La Visitation est une cité de taille moyenne, située dans les quartiers industriels au relief accidenté du nord de Marseille. Le plus souvent, les nouvelles provenant de ces « quartiers Nord » parlent de drogue, de violence et de mort. Cependant, les gens de l’extérieur qui regardent de plus près la vie de la cité contredisent presque invariablement les stéréotypes. Parallèlement à la pauvreté et à la criminalité qui existent effectivement, ils rencontrent des familles originaires de tout le bassin méditerranéen qui, avec leurs voisins, tentent de créer un environnement de vie qui soit sûr pour leurs enfants, souvent avec l’aide d’institutions locales et régionales.
Caractérisé par des taux de chômage continuellement élevés, près d’un quart de la population marseillaise – près de 200 000 personnes – vit dans les ensembles de logement qui sillonnent le paysage du nord de Marseille, fait de crêtes et de vallons. Entaillés de toutes parts de routes et d’autoroutes, ces quartiers semblent se déverser jusqu’au port, aujourd’hui commercial et désindustrialisé, qui s’étend sur des kilomètres le long de la côte jusqu’à l’Estaque. Avec ses 600 habitants qui vivent dans des immeubles de quatre étages, la Visitation est moins densément peuplée que la plupart des autres cités, mais c’est aussi l’une des plus isolées, perdue au milieu d’entrepôts dont beaucoup sont désaffectés. Comme dans la plupart des cités, la population de la Visitation est largement composée de gens venant du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, de Français d’origine nord-africaine et de Roms, soit d’origine est-européenne, soit espagnole.
À l’occasion d’une « résidence » de chercheur à l’Institut méditerranéen d’études avancées (IMERA) en 2014‑2015, j’ai visité un certain nombre de cités, au sein desquelles mes guides m’ont dirigé vers des lieux d’accueil où je pouvais me détendre et rencontrer des résidents, curieux de rencontrer un New-Yorkais et d’échanger des histoires sur la vie en ville (Kornblum 2015). À la Visitation, ce lieu d’accueil était un petit local commercial récemment transformé, grâce à l’initiative de certains habitants, en un centre social et culturel. Connu simplement sous le nom « le local », il est adjacent à l’épicerie du coin, le seul commerce de la cité à moins de vingt minutes à pied. Le fondateur du « local », qui en est aussi son manager – lorsqu’il peut – est Jean Silva, un jeune résident de la cité, co-fondateur également de We Records, un label local d’enregistrement de jeunes rappeurs marseillais. J’ai rencontré Jean par l’intermédiaire de Christiane Martinez, résidente et militante de la Visitation, rencontrée elle-même lors de marches « patrimoniales » qu’elle organise avec deux associations militantes exemplaires : la Coopérative Hôtel du Nord et Ancrage (Jolé 2012). Mes premières explorations dans les quartiers Nord, je les dois à l’origine à Christine Breton, auteure et conservatrice de patrimoine, qui s’est constitué, avec les résidents, une véritable expertise sur l’histoire et la valorisation du patrimoine de ces quartiers en cours de désindustrialisation (Breton 2015). J’ai aussi grandement bénéficié du « parrainage » de la sociologue de l’urbain Claire Duport, co-auteure avec le sociologue Michel Peraldi et le journaliste Michel Samson, de l’ouvrage récemment publié « Sociologie de Marseille » (Peraldi et al. 2015).
En retour, pour m’avoir aidé à trouver mon « ancrage ethnographique » à la Visitation, et dans l’idée de faire avancer leurs causes, j’offre à tous cette vidéo de deux minutes – ce que l’on appelle dans le monde de l’édition commerciale new-yorkaise un « sizzle piece » [1]. Manquant de temps et de ressources pour faire un long documentaire, j’ai utilisé des vidéos réalisées avec mes iPhone et iPad ainsi que des images et des séquences de vidéo de Marseille disponibles sur Internet. Avec l’aide d’un monteur professionnel – Noah Benezra des studios commerciaux de Rock, Paper, Scissors à Manhattan – nous avons produit un essai visuel qui a déjà retenu l’attention d’acteurs importants à Marseille.
La vidéo part de certaines idées sur la situation géographique de cette cité. Je voudrais insister sur le fait que la Visitation et d’autres cités, situées tout au long de l’avenue des Aygalades, sont des noyaux de concentration de population qui jalonnent un ruisseau (urbanisé) de montagne, le ruisseau des Aygalades. Affirmer que la Visitation et les autres cités s’étendent le long du ruisseau des Aygalades, c’est attirer l’attention sur un aspect essentiel, bien que négligé, du paysage : l’existence d’un cours d’eau qui reçoit les eaux des pentes du bassin versant urbanisé. Dans l’ensemble des quartiers Nord de la ville, il y a des aspects de nature et d’écosystème qui demandent attention et restauration.
Le ruisseau des Aygalades réhabilité, par exemple, participera nécessairement du renouveau de la vie urbaine de cette moitié de Marseille. C’est un constat que les jeunes gens de la Visitation et les associations font souvent face aux visiteurs lors des marches qu’ils organisent dans leur quartier. Cette petite vidéo met en lumière leurs efforts pour changer l’image de l’une de ces cités, la Visitation, mais il existe beaucoup d’autres exemples positifs de ce type d’engagement qui offriront l’opportunité au visiteur de découvrir la rapidité avec laquelle Marseille se transforme.
Bibliographie
- Breton, C. 2015. Hôtel du Nord – récits d’hospitalité de Christine Breton, Marseille : Éditions Commune.
- Jolé, M. 2012. « Hôtel du Nord. La construction d’un patrimoine commun dans les quartiers nord de Marseille », Métropolitiques, 4 janvier.
- Kornblum, W. 2015. « Letter From Marseille », Dissent, 17 janvier.
- Peraldi, M., Duport, C. et Samson, M. 2015. Sociologie de Marseille, Paris : La Découverte, coll. « Repères Sociologie ».