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Végétaliser les villes : une question ancienne ?

À partir de cas français très documentés, La Ville végétale resitue les discussions sur la végétalisation des espaces urbains dans une perspective de longue durée. Le regard des historiens éclaire les pratiques et les discours contemporains sur le sujet, en leur apportant une contextualisation nécessaire.
Recensé : Charles-François Mathis et Émilie-Anne Pépy, La Ville végétale. Une histoire de la nature en milieu urbain (France, XVIIe-XXIe siècle), Clamecy : Champ Vallon, coll. « L’environnement a une histoire », 2017, 370 p.

À l’heure où de nouveaux programmes de végétalisation voient le jour dans les villes françaises, l’ouvrage de Charles-François Mathis et Émilie-Anne Pépy arrive à point nommé. La Ville végétale dresse un panorama des sujets traitant de la nature en ville, au cours de l’histoire française. Plus précisément, les auteurs s’intéressent à l’évolution du rapport social à la présence de la végétation dans les espaces urbains. Ils entendent essentiellement étudier la « nature végétalisée », c’est-à-dire la nature « à l’exclusion […] des éléments – eau, air, terre – et des animaux » (p. 12). Leur terrain d’enquête est la ville et plus particulièrement les grandes villes françaises, d’après les documents et exemples cités.

En mobilisant une grande diversité de sources : textes, articles scientifiques, poèmes, illustrations, extraits de livres, plans, cartes et cartes postales, l’analyse rend compte des débats qui animent la société française sur les manières de concevoir le végétal en ville, depuis le XVIIe siècle. Ce qui est surprenant et séduisant à la lecture de cet ouvrage, c’est que, sans l’annoncer, les auteurs soulignent avec beaucoup de précisions et d’exemples la permanence des questions que pose le végétal en ville. Outre la présence jugée désirable ou inconvenante des arbres et des plantes, ils décrivent leurs fonctions sociales et récréatives, leurs effets thérapeutiques, la manne économique qu’ils peuvent constituer. On se demande donc parfois, à la lecture de ce livre, ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui dans la ville végétale et dans les attitudes sociales à son égard.

Désirs et discordes autour de la nature végétalisée

En effet, on apprend qu’en ville, des conflits liés à la végétalisation ont existé, avant le XXe siècle, entre les usagers et les aménageurs urbains. Ces derniers ont pu être violents. Des résistances pouvaient voir le jour quand il s’agissait, par exemple, d’abattre des arbres en ville (chap. 4). Ce fut le cas au XVIIIe siècle, lorsque l’intendant de Tourny voulu abattre un orme pour réaménager les quais du port de Bordeaux (p. 128-129). La bourgeoisie et l’aristocratie portée par la duchesse d’Aiguillon s’y sont opposées et Monsieur de Tourny a dû renoncer à son projet d’abattage. Ce conflit est né, au-delà de la préservation d’un élément de nature, des fonctions que remplissait cet arbre. Fournissant de l’ombre aux promeneurs et aux commerçants, il constituait un lieu de socialisation et plus précisément de discussions et d’accords commerciaux. Cet événement met en exergue les parties prenantes du conflit. Comme le montrent les études sur les conflits d’aménagement aujourd’hui, ce sont les populations aisées qui ont su se mobiliser et obtenir gain de cause (Torre et al. 2016). Cet exemple souligne également certaines des préoccupations et des attentes sociales de l’époque vis-à-vis des végétaux (chap. 5). La proximité de cet arbre était le théâtre de pratiques diverses, si bien qu’il remplissait plusieurs fonctions qui ne sont guère différentes de celles qu’il pourrait avoir aujourd’hui. Pour l’ombrage, par exemple, les opposants à son abattage étaient conscients des effets bénéfiques qu’il avait sur eux (chap. 4). Cela n’était pas souligné par l’intendant de Tourny. Aujourd’hui, les effets « positifs » des arbres sur le bien-être des personnes en ville sont pris en considération par les aménageurs. Ils sont notamment utilisés pour leur capacité à refroidir l’air en ville et améliorer la qualité de l’air (Clergeau et Blanc 2013 ; Musy 2014). En effet, les arbres jouent un rôle important dans le traitement des îlots de chaleur urbains (chap. 3). Nous savons qu’alliés à un système souterrain de stockage des eaux de pluie, ils permettent de rafraîchir l’air urbain par l’évapotranspiration [1]. En cas de fortes chaleurs, l’irrigation des arbres par les eaux stockées permet de renforcer l’évapotranspiration des arbres et de rafraîchir la rue ou le lieu où ils sont plantés. Il s’agit en quelque sorte d’un système de climatisation naturelle. Ainsi, les citadins peuvent bénéficier de l’ombrage et de la fraîcheur apportés par les arbres lorsqu’ils se promènent. Lyon est une des villes pionnières en la matière. Elle utilise un tel système, rue Garibaldi. Les arbres contribuent à réduire le taux de gaz carbonique dans l’air. Ils neutralisent certains polluants comme l’ozone ou le dioxyde de soufre et jouent un rôle de filtre, concourant à améliorer la qualité de l’air que respirent les citadins.

