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Quai 9 : une salle d’injection au cœur de Genève

Le Quai 9 à Genève, géré par l’association Première Ligne, est une des premières expériences de mise en service d’un lieu d’injection et de consommation de drogues dans une grande ville d’Europe. En dix ans d’existence, elle témoigne de l’insertion réussie d’un lieu d’accueil d’usagers de drogues dans l’espace urbain.


Dossier : Quelle place pour les salles de consommation de drogues ?

Initiée politiquement dès 1991, la politique suisse en matière de drogues se décline formellement et matériellement en quatre piliers complémentaires : prévention, traitement, répression et réduction des risques. Elle vise ainsi à concilier dans une approche commune l’aide à la survie pour les personnes en situation d’addiction (distribution de matériel d’injection, salle de consommation à moindre risque) au plus proche de leurs conditions de vie quotidiennes et dans le respect de leur anonymat, avec les axes communs que sont la nécessaire prévention, les traitements médicaux et la répression. Cette politique s’illustre depuis vingt ans par son pragmatisme et son souci d’une évaluation constante des différentes expérimentations réalisées, que ce soit la prescription médicale d’héroïne – aujourd’hui reconnue comme probante et disposant d’une base juridique – ou encore les salles d’accueil et de consommation. Depuis 1986, dix-sept salles se sont progressivement ouvertes en Suisse, dont une à Genève : le Quai 9.

Une salle au cœur de la ville

Placé à proximité immédiate de la principale gare ferroviaire de Genève et d’un quartier populaire (le quartier des Grottes), le Quai 9 a ouvert en 2001 et est géré par Première Ligne, association genevoise de réduction des risques, qui a systématiquement veillé à son insertion dans le tissu urbain et à son appropriation non seulement par les usagers mais aussi par son voisinage immédiat.

L’implantation d’une salle d’accueil et de consommation ne peut en effet se réaliser sans soigneusement soigner ses relations avec le tissu urbain environnant. Ainsi, en amont et à l’ouverture de la salle, un intense travail d’information et d’explicitation a été mené en direction du quartier et de ses principaux acteurs. Des débats ont été organisés avec la population, en y incluant la participation de représentants du corps médical, de la police et des autorités politiques. Ces débats ont permis de mieux appréhender les actions du Quai 9, de les contextualiser et, surtout, de construire un espace d’échange constructif dans lequel chacun a pu travailler ses représentations et entendre l’autre, qu’il soit habitant, artisan, commerçant ou travailleur social. Pour l’association Première Ligne, ce fut également l’occasion de construire des dispositifs pertinents pour « construire » l’intégration d’un tel lieu. Ainsi, au fil du temps, différents dispositifs ont été mis en place pour prévenir et gérer les conflits de voisinage.

En premier lieu, nous avons initié des soirées de voisinage, qui avaient pour objectifs la rencontre, l’expression des doléances et la recherche de solutions. Ces soirées ont eu lieu de manière très régulière durant les premières années d’existence du Quai 9, puis se sont espacées et transformées en soirées publiques sur des thèmes divers en lien avec l’usage de drogues, ouvertes aussi aux membres de notre association et au réseau plus large des acteurs « socio-sanitaires » à Genève. Ces soirées publiques ont donné lieu en particulier à des séances de sensibilisation et de formation pour les concierges qui ont par la suite été intégrées directement dans la formation officielle des concierges gérées par notre voisine, l’Université ouvrière de Genève.

En parallèle, nous avons développé un journal (Quoi de 9 au Quai 9) avec pour ambition de tenir nos voisins le mieux informé possible du travail qui est mené au sein du local. Ce journal, aujourd’hui remplacé par Première Ligne, est distribué dans toutes les boîtes aux lettres du quartier et disponible sur notre site (www.premiereligne.ch), au même titre que d’autres informations.

