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Essais

La réorganisation des services urbains environnementaux

La distribution d’eau potable, l’assainissement et le traitement des déchets sont des services soumis à des recompositions institutionnelles censées les rendre plus aptes à gérer notre environnement et ses ressources naturelles. Qu’en est-il sur le terrain ?

La gestion de l’eau potable, de l’assainissement et des déchets s’est considérablement recomposée depuis les années 1980 en France, sous l’effet conjoint d’alertes écologiques relatives à la dégradation qualitative et quantitative des ressources naturelles, d’une prise de conscience sociopolitique et de l’institutionnalisation du domaine environnemental (Lacroix et Zaccaï 2010 ; Lascoumes 2012). Outre le renforcement réglementaire mettant désormais au centre des préoccupations l’exigence de qualité environnementale, c’est le système territorial des services publics, également appelés services urbains environnementaux, qui est modifié : réorganisation institutionnelle, développement des actions de responsabilisation des usagers des services, investissement de nouvelles échelles spatiales et modernisation des infrastructures techniques (réseaux d’eau potable et d’assainissement, usines de potabilisation, stations d’épuration, installations de traitement des déchets…).

L’émiettement des services publics : un héritage de la période hygiéniste

Le développement des services publics d’eau potable, des déchets, puis plus tardivement d’assainissement s’est fondé sur une approche hygiéniste remontant à la fin du XIXe siècle (Frioux 2013). Il a donné lieu à un vaste programme d’implantation des services et des infrastructures techniques à l’échelle communale (voire des petites intercommunalités), dans le but d’organiser les territoires urbanisés pour assurer de manière autonome une desserte universelle de ces services aux usagers, selon une logique de proximité. Fondé, certes, sur un certain volontarisme des élus locaux, désireux de développer leurs territoires aux plans socio-économiques et sanitaires, ce programme a été largement piloté par les services déconcentrés de l’État relevant du génie civil et sanitaire, et a bénéficié d’un important soutien des grandes entreprises de services urbains (la Lyonnaise des eaux – devenue Suez –, la Générale des eaux – devenue Veolia Eau – et la Saur).

Ce programme était à peine achevé, au cours des années 1980, quand de nouvelles problématiques environnementales (dégradation qualitative et raréfaction des ressources en eau, pollutions diverses provoquées par des installations de retraitement des eaux usées et des déchets…) ont conduit le législateur et les acteurs locaux à faire évoluer le problème de l’eau, de l’assainissement et des déchets vers un enjeu dit de sécurisation des services urbains environnementaux, comprenant la protection de l’environnement (Lejars et Canneva 2012 ; Caillaud 2013 ; Barbier et Roussary 2016). Autrement dit, il ne s’agit plus uniquement pour les services d’assurer leur mission de salubrité publique (distribuer de l’eau potable, évacuer les eaux usées, éliminer les déchets), mais également de garantir des prestations de qualité de manière pérenne, pour un coût économique et environnemental acceptable.

Au-delà des solutions techniques mobilisées pour sécuriser l’eau potable, l’assainissement et le traitement des déchets (abandons de captage et nouveaux forages, renforcement des dispositifs épuratoires, etc.) [1], les autorités nationales, soutenues par de nombreux élus locaux, cherchent à réformer l’architecture institutionnelle des services. Considérant leur émiettement (14 000 services d’eau potable, 21 000 services d’assainissement et plus de 3 000 services de gestion des déchets desservant l’ensemble des 35 414 communes françaises) comme étant inadapté aux enjeux de transversalité des problématiques environnementales (Muller 1990), les autorités nationales et leurs administrations développent alors un discours de rationalisation : la survie et la modernisation des services publics passeront par des regroupements intercommunaux élargis, permettant de gérer l’environnement et les services à une échelle jugée optimale.

Le territoire optimal existe-t-il ?

L’injonction à la rationalisation des services s’ancre autour de deux justifications : (i) clarifier le mille-feuille politico-administratif, en abandonnant les communes et les petits syndicats intercommunaux considérés comme archaïques, au profit de nouveaux découpages jugés plus modernes, comme les intercommunalités (communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines, métropoles) et les régions ; (ii) définir l’échelle territoriale optimale permettant à la fois d’embrasser la complexité des problématiques d’eau, d’assainissement et de déchets, d’assurer une solidarité entre riches et pauvres (tant au plan des ressources environnementales que des moyens économiques) et d’opérer des économies d’échelle.

Malgré le pouvoir attrayant de tels énoncés (qui pourrait décemment s’élever contre l’objectif de solidarité et de gestion équilibrée de l’environnement ?), ceux-ci sont aisément, et à raison, critiqués. Tout d’abord, l’idée d’une unique maille territoriale, proposant un périmètre de gestion soi-disant optimal, est une pure chimère (Offner 2006). La nature des problèmes environnementaux variant fortement d’un territoire à un autre (enjeux de qualité/quantité, espace rural/urbain, espace littoral/de montagne…), leur prise en charge exige un travail contingent de co‑construction entre acteurs (Caillaud 2015), qui s’accommode difficilement avec une règle spatiale prédéfinie. Cela se traduit donc par des stratégies de gestion territorialisées, impliquant des périmètres géographiques et des architectures institutionnelles diversifiés.

