La ville a longtemps constitué un espace de mauvaise santé pour une grande partie de ses habitants. Les qualificatifs à son sujet sont, d’ailleurs, tout à fait explicites puisque l’on parle de « ville mouroir », « d’espace mortifère englué dans ses miasmes » ou bien encore de « berceaux d’épidémies meurtrières » (Vigarello 1999 ; Corbin 1986).
De la ville pathogène à une ville plus favorable à la santé
Cet état sanitaire des villes fait l’objet d’importantes observations, à travers les topographies médicales (Menuret de Chambaud 1786 ; Lachaise 1822). Ces monographies de type néo-hippocratique, nombreuses au cours des XVIIIe et XIXe siècles en Europe et notamment en France à l’initiative de la Société royale de médecine (Picheral 2001), s’attachent à décrire les conditions de vie physiques, démographiques et économiques des populations et leurs états de santé. Elles permettent de mettre en évidence les inégalités de santé entre les villes et les campagnes, entre les villes mais également à l’intérieur même de ces dernières. Elles révèlent également que les états de santé étaient d’autant plus mauvais que la ville était grande et que les inégalités sociales étaient fortes en son sein. Au cours de cette période, la ville est considérée comme un véritable danger pour les plus jeunes, et les bourgeois, dans bien des cas, envoient leurs enfants en nourrice à la campagne où les conditions sanitaires sont meilleures (Lequin 1983).
Durant la première moitié du XIXe siècle, l’état de santé des citadins s’améliore puis décline ensuite. Les pouvoirs publics s’accordent alors sur la nécessité d’agir. Ainsi, l’essor de l’hygiénisme à partir du milieu du XIXe siècle va s’accompagner de l’intégration des enjeux de santé publique dans les aménagements urbains. Les transformations progressives de la ville (assainissement, aération, circulation, espaces verts), accompagnées d’une amélioration des conditions de vie, donnent lieu à des progrès sanitaires significatifs en milieu urbain. Dans le même temps, on assiste au fil du temps à un renversement du gradient de mortalité. En effet, la situation sanitaire est désormais meilleure en ville qu’à la campagne, et, d’autre part, elle s’améliore au fil de la hiérarchie urbaine, du fait d’une structuration sociale et d’un accès aux soins plus favorables dans les villes de plus grande taille (Rican et al. 2010). Ainsi, de nos jours, en France, les villes enregistrent de bons indicateurs sanitaires (recul de la mortalité prématurée, élévation de l’espérance de vie …), conformes à – voire meilleurs que – ceux nationaux.
Risques sanitaires et inégalités en ville
Pourtant, « aujourd’hui encore, le milieu urbain souffre d’une mauvaise image au plan de la santé comme si les villes étaient intrinsèquement défavorables à la santé » (Salem et Vaguet 2006, paragraphe 5). Il est vrai que les risques sanitaires sont nombreux en ville : pollution des sols, saturnisme infantile dans certains quartiers, pollution atmosphérique, allergies diverses comme celle liées à l’ambroisie dont traite l’article de Lucie Anzivino dans ce dossier… (Barles 2011 ; Levy 2012 ; Chasles et al. 2013). À ces expositions environnementales s’ajoutent également d’autres maux tels que le stress, le surmenage, l’éclatement familial, les précarités plurielles ou bien encore l’isolement social. Les situations sociales, familiales et d’emploi sont reconnues comme des facteurs importants d’explication des risques sanitaires auxquels les populations sont exposées, engendrant des inégalités d’état de santé entre individus en milieu urbain.
- © L. Bourdeau‑Lepage
Les risques pour la santé des citadins ne sont pas homogènes d’un point de vue socio-spatial. En effet, les inégalités sociales, économiques, culturelles, environnementales, d’accès aux services et notamment aux services de santé présents en ville, donnent lieu à des inégalités sanitaires... Ainsi sait-on, par exemple, qu’il existe des différences importantes entre les indices de mortalité des populations le long du parcours de la ligne B du RER parisien. En effet, entre la Plaine Saint-Denis et le centre de Paris, le risque de mourir à une année donnée est augmenté dans le premier cas de 82 % par rapport au second (Vigneron 2011). De même, de fortes inégalités sont présentes au sein de l’aire urbaine de Paris, en matière de ratios standardisés de mortalité par affections respiratoires entre le nord-est, industriel et ouvrier, et le sud-ouest, tertiaire et plus aisé (Rican et al. 2003).
Il est à noter enfin que la littérature s’accorde sur le renforcement des inégalités de santé intra-urbaines au cours des dernières années dans les pays développés. Ceci illustre à la fois les inégalités grandissantes en termes de revenus ainsi que les situations de rupture familiale et sociale toujours plus fréquentes. En outre, ces facteurs de vulnérabilités sanitaires peuvent se trouver accentués par la mauvaise qualité du cadre de vie, notamment en matière environnementale : manque d’espaces verts, nuisances sonores, habitats insalubres ou incapacitants, etc., qui sont des éléments constitutifs du bien-être des individus.