Un dispositif inédit qui responsabilise les usagers de drogue

Parmi les dispositifs les plus originaux, il faut citer aussi le développement d’un programme de ramassage de seringues, piloté par Première Ligne mais mis en œuvre par les usagers eux-même. Né du constat que de trop nombreuses seringues se trouvaient encore sur l’espace public ou semi-privé (halls d’immeubles par exemple), ce programme vise plus fondamentalement un travail de responsabilisation des usagers vis-à-vis de leur environnement social et spatial. Ce programme fonctionne sans discontinuer depuis novembre 2002. De six jours par semaine, nous l’avons récemment augmenté à sept jours sur sept, avec des sorties matin et après midi. En fonction des sollicitations et des observations, nous avons élargi plusieurs fois notre périmètre d’intervention, qui ne se limite depuis bien longtemps plus seulement au quartier des Grottes. Environ deux mille à deux mille cinq cent seringues sont ramassées chaque année par notre équipe d’usagers consommateurs transformés en « agents de prévention communautaire », auxquelles s’ajoute l’élimination de déchets et traces de consommation. Rappelons par ailleurs qu’environ 90 % des seringues délivrées sont directement ramenées dans nos structures par leurs utilisateurs. Le ramassage de seringues a été un facteur majeur d’intégration dans le quartier, le voisinage constatant visuellement (diminution des seringues abandonnées et des déchets, équipe dotée de vestes siglées « Première Ligne ») que nous avons adopté des mesures concrètes pour répondre à ses préoccupations.

Un espace de régulation reconnu

Il est intéressant aujourd’hui de dresser un bilan des relations établies depuis 2001 avec le voisinage. Coincé entre des carrosseries vétustes les premières années, ghetto urbain enfoncé au cœur des panneaux et des machines de chantier durant les travaux environnants par la suite, le Quai 9 est petit à petit sorti de l’ombre sur son îlot situé en plein centre ville. L’agrandissement des locaux et leur mise en évidence par le choix d’une couleur vert pétante considérée comme audacieuse et se mariant bien avec le voisinage ont non seulement permis de répondre à l’évolution des pratiques de prise de drogue (mise en place d’un nouveau local d’inhalation notamment), mais également d’affirmer et de confirmer la présence et l’importance du local d’accueil et de consommation dans le quartier des Grottes.

Si le Quai 9 a pu devenir un acteur et un espace de régulation utile au quartier, c’est en raison des capacités de réponses rapides que nous pouvons apporter à toutes les sollicitations des voisins, par exemple lorsqu’ils ont été confrontés à une situation délicate, comme la présence d’un usager en train de s’injecter dans une allée. La réactivité que nous manifestons concrètement est nécessaire et contribue à renforcer la crédibilité de notre travail. En collaboration avec la police, nous faisons aussi attention à ce que le Quai 9 et l’espace proche ne devienne pas une zone de non-droit.

Il nous semble que le voisinage concerné a finalement accepté la présence du Quai 9, en tout cas aussi bien que cela puisse être possible. Certains préféreraient bien évidemment que l’on éradique la consommation et le trafic de drogues et d’autres préféreraient qu’un tel lieu ne soit pas dans leur quartier.

Bien sûr, il existe quelques situations insatisfaisantes. Elles proviennent notamment de personnes tellement désocialisées, vivant essentiellement dans la rue, qu’elles en oublient parfois le monde environnant. Les collaborateurs-trices du Quai 9 travaillent sans relâche pour que le voisinage ne soit pas oublié par ces consommateurs, malgré leur situation et leur degré de désinsertion sociale. Mais nous remarquons que même dans ces situations, les voisins se montrent compréhensifs, touchés par les conditions de vie de ces personnes. Ils sont souvent beaucoup plus sévères avec les dealers, considérés comme marchands de mort profitant de la détresse et de la vulnérabilité.

Relevons que de nombreuses personnes nous ont dit avoir apprécié le changement d’allure de nos locaux : nous n’avons jamais reçu autant de félicitations et de marques d’estime que depuis que nous avons agrandi et repeint nos locaux. On y voit maintenant un bâtiment moderne, intégré dans le tissu urbain, et non plus un container de chantier. Cette appréciation du changement par ses riverains est peut-être le meilleur symbole de la reconnaissance progressive par la population de notre action en faveur des usagers de drogues.

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Le site web de Quai 9

Un reportage photo au Quai 9

Pour citer cet article :

Yann Boggio & Christophe Mani, « Quai 9 : une salle d’injection au cœur de Genève », Métropolitiques, 23 mars 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Quai-9-une-salle-d-injection-au.html

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