De plus, l’intérêt de regrouper des services au profit d’une structure intercommunale élargie est conditionné par l’état des ressources économiques (marier deux services pauvres ensemble ne fera jamais un service riche), environnementales (état des ressources en eau, types et qualités des aménités environnementales, etc.) et infrastructurelles (installations vétustes vs entretenues) de chaque collectivité, et dépend, en outre, des relations politiques historiques (concurrence vs soutien) qu’elles entretiennent (Barbier et Roussary 2016).

Enfin, accroître sans cesse la taille des services et généraliser l’interconnexion des réseaux peut exposer (paradoxalement) le service à de nouveaux risques plutôt que de le sécuriser : charges de gestion onéreuses ; surdimensionnement des infrastructures en cas d’économies d’eau et de déchets ; contamination d’un réseau de distribution d’eau potable plus vaste (affectant d’autant plus d’usagers), si une pollution apparaît.

C’est ainsi que, dans le secteur des déchets, le conseil départemental de la Mayenne a pris la compétence de leur traitement durant les années 2000, afin de pallier le déficit de moyens financiers des services publics locaux face aux besoins de rénovation des incinérateurs d’ordures ménagères. Dans le Haut-Rhin et en Gironde, les élus locaux ont plutôt opté pour la création de trois à cinq syndicats supralocaux destinés à traiter les déchets de leurs départements, la collecte demeurant l’affaire des services publics historiques. Ces syndicats ont été fondés sur les relations politiques qu’entretenaient antérieurement les services, et sur l’identification de bassins de vie suffisamment importants pour assurer une gestion économiquement viable des équipements de traitement des déchets. En matière d’eau, le Syndicat des eaux et d’assainissement d’Alsace-Moselle (SDEA) a été créé pour gérer la production et la distribution de l’eau potable des collectivités rurales du département du Bas-Rhin. Durant les années 2000, le syndicat a également pris la compétence de l’assainissement dans le but de gérer l’ensemble du cycle urbain de l’eau (de la protection de la ressource et son prélèvement au rejet des eaux épurées), avant de s’étendre à un périmètre interdépartemental, dans une logique de mutualisation des moyens. En Ille-et-Vilaine, face au déficit aigu des ressources en eau et du fait d’une pollution importante des sols et des rivières, les élus locaux et départementaux ont décidé en 1992 de réorganiser la gestion de l’eau potable selon un schéma pyramidal à trois étages : un syndicat départemental est chargé du pilotage stratégique de la sécurisation de l’eau potable ; six syndicats mixtes produisent l’eau potable du département ; environ 50 services locaux assurent la distribution aux usagers. Dans l’Aube, en raison d’antagonismes politiques favorisés par des problèmes moins aigus sur la ressource, les 180 services d’eau potable ont maintenu leur existence, néanmoins assistés techniquement par un syndicat départemental.

Figure 1. L’organisation du traitement des déchets dans le Haut-Rhin (1995)

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© Direction départementale des territoires (DDT) du Haut-Rhin, retravaillé par l’auteur.

Des échelles territoriales ajustées à la compétence du service

La rationalisation des services est donc en cours mais à un rythme relativement lent, comme en témoignent les rappels incessants du pouvoir central, par le biais de réformes territoriales [2]. Outre l’attachement des élus locaux à leurs services (et à leurs pouvoirs), cette semi-inertie provient de la difficulté pour les acteurs de terrain à s’accorder sur l’articulation entre politiques sectorielles et territoires d’intervention (Goeldner-Gianella et al. 2016).

Malgré ces obstacles, on assiste de plus en plus à une spécialisation des échelles spatiales de la gestion de l’eau, de l’assainissement et des déchets (Caillaud 2013). Ainsi, les compétences qualifiables de second ordre, c’est-à-dire celles consistant à ne gérer que le bon écoulement des flux, sont maintenues à l’échelle locale, pour des raisons invoquées de proximité et de réactivité à l’égard des usagers. Il s’agit, par exemple, de la distribution de l’eau potable et de la collecte des déchets et des eaux usées, qui sont le plus souvent portées par des communes ou de petites intercommunalités. A contrario, les compétences de premier ordre, telles que la production d’eau potable et l’élimination/épuration des déchets, se retrouvent davantage mutualisées sur des territoires plus vastes, du fait de leur degré stratégique en matière de sécurisation du cycle de l’eau, de l’assainissement et des déchets, nécessitant pour cela de gérer les interdépendances complexes avec d’autres secteurs.