Concilier ville et santé
À une échelle plus globale, l’état de santé des populations s’est grandement amélioré au cours des dernières décennies. C’est ce qu’exprime notamment l’augmentation constante de l’espérance de vie en France (Pison 2014). Mais, dans le même temps, les inégalités entre les individus et les territoires demeurent, voire même se creusent (Trugeon et al. 2011). Pour appréhender ces inégalités, l’observation des milieux urbains s’avère enrichissante.
En cristallisant à la fois les inégalités sociales et environnementales, et en mobilisant les éléments liés à l’organisation spatiale de l’offre de soins en ville, nous pouvons appréhender la complexité des espaces urbains et des dynamiques urbaines dans la constitution de l’état de santé des citadins. De même, l’analyse des états de santé et des risques sanitaires des populations apporte des éléments de compréhension sur les évolutions anciennes et récentes de l’urbanisme, et sur les nouveaux enjeux de la santé en ville tels que la réduction des expositions environnementales, la construction de cadres de vie moins anxiogènes, répondant aux besoins et aux désirs de ses populations, l’adaptation des milieux au vieillissement de la population, la lutte contre les maladies chroniques comme l’obésité, les maladies cardio-vasculaires ou les allergies.
La prise en compte du facteur santé dans la constitution du bien-être des citadins semble aujourd’hui essentielle. L’enjeu pour les aménageurs, les acteurs locaux est justement de saisir toute cette complexité de manière à pouvoir aller vers un aménagement urbain plus sensible à l’humain et à ses besoins (Bourdeau-Lepage 2012). Ce dossier de Métropolitiques souhaite ainsi éclairer cette complexité et donner quelques clefs de compréhension des états de santé en ville.
- « Accès aux ressources et santé mentale à Montréal. L’importance de la mobilité quotidienne », par Julie Vallée, Martine Shareck, Yan Kestens et Katherine Frohlich
- « S’installer en ville : l’exemple des jeunes médecins généralistes des Hauts-de-Seine », par Philippe Abecassis et Jean‑Paul Domin
- « Les inégalités de santé respiratoire entre les villes. Dimensions socio-économiques et environnementales », par Sophie Baudet‑Michel et Christina Aschan‑Leygonie
- « Ambroisie, le combat permanent de la région Rhône-Alpes », par Lucie Anzivino
Bibliographie
- Barles, Sabine. 2011. « Les villes transformées par la santé, XVIIIe‑XXe siècles », Les Tribunes de la santé, n° 33, p. 31‑37.
- Bourdeau-Lepage, Lise. 2012, « Pour une ville douce, sensible à l’humain », in Bourdeau-Lepage, Lise (éd.), Repenser la ville, Paris : Economica, p. 209‑212.
- Chasles, Virginie, Fervers, Béatrice et Blain, Jeffrey. 2013. « Impact des facteurs environnementaux sur le risque de cancer : l’apport d’une lecture géographique », Environnement, risques et santé, n° 3.
- Corbin, Alain. 1986. Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe‑XIXe siècles, Paris : Flammarion.
- Lachaise, Claude. 1822. Topographie médicale de Paris, ou Examen général des causes qui peuvent avoir une influence marquée sur la santé des habitants de cette ville, Paris : Baillière.
- Lequin, Yves. 1983. « Mouroirs urbains ? Du cycle du choléra à la tuberculose », in Aguhlon, Maurice (dir.), Histoire de la France urbaine, tome 4, La ville de l’âge industriel, Paris : Seuil, p. 276.
- Levy, Albert. 2012. Ville, urbanisme et santé, les trois révolutions, Paris : Éditions Pascal.
- Menuret de Chambaud, Jean-Jacques. 1786. Essais sur l’histoire médico-topographique de Paris, Paris.
- Picheral, Henri. 2001. Dictionnaire raisonné de géographie de la santé, Montpellier : Presses universitaires de la Méditerranée (PULM).
- Pison, Gilles. 2014. « 1914‑2014 : un siècle d’évolution de la pyramide des âges en France », Populations et Sociétés, n° 509.
- Rican, Stéphane, Salem, Gérard et Jougla, Éric. 2003. « Ville et santé respiratoire en France », Géocarrefour, vol. 78, n° 3.
- Rican, Stéphane, Salem, Gérard, Vaillant, Zoé et Jougla, Éric. 2010. Dynamiques sanitaires des villes françaises, Paris : La Documentation française.
- Salem, Gérard et Vaguet, Alain. 2006. « Espaces urbains et santé », Espace, populations, sociétés, n° 2‑3.
- Trugeon, Alain, Thomas, Nadège, Michelot, François et Lémery, Bernadette. 2011. Inégalités socio-sanitaires en France. De la région au canton, Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé (FNORS), Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
- Vigarello, Georges. 1999. Histoire des pratiques de santé. Le sain et le malsain, santé et mieux-être depuis le Moyen Âge, Paris : Points Seuil.
- Vigneron, Emmanuel. 2011. Les Inégalités de santé dans les territoires français. État des lieux et voies de progrès, Elsevier Masson.