L’espace vert, scène sociale

Au fil des pages, les auteurs démontrent que le végétal en ville a rempli des fonctions sociales, et cela bien avant le déploiement des parcs et jardins au XIXe siècle. Les promenades plantées, comme le cours la Reine, instauré en 1616, qui reliait le jardin des Tuileries aux collines de Chaillot, étaient des lieux où l’on se montrait. Les aristocrates, et plus tard les bourgeois, s’y rencontraient tandis que les manants n’y venaient que très peu. Le végétal en ville était en partie réservé à certaines catégories sociales. La diversité sociale était rarement de mise et l’on assistait à des stratégies temporelles ou spatiales d’évitement social. À titre d’exemple, les auteurs citent le fait que l’aristocratie ne se rendait pas dans les parcs et jardins le dimanche, au début du XIXe siècle, car c’était le jour populaire (p. 145). Il faudra attendre le développement des parcs et des jardins publics pour que toutes les strates de la population française puissent se rendre dans ce que Hénard nommera en 1905 les « espaces verts ». La diversité sociale dans ces lieux ne sera jamais vraiment atteinte. Du jardin lieu de prestige du roi ou du seigneur et emblème de sa puissance aux jardins publics ouverts à tous, en passant par ceux des hôtels particuliers des aristocrates et des bourgeois, le végétal a joué un rôle important dans la représentation de la grandeur. Le jardin est vu comme un prolongement de soi, nous apprennent les auteurs de l’ouvrage. Il se veut à l’image de celui qui le possède. Disposer d’un jardin en ville est un gage de réussite sociale et d’appartenance à une élite. Il remplit donc une fonction sociale.

Le végétal, signe de puissance et facteur d’attractivité urbaine

En tant que moyen d’embellir la cité, le végétal peut devenir un symbole de la richesse d’une ville ou de ses habitants (chap. 1). Pour les aménageurs et les décideurs contemporains, sa présence peut être un facteur d’attractivité des villes (chap. 1, par exemple), les citadins étant aujourd’hui conscients des bienfaits qu’exerce le végétal sur leur bien-être et leur santé. La plupart cherchent à vivre près d’un espace vert (UNEP-IPSOS 2013) et aspirent à une ville plus verte.

Ainsi, on observe aujourd’hui que les acteurs territoriaux mettent en avant, sur les sites ou les plaquettes de présentation de leurs villes, la présence d’espaces verts. Parcs, squares, jardins, m² « de vert » par habitant sont désormais de plus en plus identifiables afin de mettre en valeur l’image d’une « bonne qualité de vie » en ville. Pour appuyer cette idée et ne prendre qu’un exemple, que l’on ne trouve pas dans l’ouvrage, on peut lire sur le site Angersconnectezvous le petit texte suivant : « idéalement situé aux portes du Grand Ouest à 1 h 15 de la côte Atlantique et réputée pour la douceur de son climat, Angers est classée première ville verte de France avec 51 m² d’espaces verts par habitant. Les parcs et jardins sont présents sur tout le territoire ». Les images illustrant les pages du site mettent également en avant le côté vert de la ville.