Responsabiliser l’usager sans compromettre le collectif : nouvel enjeu des services urbains environnementaux

Enfin, l’enjeu de durabilité conduit les responsables des secteurs de l’eau potable, des déchets et de l’assainissement à passer de plus en plus d’une logique de gestion centrée sur la technique, à des actions de responsabilisation des usagers (Salles 2009), dans le but d’opérer une autorégulation et un contrôle à distance des comportements. Ces prétendument nouvelles politiques font appel à trois leviers principaux : des campagnes de communication des bonnes pratiques à destination des usagers (économie d’eau, antigaspillage, tri des déchets…) ; des dispositifs sociotechniques de surveillance et d’alerte (télérelève, télédétection des fuites…) ; des modalités de tarification du service fondées sur le degré d’utilisation de celui-ci (prix croissant du mètre cube d’eau potable et usée, redevance déchets au poids, au volume et/ou à la fréquence de collecte, comme y invitent la loi Brottes – 15 avril 2013 – et celle relative à la Transition énergétique pour la croissance verte – 17 août 2015).

Ces politiques traduisent ainsi une forme d’individualisation croissante des services urbains environnementaux, ce qui soulève de nouveaux enjeux en termes d’efficacité et de solidarité. En effet, les coûts économiques de cette transformation apparaissent inégalement supportés par les usagers (Barraqué 2009, 2016 ; Caillaud 2014) : tandis que les résidents en habitat individuel ont davantage de moyens pour suivre et agir sur leurs factures, du fait qu’ils sont le plus souvent propriétaires de leurs contrats d’abonnement et seuls responsables du coût de leurs pratiques, les habitants des immeubles collectifs (statistiquement plus pauvres) sont, quant à eux, dépendants du comportement de leurs voisins avec qui ils partagent les factures. Dès lors, du fait que certains usagers « ne contribuent plus [ou à la même hauteur] à assurer la viabilité techno-économique » du système, comme dans le cas des villes connaissant d’importantes déconnexions aux réseaux de services publics (Coutard et Rutherford 2014), la situation invite les collectivités à s’interroger et à rechercher de nouvelles solidarités sociospatiales, dans le but de garantir une qualité des prestations et un accès universel aux services.

Bibliographie

  • Barbier, R. et Roussary, A. (dir.). 2016. Les Territoires de l’eau potable. Chronique d’une transformation silencieuse (1970-2015), Versailles : Éditions Quæ.
  • Barraqué, B. 2016. « Effets redistributifs de la tarification progressive : le cas d’une ville moyenne », Techniques, sciences, méthodes, n° 5, p. 72‑82.
  • Barraqué, B. 2009. « Abonnements individuels à l’eau en appartements à Paris : éclairages international et national », Flux, vol. 2, n° 76‑77, p. 82‑93.
  • Caillaud, K. 2015. « Les logiques contingentes des politiques départementales de sécurisation de l’eau potable », Géographie, économie, société, vol. 17, n° 3, p. 315‑337.
  • Caillaud, K. 2014. De la taxe à la redevance incitative : la modernisation de la gestion des déchets. L’expérience du Grand Besançon, rapport scientifique pour le compte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et de la communauté d’agglomération du Grand Besançon.
  • Caillaud, K. 2013. Vers une gouvernance territoriale de l’environnement ? Analyse comparée des politiques départementales de gestion de l’eau destinée à la consommation humaine et des déchets municipaux, thèse de sociologie, université de Strasbourg.
  • Coutard, O. et Rutherford, J. 2014. « Vers l’essor des villes post-réseaux : infrastructures, changement sociotechnique et transition urbaine en Europe », in J. Forest et A. Hamdouch (dir.), Quand l’innovation fait la ville durable, Lausanne : Presses polytechniques universitaires romandes, p. 97‑118.
  • Frioux, S. 2013. Les Batailles de l’hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, Paris : Presses universitaires de France.
  • Goeldner-Gianella, L., Barreteau, O., Euzen, A., Pinon-Leconte, M., Gautier, Q. et Arnould, P. (dir.). 2016. Concilier la gestion de l’eau et des territoires, Paris : Éditions Johanet.
  • Lacroix, V. et Zaccaï, E. 2010. « Quarante ans de politique environnementale en France : évolutions, avancées, constante », Revue française d’administration publique, vol. 2, n° 134, p. 205‑232.
  • Lascoumes, P. 2012. Action publique et Environnement, Paris : Presses universitaires de France, coll. « Que-sais-je ».
  • Lejars, C. et Canneva, G. 2012. « Durabilité de services d’eau et d’assainissement : méthode d’évaluation, étude de cas et perspectives pour le changement d’échelle », in C. du Boys, R. Fouchet et B. Tiberghien (dir.), Management public durable : dialogue autour de la Méditerranée, Bruxelles : Éditions Bruylant, p. 69‑92.
  • Muller, P. 1990. « Les politiques publiques entre secteurs territoires », Politiques et Management public, vol. 8, n° 3, p. 19‑33.
  • Offner, J.-M. 2006. « Les territoires de l’action publique locale. Fausses pertinences et jeux d’écarts », Revue française de science politique, vol. 56, n° 1, p. 27‑47.
  • Salles, D. 2009. « Environnement : la gouvernance par la responsabilité ? », VertigO. La revue électronique en sciences de l’environnement, hors-série n° 6.

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Pour citer cet article :

Kevin Caillaud, « La réorganisation des services urbains environnementaux », Métropolitiques, 23 octobre 2017. URL : https://metropolitiques.eu/La-reorganisation-des-services-urbains-environnementaux.html

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