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Trente ans de décentralisation : que font les régions ?

La région est-elle le parent pauvre de la réforme des collectivités territoriales ? L’ouvrage dirigé par Sylvain Barone passe au crible les compétences et l’action publique contemporaine de cette institution en questionnant sa légitimité, ses formes de politisation et son efficacité.

Recensé : Sylvain Barone (dir.). 2011. Les Politiques régionales en France, Paris : La Découverte.

Dossier : Réforme territoriale : un état des lieux

À l’heure de la mise en place des pôles métropolitains [1], la région est mise à l’épreuve. Ces pôles métropolitains, nouvelle forme de coopération territoriale, existent pour l’instant autour de dix grands espaces agglomérés [2]. Ils constituent une nouvelle échelle d’intervention publique et s’appuient principalement sur les intercommunalités, en vue :

« d’actions d’intérêt métropolitain en matière de développement économique, de promotion de l’innovation, de la recherche, de l’enseignement supérieur et de la culture, d’aménagement de l’espace […] afin de promouvoir un modèle de développement durable du pôle métropolitain et d’améliorer la compétitivité et l’attractivité de son territoire, ainsi que l’aménagement du territoire infra-départemental et infra-régional. » [3]

Ses missions métropolitaines recoupent les prérogatives des régions étudiées dans l’ouvrage Les Politiques régionales en France dirigé par le politiste Sylvain Barone. Leur périmètre interroge l’échelle de cette institution. Est-elle concurrencée, voire dépassée, par ces nouveaux pôles métropolitains ? En France, la région a pu apparaître comme une échelle laissée à l’abandon par les pouvoirs publics. Pourtant, selon la thèse de cet ouvrage, elle reste un acteur de poids depuis les lois de décentralisation des années 1980 et 1990.

Dans ce contexte d’émulation institutionnelle et politique, cet ouvrage collectif propose dans une perspective comparative européenne un état des lieux de la place et du rôle joué par les régions. Le cadre régional y est passé au crible de l’action publique contemporaine par les auteurs, politistes pour la plupart, tous spécialistes d’analyse des politiques publiques et/ou de sociologie politique. Ce faisant, leur contribution apporte une pierre nouvelle à l’analyse de l’action publique locale en France, à l’échelle régionale.

Un chapitre propédeutique revient sur l’histoire de la région et de son concept en rappelant les grandes dates et les principales missions de cette collectivité territoriale française : 1972 et la création législative des Établissements publics régionaux, 1982 et le vote des lois de décentralisation, 1986 et l’élection des représentants régionaux au suffrage universel direct, les années 1990 et la série de lois qui créent de nouveaux échelons territoriaux [4], 2003 et l’acte II de la décentralisation consacrée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et, enfin, 2010 et la loi sur la réforme des collectivités territoriales, aujourd’hui objet de débats.

À travers dix chapitres, l’ouvrage propose ensuite des études de cas aux approches thématiques et comparatistes. S’appuyant sur les différents secteurs que la politique de décentralisation a confiés aux régions, des mises en perspectives sont proposées. Elles scrutent de multiples échelons territoriaux existants en France et en Europe. Pour mieux rendre compte des apports de cet ouvrage, nous proposons de revenir sur deux des points principaux qui y sont abordés : d’une part, un ensemble de contributions interroge le rapport de force pouvoir central–pouvoir local pour mieux apprécier le rôle des régions françaises dans l’action publique ; d’autre part, en s’intéressant à différents secteurs d’action régionale (transports, enseignement, culture, etc.), plusieurs auteurs tentent d’analyser leur efficacité, avec en toile de fond la question du poids des logiques partisanes et des logiques professionnelles et leur interférence sur l’application et les choix de ces politiques.

Des secteurs d’action régionale emblématiques

Certains domaines de l’action régionale sont étroitement liés, presque intrinsèquement, à l’histoire de cet échelon. C’est le cas de l’aménagement du territoire qui, dès les années 1950‑1960, impose la région comme une échelle pertinente d’intervention publique. Le chapitre introductif de Bruno Rémond est, sur ce point, extrêmement éclairant. D’autres secteurs biens connus aujourd’hui font également partie des délégations de compétences régionales acquises dans le cadre des politiques de décentralisation : la culture, l’éducation ou encore le transport ferroviaire.

