Parcoursup désigne cette nouvelle plate-forme gouvernementale en ligne sur laquelle les lycéens doivent inscrire leurs choix pour la suite de leurs études dans l’enseignement supérieur. Si les taux de réponses positives des candidat·e·s étaient assez bas dans les premiers jours des résultats (à peine 50 % des demandes), plus des trois quarts des candidats ont désormais reçu une réponse positive.
Ce n’est donc pas cet aspect de la réforme qui doit nous inquiéter. Nous pourrions également passer outre son caractère antidémocratique, sa mise en place ayant commencé avant la promulgation de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) en mars 2018. Idem pour le manque de temps avec lequel les candidats ont dû appréhender le nouveau système – alors que l’on sait déjà (Frouillou et Le Mazier 2018) que la compréhension du système post-bac est socialement discriminante et que la réforme emporte le risque d’une mise à l’écart des jeunes issus de milieux populaires.
Des universités parisiennes moins accessibles aux lycéens de banlieue
Ce sont les enjeux sociaux et territoriaux du nouveau dispositif qui nous importent ici, et le risque de voir s’accentuer certaines dynamiques en cours. Avant 2018 et l’introduction de Parcoursup, d’autres dispositifs avaient déjà pour effet d’exclure une partie des candidats franciliens hors Paris. La priorité donnée aux étudiants habitant l’académie rendait quasi inaccessibles les filières universitaires les plus demandées des établissements parisiens, posant ainsi la question du renforcement des effets de la ségrégation résidentielle sur la ségrégation universitaire. Le dispositif APB (Admission post-bac), qui donnait la priorité aux lycéens résidant dans l’académie avant la phase de tirage au sort, avait déjà pour effet de réduire les possibilités d’accès aux filières les plus tendues pour les habitants des banlieues. D’autres universités, comme l’université Paris-Dauphine, possédaient déjà un algorithme de tri des candidatures hors Parcoursup (Boléro), qui tient explicitement compte des lycées d’origine.
Ainsi, si les inégalités territoriales d’accès à l’enseignement supérieur ont une épaisseur historique qui précède Parcoursup, l’introduction de ce nouveau dispositif nous semble présenter le risque de leur accroissement. Loin de chercher à répondre aux enjeux des inégalités de réussite scolaire qui préexistent à l’entrée dans le supérieur et aux inégalités matérielles (transport, logement) qui les nourrissent, le dispositif étend à l’ensemble des formations du supérieur, au-delà des seuls établissements qui procédaient déjà à une sélection, des processus qui remettent en cause la démocratisation (Bugeja-Bloch et Couto 2018) de l’accès à ce service public.
Ces questions sont problématiques en soi, et l’opacité du système Parcoursup, en particulier celle des critères de décision permettant aux établissements de l’enseignement supérieur de choisir celles et ceux qui pourront passer leur porte, vient de nouveau soulever ces enjeux.
Au niveau national, l’analyse (Ouattara 2018) du code source de la plateforme indique qu’en plus des quotas minimums de boursiers, il existe des quotas maximums de candidats hors académie, prévus pour toutes les licences universitaires. Or, contrairement aux quotas de boursiers qui ont été publicisés sur la plateforme (voir figure 1), nous ne disposons que d’informations très parcellaires concernant les quotas « hors académie » acceptés par les différentes filières des différents établissements. Les quelques informations qui ont été publiées tendent à montrer qu’en effet, les filières très demandées de Paris intra-muros restent quasiment fermées aux lycéens hors Paris, avec des quotas maximums extrêmement faibles, qui atteignent seulement 1 % ou 2 % de lycéens hors académie dans certaines filières, mais sans que nous puissions en savoir beaucoup plus.
Nous savons seulement que ces quotas sont fixés sous l’autorité du recteur et qu’ils ont probablement été négociés entre recteurs et présidents d’université, qui plus est bien après le moment où les lycéens ont effectué leurs candidatures. C’est d’ailleurs un point qui mérite d’être mis en évidence : même en admettant la logique fortement contestable de la réforme, comment justifier qu’on ait laissé les lycéens formuler leurs vœux sans les informer sur leurs chances réelles d’être acceptés dans les établissements situés en dehors de leur académie ? Dans une absence totale de transparence, il nous est seulement possible de supposer que ces modalités ont produit au moins autant, voire plus, d’effet d’éviction des lycéens de banlieue qu’APB.
L’opacité des critères locaux de sélection
Au niveau des établissements recevant beaucoup de demandes, nous constatons la même opacité. Ces derniers ont eu la possibilité de mettre en place leurs propres outils, dits « algorithmes locaux », et de pondérer les critères de leur choix, en amont de l’examen des dossiers et des lettres de motivation. Ces algorithmes définis par les établissements poussent le niveau de détail comme APB ne l’a jamais fait : via Parcoursup, non seulement on peut consulter les notes, le comportement en classe, mais également les éventuels séjours à l’étranger, les compétences linguistiques, en plus du lycée d’origine.
Certes, la prise en compte du lycée d’origine était déjà possible (et probable) dans les filières non sélectives avant 2018 ; d’autre part, les licences non sélectives les plus demandées des facs intra-muros étaient déjà largement fermées aux lycéens de banlieue. Parcoursup ne modifie pas ces tendances, mais nous nous demandons s’il les renforce et il importe que nous puissions être en mesure de le vérifier.
C’est donc bien l’opacité de ces outils qui inquiète. Sur ce point, je n’ai obtenu aucune réponse du ministère, et je n’ai de cesse de demander à la ministre la transparence sur des modalités de sélection des candidats.
