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Entretiens

La promotion immobilière participative, une alternative au marché ?

À partir de son expérience professionnelle dans la promotion de projets d’habitat participatif, Xavier Point revient sur leurs enjeux financiers, la place des habitants et la coopération avec les autres acteurs de la fabrique de la ville.


Dossier : Logement : extensions et restrictions du marché

Entretien réalisé par Claire Carriou et Julie Pollard.

Xavier Point, photographe et graphiste de formation, entre dans le monde de la promotion immobilière à travers un projet d’autopromotion, qu’il porte en tant qu’habitant (projet Diwan, à Montreuil). Pour prolonger et professionnaliser cette expérience, il fonde en 2011 la société de promotion immobilière participative Cpa-Cps, « Construire pour les autres comme pour soi-même ». Cet entretien est l’occasion de revenir sur les objectifs, spécificités et difficultés de la maîtrise d’ouvrage de projets d’habitat dits participatifs. Que signifie être un « promoteur participatif » ? Comment de nouvelles pratiques peuvent-elles être développées aux marges de la promotion immobilière ?

Le modèle esquissé, à travers l’entretien, contribue à redéfinir les missions et relations de certains acteurs du processus de production de logements, architectes, habitantes et habitants en premier lieu. La place des collectivités locales, qui peuvent soutenir de tels projets, est également questionnée. Mais cet entretien montre aussi (et surtout ?) qu’il faut composer avec des paramètres structurants du secteur de la construction : conditions d’accès aux circuits de financements, négociations avec les propriétaires fonciers, fonctionnements des entreprises de construction. La position de niche d’un tel acteur apparaît à bien des égards en tensions : entre construction d’un projet collectif de vivre ensemble et aspirations individuelles des habitants ; entre nécessité de dégager une marge et prise de distance à l’égard du rapport au profit d’entreprises plus traditionnelles ; entre redéfinition collective des étapes de concrétisation d’un projet de logements et contraintes économiques de la construction.

Quelles sont les origines de votre implication dans l’habitat participatif à travers Cpa-Cps ?

Au départ, c’est une histoire personnelle. Je me suis lancé dans un projet d’habitat participatif le projet Diwan à Montreuil, livré en 2008 en autopromotion, c’est-à-dire un projet dans lequel les futurs habitants endossent tous les risques (financiers, juridiques…). Je m’y suis beaucoup investi, avec d’autres, pour qu’il puisse se faire. Une fois que le projet s’est terminé, qu’on a pu souffler après cette aventure pénible, géniale et épuisante qui a duré dix ans, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à inventer sur la question de l’habitat participatif – qui ne se réduit pas à être un habitat fait par ses habitants ! On s’est demandé comment penser une récurrence dans cette façon de faire la ville. On a modélisé ce que pourrait être un acteur professionnel qui permettrait à des projets aussi intéressants d’advenir pour ceux qui ne sont pas en mesure de porter le risque ou d’y passer autant de temps. Notre but était de créer un outil très ancré dans la réalité à la fois économique, juridique et technique, mais qui intègre les habitants et fabrique une histoire en même temps qu’un bâtiment. Et surtout s’interdire d’être hors-sol !

À travers Diwan, on avait eu la chance de rencontrer un promoteur indépendant, avec une expérience de la promotion traditionnelle, qui trouvait notre démarche très intéressante et qui nous a accompagnés. On a appris le métier grâce à lui. Ce métier, c’est savoir parler à tout le monde, ce n’est pas un métier qu’on apprend à l’école. Un maître d’ouvrage, juridiquement, il est dans une position où il n’est pas sachant, mais il est moteur de l’ensemble. Cette position m’intéressait.

Modéliser et reproduire cette première expérience, concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

Aujourd’hui, on intervient dans le même cadre qu’un promoteur classique. Mais on ne fait pas du tout les mêmes bâtiments. L’enjeu, c’est : comment interférer dans la linéarité de ce processus-là pour, à chaque fois qu’on peut, « casser le moule », pour insérer une appropriation, une influence des habitants.

