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La Métropole du Grand Paris (CC BY-SA 4.0)
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La Métropole du Grand Paris, enjeu caché des élections municipales de 2020

La Métropole du Grand Paris survivra-t-elle à la région Île-de-France et à l’égoïsme des territoires riches ? À la veille des élections des 20 et 27 juin 2021, Philippe Subra et Wilfried Serisier mettent en lumière l’histoire d’une institution métropolitaine faible et méconnue du grand public.

En Île-de-France, un des enjeux des élections municipales de 2020 fut la désignation des élus siégeant, à l’échelle de la zone dense de l’agglomération, au conseil métropolitain et à l’exécutif de la Métropole du Grand Paris (MGP) [1] et dans les conseils des onze Établissements publics territoriaux (EPT) qui la composent [2]. La nouvelle métropole, largement méconnue du grand public, plus de quatre ans après sa naissance, pouvait aussi espérer profiter de la campagne électorale pour gagner en notoriété et en légitimité. Il n’en a rien été. La MGP a été tout simplement totalement absente de la campagne.

Figure 1. Les territoires politiques de la Métropole du Grand Paris (MGP)

7 territoires à droite (majoritairement LR), 5 territoires à gauche (3 PS, 2 PCF).
Réalisation : W. Serisier.

Une occasion manquée pour la nouvelle Métropole

L’invisibilité d’une institution n’est pas une nouveauté absolue, mais, s’agissant d’une institution politique, elle est suffisamment rare pour interroger. Elle contraste en tout cas avec ce qui s’est passé dans les grandes capitales régionales, où les métropoles créées par la même loi MAPTAM ont succédé à d’anciennes communautés urbaines (Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg) ou plus récentes, mais bien identifiées par les citoyens (Marseille). La comparaison entre la MGP et le Grand Lyon est particulièrement frappante, puisque à Lyon les candidats à la présidence de la Métropole des deux principales listes étaient connus avant le second tour et que la répartition des présidences était une des clés de voûte de l’accord entre LR et l’ancien maire macroniste, Gérard Collomb (à la droite la présidence de la Métropole, au candidat collombiste la mairie de Lyon), sorti perdant les élections municipales de 2020.

Rien de tel à Paris et dans les communes qui forment avec elle le territoire de la MGP. Les électeurs étaient sans doute très peu nombreux à savoir qu’en votant pour leur maire, ils décidaient également de la composition du conseil métropolitain, à travers des candidatures fléchées [3]. Cette transparence de la Métropole du Grand Paris s’explique par plusieurs facteurs objectifs, qui renvoient à des choix faits consciemment au moment de la discussion de la loi MAPTAM (Subra 2014 et 2020) : ceux de créer une métropole a minima, trop petite [4], sans moyens financiers [5], aux compétences limitées [6] et dont les dirigeants ne sont pas désignés directement par les électeurs lors d’élections métropolitaines couplées aux municipales ; ce dernier point constituant une autre différence majeure avec la Métropole de Lyon. S’y ajoute le fait que la MGP est présidée depuis sa création par un élu relativement peu connu du grand public, Patrick Ollier, maire LR de Rueil-Malmaison, dans les Hauts-de-Seine.

Mais cette invisibilité est aussi la conséquence des choix stratégiques des acteurs politiques franciliens, qui ont soigneusement évité de mettre en avant la Métropole, son rôle et l’atout qu’elle peut malgré tout représenter. Les discours des candidats aux municipales de 2020 et leurs propositions se sont situés quasi exclusivement à l’échelle communale. De manière significative, cet effacement des discours sur la Métropole a été autant le fait des opposants à l’existence de la MGP (comme la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, ou le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian) que de celui de ses partisans officiels, comme Anne Hidalgo, pour qui une Métropole faible est encore le meilleur moyen de conserver à la Ville de Paris son autonomie d’action.

La Métropole a donc été la grande absente de la campagne des municipales de 2020, à la fois comme institution, comme enjeu et lieu de pouvoir et comme cadre de référence pour penser et mettre en œuvre des politiques publiques. Elle fut à ce point absente que cette absence de la MGP est passée inaperçue et n’a pratiquement pas été relevée par les médias. Tout s’est donc passé et tous ont fait comme si la Métropole du Grand Paris n’existait pas et comme si les enjeux auxquels est confrontée la métropole parisienne (Mansat et Ronai 2020) – crise du système des transports, aggravation des inégalités territoriales , inflation immobilière, ségrégation sociale et ethnique, pollution et crise climatique – n’appelaient pas des réponses à l’échelle de l’ensemble de l’agglomération et pas seulement à celle des communes isolément.

De manière significative, il n’a finalement été question du Grand Paris dans la campagne électorale qu’à propos des impacts locaux du projet de nouveau réseau de métro, le Grand Paris Express (GPE). Les maires sortants ont mis en avant les opportunités liées à son arrivée dans leur commune (désenclavement, attractivité renforcée), tandis que les opposants ont critiqué les projets d’aménagement des abords des nouvelles gares et la densification liée aux nombreux projets de bureaux ou de logements. Une situation paradoxale, car la maîtrise d’ouvrage du Grand Paris Express échappe totalement à la MGP (et à la région), puisque c’est l’État, à travers la Société du Grand Paris, qui est à la manœuvre.