À l’heure actuelle, les chiffres manquent pour tirer des conclusions fermes et personne n’est en mesure de mesurer l’effet de Parcoursup sur les discriminations territoriales. C’est pourquoi il importe que les critères locaux de sélection soient connus, ou qu’a minima nous disposions des résultats d’admission au niveau des établissements et en fonction des filières. À l’heure actuelle, seules les données concernant les demandes effectuées, mais pas les résultats, ont fait l’objet d’une publication (Genevois 2018) cartographique par le ministère. Les données recueillies par les contre-plateformes mises en place par les syndicats enseignants ne permettent pas de savoir s’il existe un effet strictement géographique : « Dans le 93, le taux de non-réponse selon ce questionnaire est de 56 % », indique Leïla Frouillou (Donada 2018), maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Nanterre. « Mais sans croiser ces informations avec la filière, cela ne veut pas dire quand-chose […] et nous n’avons pas assez de réponses pour fournir des informations exploitables croisant filières et départements. »
Avec l’ajout au dossier d’un curriculum vitae et d’une lettre de motivation, qui favorisera probablement les candidats issus des milieux aisés, Parcoursup pourrait renforcer encore davantage la logique de sélection sociale à l’œuvre dans l’enseignement supérieur, au détriment de l’accès et de la réussite des classes populaires à l’université. Fanny Bugeja-Bloch et Marie-Paule Couto montrent (Bugeja-Bloch et Couto 2018) ainsi comment la loi ORE et l’amendement Grosperrin1, qui vise à définir les capacités d’accueil des différentes formations en fonction des taux de réussite, risquent de rendre plus difficile l’accès à l’enseignement supérieur des femmes issues de milieux populaires.
L’ambiguïté des quotas géographiques
Si l’assignation territoriale à des établissements inégalement financés et inégalement prestigieux est évidemment problématique, il ne s’agit pas nécessairement de remettre en cause l’introduction de quotas géographiques. Mais comme dans le cas du taux d’étudiants boursiers, il importe que ces quotas servent une politique ambitieuse de promotion des opportunités pour les étudiants les moins bien dotés et pas celle de leur relégation dans les établissements extra-muros, ou pire, celle d’une aspiration des meilleurs étudiants du territoire national vers les seuls établissements parisiens.
L’objectif, fixé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement, de faire accéder 80 % d’une classe d’âge au bac a été un formidable moteur de massification à l’université. Mais la démocratisation n’est pas encore au rendez-vous. Le « tri social », particulièrement flagrant dans les grandes écoles de type Sciences Po ou écoles de commerce, a cours dans l’ensemble du système, et encore aujourd’hui, seuls quatre enfants d’ouvriers sur dix accèdent à l’enseignement supérieur, contre huit sur dix chez les enfants de cadres.
En tant que président d’un département où un habitant à trois fois moins de chances de trouver un emploi, où 80 % de jeunes « perçus comme Noirs ou Arabes » sont victimes de délit de faciès [1], je ne connais que trop bien les discriminations auxquelles un grand nombre de nos concitoyens, notamment jeunes, sont confrontés. Je ne supporte plus qu’on nous promette l’égalité des droits dans les discours, pour ensuite se cacher derrière des algorithmes obscurs et arbitraires.
La mise en place d’un nombre minimum d’étudiants boursiers dans les établissements de l’enseignement supérieur, dont se targue la ministre, n’est que de la poudre aux yeux. En se contentant de 2 % de boursiers en licence de droit à Paris-1, tout en fixant un taux de 18 % à Paris-13 ou 16 % à Paris-8, le gouvernement ne fixe pas de cap ambitieux en matière de mixité sociale et territoriale. Ces effets sont renforcés par les modalités de la sectorisation et par l’obligation (Pech 2018), pour les universités parisiennes, de recruter une très faible part de candidats issus de banlieue.
Source : Données Parcoursup, calculs de Milan Bouchet-Valat, Marie-Paule Couto et Léonard Moulin, graphique publié par M.-P. Couto le 3 juin 2018.
Plutôt que d’un outil opaque et discriminant, ce dont l’université a besoin, c’est d’une politique publique à la hauteur des enjeux, qu’il s’agisse de l’augmentation du nombre d’élèves en études supérieures ou de l’investissement dans ces filières. L’enseignement supérieur souffre depuis des années d’un manque d’argent chronique. Thomas Piketty montre (Piketty 2017) ainsi qu’entre 2008 et 2018, l’investissement public par étudiant a baissé de 10 % et estime le besoin de financement de l’université à un milliard d’euros supplémentaires par an. Comment, sans cela, nous donner les moyens de faciliter l’entrée et la réussite des classes populaires dans l’enseignement supérieur ?
Bibliographie
- Bugeja-Bloch, F. et Couto, M.-P. 2018. « Le Parcoursup des filles. Classe et genre à l’université », La Vie des idées, 1er juin.
- Donada, E. 2018. « Parcoursup : les élèves sont-ils discriminés en fonction de leur origine géographique ? », Liberation.fr, « Checknews », 30 mai.
- Frouillou, L. et Le Mazier, J. 2018. « Sélection à l’université : de la reproduction sociale à l’exclusion », Liberation.fr, 17 janvier.
- Genevois, S. 2018. « Que vaut la data map qui géolocalise les vœux des candidats sur Parcoursup ? », Cartographie(s) numérique(s) [en ligne], 28 mai.
- Ouattara, G. 2018. « Que révèle une première analyse du code source de Parcoursup ? », Lemonde.fr, 22 mai.
- Pech, M.-E. 2018. « Parcoursup : comment Paris évince les lycéens de banlieue », Lefigaro.fr, 11 juin.
- Piketty, T. 2017. « Budget 2018 : la jeunesse sacrifiée », Lemonde.fr, 12 octobre.