Mais attention, il faut laisser à chacun son rôle, et notamment à l’architecte, au bureau d’études. D’après moi, si l’habitat participatif met du temps à avancer en France, c’est qu’il est encore, pour certains, pensé de manière radicale, comme un modèle en opposition envers les pouvoirs publics, les promoteurs, et même les architectes. Dans les années 2010, quand on a commencé Cpa-Cps, on a eu le sentiment que c’était devenu une opposition stérile. Ce n’est plus en se mettant en dehors du jeu – tout en demandant des terrains aux élus ! – qu’on comprend ce que signifie construire un projet d’habitat collectif, comment on parle avec des entreprises, comment on finance un projet économiquement viable, comment on fait des projets pour des habitants qui ne soient pas seulement des militants. D’ailleurs, on évite de faire des projets pour des gens qui forment déjà un groupe. L’enjeu est justement de faire que des gens qui ne se connaissent pas arrivent à porter un projet collectif. Dans le projet « Chère Catherine », sur lequel on travaille en ce moment, l’aménageur (la Soreqa) et la mairie de Montreuil ont pris le parti de tirer au sort les participants. On aime bien cette idée que l’habitat participatif, c’est une expérience démocratique brute où on met tout sur la table : les affects, le fric, le collectif, le privatif, l’habitat, les choses les plus intimes…

Pour qu’un projet participatif porté par des professionnels parvienne au résultat le plus proche possible d’un projet d’autopromotion, il faut qu’il soit porté par des structures comme la nôtre. Pas mal de porteurs de projets d’autopromotion prolongent l’aventure en formant eux-mêmes d’autres futurs porteurs de projets. Le faire pour soi-même donne une vision du sujet tout à fait différente et nous sommes malheureusement convaincus que des AMO [qui assistent le maître d’ouvrage sans avoir de pouvoir de décision] ne suffisent pas à garantir la démarche. Jamais un promoteur classique ne saura s’engager comme nous nous engageons.

Pour un promoteur « participatif » comme Cpa-Cps, qu’est-ce que la participation ?

Aujourd’hui, même les promoteurs font des trucs sur mesure en faisant croire que c’est du participatif. Dès qu’on parle de participation, on ramène tout au nombril de l’acquéreur. On vous fait croire que vous êtes exceptionnel, qu’on va vous faire votre produit sur mesure. Mais derrière, le modèle économique repose sur la reproduction du même avec un emballage architectural différent. Notre objectif n’est pas de satisfaire une envie, un fantasme individuel. C’est vraiment de dire : « Au début, votre logement, ce n’est pas ce qui va permettre de définir le projet ! », on commence à travailler sur le projet collectif. L’architecture du projet doit être au cœur, pas les souhaits individuels. Parce que, s’il faut absolument caser un T4 au dernier étage, le bâtiment peut être totalement raté. L’architecture aussi induit des règles du jeu. On ne part pas de la demande des habitants individuellement, on garantit juste qu’ils pourront avoir une place qui correspondra à leurs attentes, mais pas forcément de la manière qu’ils avaient imaginée. C’est la règle de base, c’est ce qui fait que ça fonctionne. Après, sur la fin de cette première période, qui est avant le dépôt du permis de construire, il y a un moment où on bascule dans l’individuel et où on dit à chacun : mais toi, où aimerais-tu habiter dans ce bâtiment-là ? Et l’architecte propose des options au regard de sa demande initiale : surface, spécificités…

Par ailleurs, dans le projet, pour nous, les habitants, c’est (presque) un bureau d’études comme un autre ! Ils contribuent au processus d’élaboration du projet collectif. On considère que leur travail a une valeur, donc ils paient un peu moins cher. C’est leur travail et c’est légitime. On a pour principe d’être légèrement en dessous des prix du marché pour valoriser cet engagement, mais de ne pas être trop éloigné non plus des prix de marché, car il ne faut pas que ça soit un simple effet d’aubaine. On peut aussi utiliser des outils qui permettent de produire un peu moins cher, comme le bail réel solidaire (BRS). Ce BRS est aujourd’hui un sujet central dans nos projets.