Le partage du pouvoir entre la droite et la gauche reconduit à l’identique

Dans ces conditions, les élections municipales de 2020 ont eu un impact des plus limités sur la gouvernance de la Métropole : la droite et le centre étaient majoritaires et le sont restés (122 élus au conseil métropolitain – un de plus qu’avant les municipales – sur 208, soit nettement plus que la gauche réunie – PS, PCF/Front de gauche et EELV : 86 sièges). Aucune des forces émergentes (LREM, LFI) n’a de poids dans cette instance. Et surtout la gouvernance « partagée », qui caractérise la nouvelle institution depuis sa mise en place en 2016, perdure : gauche et droite se sont réparties les vice-présidences : 12 pour la droite, 8 pour la gauche, dont 2 écologistes (seul changement). Anne Hidalgo demeure première vice-présidente. La gauche continue de contrôler, en plus de la Ville de Paris, quatre des onze « territoires ». Échangeant seulement Plaine Commune, l’EPT de l’ouest de la Seine-Saint-Denis, autour de Saint-Denis et d’Aubervilliers, désormais présidé par le nouveau maire de Saint-Denis, le socialiste Mathieu Hanotin (qui remplace Patrick Braouezec, Front de gauche) contre Est-Ensemble, autre EPT de gauche en Seine-Saint-Denis, désormais présidé par le Front de gauche Patrice Bessac, maire de Montreuil (qui remplace le socialiste Gérard Cosme). À part ce chassé-croisé à gauche, rien n’a changé.

Figure 2. Composition politique du nouveau conseil métropolitain

208 conseillers, dont 118 élus de droite, 7 du centre et sans étiquette, 86 de gauche.
Réalisation : W. Serisier.

L’horizon de la MGP se dégage-t-il ?

La MGP a pourtant bien failli succomber à l’hostilité de ses principaux concurrents : les départements de petite couronne, en particulier celui des Hauts-de-Seine, et la région Île-de-France. Une des menaces les plus graves pesant sur la nouvelle métropole était le projet de fusion entre les départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines, proposé par leurs présidents respectifs, Patrick Devedjian et Pierre Bédier, tous deux LR. Présentée comme un choix de rationalisation, la fusion des deux collectivités territoriales avait en réalité trois objectifs très géopolitiques :
– rendre impossible une autre fusion, celle entre les trois départements de petite couronne et la MGP, une solution qui aurait entraîné la disparition des Hauts-de-Seine et qu’envisageait le chef de l’État pour simplifier la gouvernance de l’agglomération et doter la Métropole de davantage de moyens et de compétences ;
– affaiblir encore un peu plus la Métropole du Grand Paris en constituant une métropole bis, la métropole des riches, dotée d’un budget et d’une force de frappe financière considérables (avec un budget d’investissement cumulé de 860 millions d’euros d’investissement en 2020, vingt fois celui de la MGP !) ;
– s’opposer à toute augmentation des flux de péréquation et de solidarité des territoires riches de l’agglomération vers les territoires pauvres, que les élus de l’Ouest parisien vivent comme un véritable racket.
Ce projet de fusion est aujourd’hui au point mort parce que l’État continue de s’y opposer et parce que l’un de ses plus fervents promoteurs, Patrick Devedjian, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine depuis 2007, a succombé à la pandémie peu après le premier tour des municipales en mars 2020, et que son successeur à la tête des Hauts-de-Seine, Georges Siffredi, n’y est pas favorable.

La seconde offensive anti-MGP est venue de la région, au lendemain du second tour des municipales, début juillet 2020. La présidente du conseil régional, Valérie Pécresse (LR, puis Libres !), a tenté une OPA sur la Métropole, en poussant la candidature d’un de ses proches, le conseiller régional et maire LR de L’Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, à sa présidence. Son objectif était clairement, en en prenant le contrôle, de faciliter la suppression de la MGP et le transfert de ses compétences à la région, transfert qu’elle ne cesse de réclamer depuis son élection à la tête de la région en décembre 2015.

L’opération a semblé réussir dans un premier temps, puisque Vincent Jeanbrun l’a emporté lors d’une primaire des conseillers communautaires de droite contre le président sortant, Patrick Ollier, avant de se heurter à la candidature d’un dissident de droite, proche de ce dernier, le maire UDI de Sceaux, Philippe Laurent. Dans un second temps, Patrick Ollier est revenu dans le jeu et a été réélu à la présidence, comme « candidat du rassemblement », avec le soutien d’une quarantaine d’élus de gauche, principalement socialistes.

L’épisode, qualifié par les médias de « vaudeville » ou de « rocambolesque », est en réalité très révélateur des stratégies des élus des différents partis concernant la gouvernance de la plus grande métropole française : refuser une gouvernance forte (qu’aurait signifié l’absorption de la MGP par la région Île-de-France) en défendant bec et ongles une MGP faible et gouvernée au consensus. Ce fut à l’évidence le choix d’Anne Hidalgo, comme maire de Paris, mais c’est aussi celui de la plupart des élus de droite et de gauche, attachés à la défense de leurs positions de pouvoir.

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Pour citer cet article :

Philippe Subra & Wilfried Serisier, « La Métropole du Grand Paris, enjeu caché des élections municipales de 2020  », Métropolitiques, 17 juin 2021. URL : https://metropolitiques.eu/La-Metropole-du-Grand-Paris-enjeu-cache-des-elections-municipales-de-2020.html

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