Figure 1

Source : angers-connectezvous.fr.

Les entreprises comme les pouvoirs publics font de cette manière de la nature végétalisée un outil de marketing urbain, s’appuyant, en grande partie, sur ses bienfaits sur le citadin et la qualité de vie (Bourdeau-Lepage 2018). Elles instrumentalisent le végétal, à commencer par les arbres, et s’en servent dans l’idée de soigner les maux de la ville, qu’ils soient sociaux ou environnementaux (lire notamment la conclusion). Mais il resterait à se doter des moyens d’évaluer les effets concrets, dans la durée, de telles mesures, au-delà du déploiement de campagnes promotionnelles dans le cadre de la compétition pour l’attractivité des villes. Du reste, cette pratique n’est pas nouvelle. Déjà, au XIXe siècle, le mouvement hygiéniste s’était appuyé sur les vertus de la végétation et des espaces ouverts pour améliorer les conditions de vie des citadins et faire de la ville un espace plus amène (p. 31).

La ville jardinée comme enjeu de la transition écologique

Cet ouvrage très documenté montre que la ville végétale est le fruit d’une histoire faite de continuités plutôt que de ruptures. Cependant, même si dans le passé des raisons ont existé pour introduire plus de végétaux en ville, le contexte actuel semble ouvrir de nouvelles voies. La relation entre la ville et le végétal se transforme. Certains citadins, et plus particulièrement ceux des quartiers de la bourgeoisie qualifiée de bohème, deviennent les jardiniers de leur ville. La participation citadine en matière de végétalisation urbaine est promue par les municipalités et en particulier par les métropoles les plus peuplées comme Paris, Lyon ou Lille. Dans de nombreux cas, elles institutionnalisent des pratiques habitantes déjà existantes, comme ce fut le cas avec les jardins partagés. Des permis de végétaliser sont accordés. Il s’agit d’autorisations données à une personne (comme à Paris) ou à plusieurs personnes (comme à Lyon) pour s’approprier, cultiver, fleurir une mini-parcelle dans l’espace public : carrés le long des murs de bâtiments, espaces interstitiels sur les trottoirs, stries désalphatées dans les trottoirs, accotements végétalisés, pieds d’arbres, jardins de rue, etc. De nouveaux espaces végétalisés voient ainsi le jour. Les pieds d’arbres sont cultivés à Paris, des jardins de rue apparaissent à Lyon. Dans certains cas, l’asphalte est retiré sur les trottoirs pour permettre aux citadins d’installer des végétaux. De nouveaux usages voient donc le jour. Ces pratiques, promues par les pouvoirs municipaux dans bien des cas, s’inscrivent dans une démarche globale, celle de la recherche d’une plus grande qualité de vie, de la lutte contre la pollution, mais aussi de la préservation de la biodiversité. Il s’agit de tenter de répondre aux enjeux de la transition écologique.

Par la richesse des exemples présentés et la diversité des thématiques développées : économie du végétal, acteurs de la végétalisation, fonctions remplies par la nature végétalisée, regard porté sur les végétaux par les citadins, défis de la végétalisation en ville, cet ouvrage fournit des clefs de compréhension de ce qui se joue aujourd’hui en matière de végétal en ville.

Il nous permet de prendre conscience que le végétal a toujours été présent dans les villes françaises, même si sa place a varié à travers les siècles. Les auteurs soulignent la complexité de la relation entre la nature végétalisée et la société française au cours de l’histoire et la récurrence des débats. Le végétal est, tour à tour, objet de conflit, signe de puissance, élément de bien-être, source de santé, ressource alimentaire, outil d’aménagement. Ainsi, Charles-François Mathis et Émilie-Anne Pépy ont bien atteint leur objectif.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Lise Bourdeau-Lepage, « Végétaliser les villes : une question ancienne ? », Métropolitiques, 7 octobre 2019. URL : https://metropolitiques.eu/Vegetaliser-les-villes-une-question-ancienne.html

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