Au final, la force d’un projet participatif, c’est son potentiel de longévité. L’architecture garantit l’esprit des lieux. Vous avez des coursives ouvertes avec un jardin commun, une salle commune qui est une vraie centralité, ça fait du bruit quand on circule, les enfants jouent aux fléchettes entre les deux coursives… Si vous n’adhérez pas à ça, vous ne venez pas.

Être promoteur participatif, qu’est-ce que cela implique du point de vue de la rentabilité ?

Ce qui nous intéresse c’est de trouver un équilibre, que chaque projet nous permette de vivre, d’investir dans d’autres projets. Mais le but n’est pas d’être dans un profit maximum. On doit respecter un équilibre économique, mais notre marge, on accepte de manger un peu dessus parce qu’on défend des choix architecturaux.

Notre positionnement fait peur, il est souvent incompris. J’irais jusqu’à dire qu’on nous considère parfois comme illégitimes à gagner de l’argent… Comme on n’est pas des promoteurs classiques, on apparaît presque comme des profiteurs ! Si on essaie de faire les choses autrement mais qu’il y a quand même un rapport financier, on trouve ça louche. Il y a cette complexité par rapport à l’argent dans la mesure où on n’est pas dans le modèle dominant, on est déstabilisants.

C’est aussi en intégrant la logique économique classique qu’on arrive à produire quelque chose qui fonctionne et qui peut se reproduire. Aujourd’hui, on est en mesure de porter une opération de trente-quarante logements, ce qui est déjà pas mal pour nous mais qui n’est pas très gros malgré tout. Notre objectif est de monter plus de partenariats avec des maîtres d’ouvrage publics pour pouvoir porter des projets plus importants…

Les autres acteurs professionnels modifient-ils également leurs manières de travailler dans un projet participatif ?

Avec un projet participatif, en principe, tout le monde doit changer sa façon de travailler. Il faut changer de point de vue. En général, dans un projet, on veut savoir au moment où on le lance comment ça va finir. Nous, le deal qu’on propose aux acteurs avec lesquels on travaille, c’est : « On vous propose un processus, un engagement, une obligation de moyens, mais on ne sait pas ce qu’on va vous fabriquer à la fin. » Pour moi, c’est comme un processus artistique. Un projet participatif, c’est un projet pour lequel on ne connaît pas la fin de l’histoire. C’est justement cette histoire qui est intéressante à écrire.

Même une ville, même un aménageur peuvent être amenés à regarder les choses un peu différemment. Les entreprises de travaux sont peut-être les seules pour qui cela ne change rien dans la mesure où elles ont un maître d’ouvrage professionnel. Elles ne vont pas prendre de risque parce que c’est participatif. Avec les architectes, à la fin du projet avec nous comme avec les habitants, forcément c’est souvent un peu tendu. On leur demande beaucoup, certainement plus que ce qu’ils avaient imaginé. L’habitant, il est dix fois plus exigeant que lorsqu’il achète son logement chez un promoteur standard… C’est son bébé, il voudrait que ce soit parfait alors que le fait d’ouvrir les portes à beaucoup de choses, c’est forcément un processus imparfait au regard de nos ambitions. Mais on en a tiré un enseignement : ce n’est pas parce qu’on se fâche à la fin que c’est un projet raté ! On n’est pas là pour se faire des amis. En revanche, on a beau être fâché, si le projet fonctionne bien, pour nous c’est une réussite.

Qui est intéressé par l’habitat participatif ? Est-ce que l’habitat participatif a une couleur politique ?

