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Photographie : Violette Mével.
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Le permis de louer : un outil innovant dans la lutte contre l’habitat indigne

Le permis de louer a été créé en 2014 pour lutter contre les locations indécentes et les marchands de sommeil dans le parc privé. Violette Mével s’intéresse aux innovations qu’il apporte dans la lutte contre l’habitat indigne et à la manière dont les collectivités se sont saisies de cet outil.

Le 23 octobre 2023, Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire de Mulhouse, présentent leur rapport de mission Hanotin-Lutz (Hanotin-Lutz 2023) qui contient vingt-quatre propositions d’outils relatifs à l’habitat et à l’urbanisme visant à améliorer la lutte contre l’habitat indigne. Parmi celles-ci, figure le renforcement du dispositif du permis de louer. Dans le domaine de la lutte contre l’habitat indigne, le permis de louer ou « autorisation préalable de mise en location » est en effet récemment apparu comme une réponse innovante aux problématiques d’habitat dégradé sur le marché locatif privé.

Consacrée par la loi ALUR du 24 mars 2014 et mise en œuvre par un décret du 19 décembre 2016, l’autorisation préalable de mise en location a été créée avec l’ambition d’offrir aux pouvoirs publics un outil supplémentaire pour accompagner la résorption de l’habitat indigne et pour lutter contre les marchands de sommeil. Afin d’analyser les innovations qu’il apporte et la manière dont les acteurs publics s’en saisissent, cet article se fonde sur les témoignages de plus d’une quinzaine d’acteurs de la ville et du logement travaillant avec cet outil [1].

À ce jour, le permis de louer est utilisé dans près de 400 communes françaises [2], incluant les métropoles de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier ou encore Rouen. Sa mise en œuvre consiste en la définition, par l’autorité en charge de l’habitat, d’un périmètre au sein duquel les propriétaires de logements privés doivent obtenir une autorisation avant de mettre celui-ci en location (à la différence de la déclaration préalable de mise en location, l’autorisation est obligatoire pour les propriétaires souhaitant louer leurs biens). L’obtention de cette autorisation nécessite la démonstration du respect des critères de décence via un formulaire dédié ainsi que la remise d’un dossier de diagnostics techniques, obligatoire dans les contrats de location. Des visites peuvent être organisées par la collectivité afin d’observer des désordres difficilement repérables avec le seul diagnostic technique (humidité, système de ventilation non conforme, parties communes détériorées). L’absence de refus de l’autorité sous un mois vaut autorisation tacite pour le propriétaire de louer son bien jusqu’à l’arrivée d’un nouveau locataire. En revanche, le contrevenant qui ne ferait pas de demande d’autorisation préalable, même s’il pourrait louer, se voit sanctionné par une amende.

La non-décence, une notion relevant jusqu’alors du droit privé

Les politiques actuelles de lutte contre l’habitat indigne en France se caractérisent pour la plupart par un système de signalement et visent à répondre à une mise en danger de l’occupant du logement et des riverains. Une de ces procédures est liée à l’état de non-décence, qui peut être considéré comme le premier stade de dégradation d’un logement. Ce stade se caractérise par le manquement à des critères d’équipement et de confort et par la présence de risques pour la sécurité ou la santé des occupants [3] : par exemple, une surface d’habitation inférieure à 9 m2 ou la présence de nuisibles et de parasites dans le logement [4].

Figure 1. Schéma représentatif des différents stades de dégradation de l’habitat

Institut Paris Région et Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, 2018. Voir en ligne L’Habitat indigne et dégradé en Île-de-France. État des lieux des enjeux et des politiques, Paris, p. 8.

Avant le permis de louer, la situation d’indécence d’un logement ne pouvait pas être affrontée par la puissance publique. En effet, dans le cadre d’une procédure liée à un logement indécent, le manquement aux obligations de décence décrites à l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 ne pouvait être démontré que par l’une des parties au contrat lié au bien visé. Il s’agissait ainsi d’un processus de droit privé. La Caisse d’allocations familiales pouvait invoquer cette notion pour geler la distribution des aides au propriétaire récalcitrant lorsque les travaux pour résoudre le désordre n’étaient pas effectués, mais cette mesure restait limitée à dix-huit mois et nécessitait toujours que le locataire ait agi au préalable pour notifier l’indécence du logement. C’est pourtant parfois l’imbrication et l’accumulation des petits désordres dans les logements qui conduisent à une aggravation des dommages et à des situations extrêmes d’indignité ou d’insalubrité. La prévention et l’intervention des autorités publiques dès les premiers signes de dégradation semblent donc indispensables pour prévenir de telles situations.

