte du chantier de cet immeuble, situé dans un quartier coté de la ville, on discerne une croix de Saint-André rouge utilisée par les services urbains pour indiquer l’irrégularité des constructions.
Photo : M. Jourdam-Boutin, novembre 2019.

Pour conclure, la structuration d’un secteur formel de l’immobilier résidentiel au Cameroun ne participe pas à ce jour à l’intensification de la production effective de logements formels. Même portés par des promoteurs immobiliers agréés, la plupart de ces opérations immobilières échappent à l’encadrement étatique du fait du recours récurent à des acteurs et pratiques informelles, voire illégales. En revanche, la constitution d’un ordre juridique entraîne l’extension du spectre de la formalité : les lois élargissent le champ du formel, même si, considérées comme tangibles par les promoteurs eux-mêmes, elles ne sont pas toujours respectées. En centrant notre étude sur des acteurs formels du secteur immobilier ayant recours à des pratiques informelles pour contourner leurs difficultés, nous réaffirmons donc l’importance de penser la pratique de l’informalité par les producteurs formels de la ville (Chiodelli et al. 2018).

Bibliographie

  • Aalbers, M. B., Rolnik, R. et Krijnen, M. 2020. « The Financialization of Housing in Capitalism’s Peripheries », Housing Policy Debate, vol. 30, n° 4, p. 481-485.
  • Assako Assako, R.-J. 1995. « Amélioration de l’habitat à Yaoundé  : succès tardif ou fiasco consommé  ? », Histoire et Anthropologie, n° 11, p. 44-50.
  • Biehler, A., Choplin, A. et Morelle, M. 2015. « Le logement social en Afrique : un modèle à (ré)inventer ? », Métropolitiques, 18 mai 2015.
  • Chiodelli, F., Hall, T. et Hudson, R. 2018. « Grey Governance and the Development of Cities and Regions : The Variable Relationship Between (Il)legal and (Il)licit », in The Illicit and Illegal in Regional and Urban Governance and Development : Corrupt Places, Oxon : Routledge, p. 1-19.
  • Comité national Habitat III. 2015. Rapport national de contribution du Cameroun pour la Troisième conférence des Nations unies sur le logement et le développement en milieu urbain, Quito : MINHDU.
  • Djatcheu, M. L. 2018. « Fabriquer la ville avec les moyens du bord  : l’habitat précaire à Yaoundé (Cameroun) », Géoconfluences.
  • Fernandez, R. et Aalbers, M. B. 2020. « Housing Financialization in the Global South : In Search of a Comparative Framework », Housing Policy Debate, vol. 30, n° 4, p. 680-701.
  • Goodfellow, T. 2020. « Finance, Infrastructure and Urban Capital : The Political Economy of African “Gap-Filling” », Review of African Political Economy, vol. 47, n° 164, p. 256-274.
  • Jourdam-Boutin, M. 2018. « Les programmes de logement public à Yaoundé : entre laboratoire libéral et manifestations urbaines du clientélisme dans un Cameroun post-austérité », Urbanités, « Urbanités Africaines », p. 15.
  • Kobou, G., Mbenga B., Kunz M., Fontep, E. R. et Wounang, R. 2021. « Développement urbain, économie informelle et inégalités au Cameroun », Papiers de recherche, AFD, n° 210, p. 61.
  • Minfede, R. K. 2020. « Itinéraire d’accès au logement vacant en situation d’imperfection du marché », Revue d’économie régionale et urbaine, mars, n° 3, p. 437-469.
  • Pettang, C., Vermande, P. et Zimmermann, M. 1995. « L’impact du secteur informel dans la production de l’habitat au Cameroun », Cahiers des sciences humaines, vol. 31, n° 4, p. 1032-1033.
  • Roy, A. 2005. « Urban Informality : Toward an Epistemology of Planning », Journal of the American Planning Association, vol. 71, n° 2, p. 147-158.
  • Wittorski, R. 2008. « La professionnalisation », Savoirs, n° 17, p. 9-36.

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Pour citer cet article :

Mathilde Jourdam-Boutin, « Vers une formalisation de la promotion immobilière au Cameroun ? », Métropolitiques, 23 mars 2023. URL : https://metropolitiques.eu/Vers-une-formalisation-de-la-promotion-immobiliere-au-Cameroun.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1900

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