Ce n’est pas simplement avec les mairies de gauche que peuvent se faire des projets participatifs. Aujourd’hui, il y a une forme de prise de conscience, d’intérêts et d’envies de (presque) toutes les orientations politiques. Il y a maintenant partout des habitants qui ont envie de vivre autrement. Je pense que de plus en plus de gens comprennent qu’habiter ce n’est pas se loger. Ce qui pouvait apparaître comme une réflexion d’architecte ou d’urbaniste est aujourd’hui devenu un enjeu pour beaucoup de gens. On a travaillé sur un projet proche de Versailles (qui au final ne s’est pas fait) avec des habitants – forcément moins dans le moule qu’à Montreuil ! – où on mixait du bail réel solidaire avec de l’accession aidée et du libre au prix normal. On avait plusieurs foyers dans le monde de l’enseignement à des âges différents, et donc à des stades différents de leurs parcours résidentiels, par exemple des retraités instituteurs et des jeunes enseignants. Mais tous avaient une même aspiration. Certains avaient moins de moyens et ne pouvaient participer que grâce au bail réel solidaire. D’autres étaient prêts à payer un peu plus cher leur logement pour participer à cette aventure-là. Grâce à notre montage, tous étaient dans le projet, et c’est ce qui était exemplaire. C’est une ambition écologique au sens large, ni de gauche ni de droite. C’est une écologie politique qui dépasse les clivages classiques.

Les promoteurs participatifs pourront être autre chose que des acteurs de niche ?

Oui, j’en suis convaincu. Pour cela, on doit faire bouger l’ensemble des acteurs du processus de production de logements pour nous aider et les risques doivent être partagés. Les villes ou les aménageurs doivent prévoir des opérations en participatif qui ne soient pas à une trop petite échelle. On a encore un peu le sentiment d’être une expérimentation perpétuelle. En dessous de vingt-cinq logements, un projet n’est économiquement pas viable si l’on veut avoir des marges de manœuvre sur les prix de vente et sur les performances environnementales. On doit aussi trouver des avantages dans notre financement, qui reste aujourd’hui fondé sur le modèle de la promotion privée. Il faudrait par exemple qu’on puisse bénéficier de frais financiers inférieurs, ou encore de fonds propres réduits. Mais c’est aussi un impératif que l’habitat participatif existe autrement qu’à coups de subventions ou de mécénats. Ou parce qu’un des participants apporte un foncier. Il faut que l’on s’inscrive dans un processus de fabrication de la ville le plus classique possible.

Dans les faits, pour l’accès au foncier, on a besoin de l’appui des collectivités, parce que le problème, c’est qu’on ne peut pas lutter contre un promoteur qui veut absolument un terrain. Il a toutes les armes et l’habitude pour négocier autrement et sans aucun scrupule. Jusqu’à présent, le seul projet pour lequel on a un terrain privé, magnifique, c’est parce qu’il y avait eu deux recours contre deux projets précédents sur ce terrain. Les riverains ne voulaient pas d’un bâtiment qui ne soit pas à l’échelle du quartier sur cette parcelle. Le propriétaire a accepté de baisser le prix en nous le vendant pour un projet différent. Les voisins n’ont pas tous été ravis, mais il n’y a pas eu de blocage et certains ont été intéressés, un foyer a même vendu sa maison pour rejoindre le projet.

En général, les fonciers auxquels on a eu accès, c’est essentiellement des terrains municipaux, en général des terrains compliqués, un peu trop compliqués ! Mais là aussi, c’est en train de changer. On travaille actuellement sur un projet à Noisy-le-Grand, l’aménageur a tout de suite visé une très belle parcelle et un volume de trente-cinq, quarante logements permettant de faire des choses intéressantes ; c’est pour nous un grand pas en avant.

En conclusion, je dirais que l’idée n’est pas de transformer la ville en ville participative à 100 %. Déjà, parce que tout le monde ne veut pas de cette vie collective. L’habitat participatif est à voir comme une sorte de ressource de réflexion permanente au service du processus global de fabrication de la ville, en somme un moteur du reste de la production urbaine. L’habitat participatif doit être un distillateur de bonnes pratiques, de pratiques innovantes. Il y a plein de choses qu’on défend depuis le début, et qui apparaissent essentielles depuis le confinement : des terrasses dans chaque immeuble, des espaces collectifs, des jardins a minima, des zones de compostage, la formation des habitants. À chaque fois, à surface de plancher identique, à modèle économique identique, on pense les choses différemment et on produit donc forcément une autre architecture.

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Pour citer cet article :

Xavier Point, « La promotion immobilière participative, une alternative au marché ? », Métropolitiques, 6 juillet 2023. URL : https://metropolitiques.eu/La-promotion-immobiliere-participative-une-alternative-au-marche.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1931

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