Le permis de louer constitue en cela une innovation : il permet à la puissance publique, dès la mise en location, d’extraire du marché les biens ne présentant pas les critères de décence requis et de prévenir ainsi les situations d’indignité et d’insalubrité en anticipant l’aggravation des dégradations au sein des logements. Son obtention ne constitue pas pour autant un « passe-droit » empêchant les recours en cas de dégradation du logement auprès des autorités publiques [5]. Mais il a le mérite d’assurer le respect des critères visés dans ces procédures dès la mise en location et de ne pas bloquer le locataire dans des procédures lourdes et fastidieuses.

Pour lutter contre la non-décence, inverser la charge de la preuve

Le schéma du traitement des situations de non-décence produit par la Caisse d’allocations familiales d’Ille-et-Vilaine (figure 2), département où n’est pas mis en œuvre le permis de louer, illustre bien la chronophagie du processus de reconnaissance et de résolution des problématiques d’indécence pour le locataire. Si une grande partie des conflits, qui ne sont pas toujours le fait d’un bailleur de mauvaise foi, sont réglés à l’amiable, les démarches judiciaires et administratives, lorsqu’elles sont nécessaires, constituent un véritable parcours du combattant pour celui qui les entame. En effet ces procédures, qui ne peuvent se résoudre que devant les tribunaux, laissent au locataire la charge de la preuve, face à une partie adverse souvent mieux informée et davantage équipée pour les mener. De plus, la justice demande à ce qu’il y ait, pour que soit reconnue la situation d’indécence, cumul des manquements aux critères de décence ou que la démonstration du caractère inhabitable du logement soit faite pour prononcer un remboursement des loyers versés, sans quoi une cessation de paiement constitue une faute du locataire [6].

Figure 2. Schéma récapitulatif du traitement des situations de non-décence

Source : Agence départementale d’information sur le logement d’Ille-et-Vilaine et Caisse d’allocations familiales d’Ille-et-Vilaine, 2011. Voir en ligne Pour la décence des logements en Ille-et-Vilaine, p. 30-31.], Paris, p. 8.

L’innovation majeure dans le domaine de la lutte contre l’habitat indigne réside ici : le permis de louer offre une réponse à la lourdeur et à l’inefficacité des procédures de traitement de l’indécence en inversant la charge de la preuve et en exigeant du propriétaire qu’il démontre auprès de l’administration la décence de son logement avant même que celui-ci ne soit proposé à la location.

Le permis de louer s’avère en outre également utile aux professionnels de l’immobilier. Si beaucoup s’y étaient opposés, se considérant déjà suffisamment contraints à ces normes dans le cadre de leur activité (Torrollion 2019), la mise en place de l’outil dans différents territoires a montré que tous n’appliquaient pas de la même manière leur devoir de transparence et d’information sur les biens loués : de nombreux baux s’avéraient dépourvus de diagnostic technique ou disposaient d’un diagnostic obsolète. Le permis de louer constitue donc un outil d’harmonisation des pratiques. Enfin, pour les bailleurs, il est un outil de valorisation de leurs biens puisqu’il permet d’attester de leur qualité.

L’introduction de l’autorisation préalable de mise en location constitue ainsi une première amélioration dans la gestion des problématiques d’indécence pour les locataires. Mais elle a également constitué un défi pour les collectivités qui ont souhaité la mettre en place.

Contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil, une efficacité limitée

Le permis de louer a été créé dans le but d’accompagner la résorption de l’habitat indigne et de lutter contre les pratiques des « marchands de sommeil ». Les entretiens menés auprès des agents territoriaux de collectivités l’ayant mis en place révèlent qu’il constitue d’abord et surtout pour eux un outil de veille sur les logements du parc privé et un outil de repérage des situations potentiellement problématiques. Il permet, par l’obtention des diagnostics techniques dans les dossiers d’autorisation d’une part, par les visites potentielles des logements d’autre part, de collecter une quantité importante d’informations sur le parc de logement entrant dans le périmètre du permis de louer. Ces visites permettent de faire état d’éventuelles dégradations des parties communes ou d’observer des désordres non identifiables dans les diagnostics techniques (informations difficilement accessibles autrement puisque les visites des immeubles nécessitent des motifs justifiés).

La majorité des agents interrogés sur ce sujet s’accordent ainsi à dire que le permis de louer constitue un outil de repérage et de suivi efficace, mais que pour qu’il mène à une réelle action de résorption de l’habitat indigne, il doit nécessairement s’inscrire dans une démarche globale volontaire d’amélioration de l’habitat au sein de la collectivité. La collectivité doit se doter d’outils et de dispositifs complémentaires, comme des actions de sensibilisation et d’accompagnement des propriétaires, ou des aides financières à la rénovation afin de s’assurer qu’en cas de refus du permis, le bien puisse faire l’objet des travaux nécessaires et revenir rapidement sur le marché locatif. Faute de quoi, le bien risque de rester vacant ou de (re)faire l’objet d’une location hors du cadre institutionnel. Les politiques d’amélioration de l’habitat requièrent, de manière générale, des moyens financiers et humains importants, qui déterminent fortement leur efficacité. Ce point est soulevé par de nombreux responsables de services « Habitat », spécifiquement sur le permis de louer : le coût de l’outil reste élevé et certains ne sont pas en mesure de fournir les moyens humains pour l’utiliser efficacement. Par conséquent, le niveau d’exigence de la collectivité dans le traitement des demandes, des diagnostics, des visites et de la réalisation des travaux diffère d’une commune à l’autre, et ne conduit pas pour toutes à une réelle dynamique d’amélioration de l’habitat. Des élus ont proposé d’instaurer un droit de timbre, afin d’éviter qu’il ne constitue un « outil dormant ». Si certaines communes ont fait le choix d’appliquer un prix forfaitaire pour chaque instruction, dans la majorité des collectivités l’ayant mis en place, celle-ci reste gratuite.

Quant à la lutte contre l’activité des « marchands de sommeil », elle requiert en réalité un suivi des transactions distinct de la seule administration des demandes d’autorisation de mise en location. Les agents des services « Habitat » instruisant le permis de louer scrutent régulièrement, en parallèle, les plateformes comme Leboncoin, Facebook Marketplace pour repérer les annonces de biens non déclarés. La procédure à elle seule n’est donc pas suffisante pour lutter contre des comportements qui, par définition, contournent les institutions.

L’autorisation préalable de mise en location a été mise en place assez récemment et ses effets à long terme ne sont pas encore bien connus. Les premiers retours d’expériences de déploiement de l’outil montrent les limites de l’intervention publique dans le domaine des politiques de lutte contre l’habitat indigne, compte tenu du coût financier et humain qu’elles représentent et des moyens insuffisants dont les collectivités disposent. Si le permis de louer peut constituer un outil efficace pour repérer, sur un territoire donné, les situations de dégradation de logements et enclencher une dynamique de remise aux normes, il nécessite, pour être pleinement efficace, une véritable volonté politique des collectivités et de l’État pour allouer les moyens nécessaires à la réhabilitation des immeubles concernés. Comme l’exprime bien le député de la deuxième circonscription de Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu : « Ces nouveaux dispositifs peuvent être un des aspects de la réponse mais aucune solution ne réglera le problème seule. Il faut faire feu de tout bois dans la lutte contre l’habitat indigne [7]. »

Bibliographie

Pour aller plus loin :

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Pour citer cet article :

Violette Mével, « Le permis de louer : un outil innovant dans la lutte contre l’habitat indigne », Métropolitiques, 29 avril 2024. URL : https://metropolitiques.eu/Le-permis-de-louer-un-outil-innovant-dans-la-lutte-contre-l-habitat-indigne.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2032

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