D’une politique publique à l’autre, la régionalisation est plus ou moins achevée. Emmanuel Négrier et Philippe Teillet reviennent ainsi sur les multiples acteurs qui interviennent dans le champ de la culture « en région » (Europe, villes, départements, etc.) et qui rendent plus flous les contours d’une politique culturelle régionale. L’étude proposée par Thierry Berthet sur la formation professionnelle insiste, quant à elle, sur les aspects inachevés de la régionalisation. Elle montre comment les attributions des régions ont été sans cesse élargies sans que, pour autant, une vraie réflexion commune soit menée entre la formation professionnelle continue de leur ressort depuis les premières heures de la décentralisation et une politique de l’emploi encore largement conduite par l’État. La mise en place de certains dispositifs illustre cette déconnexion, comme la création des emplois-jeunes en 1997, initiative encore largement issue d’une « conception de la qualification comme question sociale où la responsabilité à son égard relevait d’une mission citoyenne et intégratrice de l’État » (p. 54). Ce dispositif ignorait en partie la conception historique et contemporaine de la politique de formation, étroitement lié à la logique de décentralisation, qui « s’appuie sur une prise en compte des marchés locaux du travail » (p. 54).

Les régions font-elles de la politique ?

Tous les auteurs s’accordent sur un autre point important : il est extrêmement difficile d’identifier clairement des politiques régionales de droite et des politiques régionales de gauche. Pour autant, des logiques, si ce n’est partisanes du moins politiques, existent et peuvent être identifiées à certains secteurs de l’action publique régionale. Pour aborder ce point, des analyses sont proposées à partir des parcours professionnels et/ou militants des élus régionaux. Ceux-ci peuvent être, en effet, déterminants. L’étude de Sylvain Barone montre ainsi qu’en région Languedoc-Roussillon le vice-président chargé des transports, Jean-Claude Gayssot, ancien ministre des transports et membre du Parti communiste, facilite l’expérience de la tarification sociale appliquée au transport ferroviaire. Le cas de l’éducation, analysé par Claire Dupuy, est un autre secteur à fort enjeu électoral qui illustre le poids des logiques politiques. Son enquête montre « une politisation institutionnelle » (p. 69) des politiques régionales d’éducation, avec, d’un côté, l’entretien des lycées aux mains des acteurs régionaux, de l’autre, la définition des programmes éducatifs, compétence restée régalienne.

Dans un autre domaine, l’étude de Jérôme Aust, Cécile Crespy et Audrey Vézian revient sur les carrières d’élus régionaux investis dans les politiques d’enseignement supérieur et de recherche. Certaines trajectoires montre la constitution de véritable leadership politique. En misant sur « la quotidienneté, la visibilité, l’investissement dans l’innovation et le savoir » (p. 19), les acteurs régionaux cherchent à défendre leur domaine d’intervention qu’ils partagent avec d’autres institutions (Europe et État), conscients que leur « abstention sur ces politiques est alors perçue comme un risque électoral » (p. 123). Les auteurs montrent que, si les rapports de force politiques pèsent sur l’action des élus régionaux, ces derniers sont également influencés par leurs trajectoires professionnelles et leurs réseaux interpersonnels. Sur ce point, le cas de l’exécutif de la région Rhône-Alpes est révélateur, à l’image du parcours de son premier vice-président, de la consécration au sein des instances politiques régionales d’experts bénéficiant d’une très forte assise professionnelle. En charge de « la politique de recherche en cancérologie au sein de l’exécutif régional », ce dernier est en même temps un « membre influent de la communauté académique » (p. 130), professeur d’université, praticien hospitalier et directeur du Centre de lutte contre le cancer de Lyon.

Des instruments d’action publique spécifiques

Même si les politiques régionales restent marquées par l’action étatique, notamment à travers les questions de financement public et d’expertise, traitées principalement au sein des directions ministérielles, les régions sont aussi devenues des « lieux d’innovation » dans les pratiques et la mise en place d’outils administratifs (dispositifs propres de pilotage, montages financiers). Ces éléments nuancent ainsi le poids de l’État dans l’orientation et l’appréciation des politiques publiques régionales.

Plusieurs contributions montrent, en effet, qu’il existe des outils et des modalités d’action innovantes, incarnés et portés à l’échelle de ce territoire. Certains auteurs reviennent ainsi sur la façon dont les régions définissent ou tentent de définir leurs champs et leurs périmètres d’action pour mieux se positionner à mi-chemin entre l’État « matrice historique des politiques publiques » et l’Europe « nouvel horizon d’action des politiques publiques » (p. 133). Dans certains cas, des outils institutionnels comme les schémas régionaux ou encore les contrats territoriaux (Anne-Cécile Douillet, Alain Faure) sont imaginés pour mieux orienter l’aménagement des espaces régionaux. Ailleurs, ce sont des dispositifs d’encadrement des négociations qui sont imaginés, comme les Contrats de plan État–région (CPER). Ces instruments d’action publique introduisent des enjeux nouveaux en matière de démocratie participative. Sur ce point, l’étude de Guillaume Gourgues éclaire les nouvelles pratiques de négociation et de décision de l’action publique. En insistant sur les disparités qui existent d’une région à une autre, l’auteur conclut à une institutionnalisation de dispositifs de participation tout en mettant en évidence « l’apparition d’une forme spécifique de “gouvernement” » (p. 273). L’étude de Marc Leroy fait, elle, le constat que la régulation financière, définie comme « mise en compatibilité des enjeux et des priorités des acteurs et [la] dérivation des principes formels vers des règles opératoires d’action publique » (p. 235), constitue un outil d’harmonisation des régions françaises selon une logique néolibérale de compétitivité.

Ainsi, selon les modes ou les outils d’action publique analysés, les conclusions divergent sur l’efficacité et l’application des politiques régionales sans, pour autant, remettre en cause le fait que la région existe comme échelon territorial pertinent et comme référentiel d’action publique. En s’ouvrant à la comparaison (Alain Faure) ou en optant pour des approches plus théoriques de l’action publique régionale, plusieurs contributions (Alistair Cole, Guillaume Gourgues, Jean-Pierre Gaudin) reviennent sur les spécificités de la « régionalisation à la française » (expérimentations participatives, existence d’institutions démocratiques élues, etc.) et posent des questions stimulantes sur les transferts de compétences liés à la décentralisation et sur les enjeux de la réforme territoriale aujourd’hui en discussion.

Quelle place pour les régions dans la gouvernance territoriale ?

Enfin, une autre question soulevée par l’ouvrage, et sur laquelle insistent tout particulièrement les auteurs des chapitres conclusifs, porte sur la place réelle qu’occupent les régions dans la gouvernance, que ce soit sur le plan national, local ou européen. Sur ce point, le jugement de certains est sévère sur le rôle indécis de cet acteur territorial, concurrencé par d’autres niveaux institutionnels. La région peine à s’imposer dans le processus de la décision publique. Selon Vincent Simoulin, au regard des réformes actuelles, la région se chercherait toujours « entre gouvernement de l’impuissance et gouvernement à distance » (p. 296).

Bien que centré sur la France, l’ouvrage propose des comparaisons avec d’autres régions européennes sont proposées (Alain Faure, Alistair Cole). Ces contributions nourrissent le débat sur le phénomène régional et permettent de brosser un tableau de la diversité des modes de gouvernance de ces territoires régionaux. De l’agence autonome en Angleterre à la circonscription administrative française, en passant par les « gouvernements identitaires » en Écosse ou Catalogne (Alistair Cole, p. 187), les modèles de régionalisation animent le débat public. En revenant sur les différentes dimensions régionales de l’Europe, l’ouvrage interroge la gouvernance territoriale, ses formes de régulation, son « multi-level governance » et son insertion dans le millefeuille administratif français et européen. Au final, cet ouvrage propose une approche renouvelée des politiques régionales et de leurs instruments d’action publique. Il analyse les jeux d’acteurs diversifiés tout en explorant les enjeux politiques de la réforme territoriale.

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Le numéro de la revue Pour mémoire (à paraître : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Pour-memoire-la-revue-du-Comite-d.html), qui reprend les travaux et débats de la journée d’études de juin 2010 sur les établissements publics (programme consultable ici : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/version6-travail-epr-2.pdf).

Pour citer cet article :

Marie-Clotilde Meillerand, « Trente ans de décentralisation : que font les régions ? », Métropolitiques, 25 janvier 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Trente-ans-de-decentralisation-que-font-les-regions.html

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