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L’habitat durable en débat

Invitant à envisager le rôle joué par la transformation des normes d’habitat dans le renouvellement urbain, Yankel Fijalkow propose une lecture croisée des réflexions contenues dans deux ouvrages récemment consacrés à l’habitat durable.
Recensé : Vincent Renauld, Fabrication et usage des écoquartiers. Essai critique sur la généralisation de l’aménagement durable, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014, 122 p. ; et François Rochon (dir.), Habitat et transition énergétique, Paris, L’Harmattan, 2014, 216 p.

Le renouvellement urbain ne se limite pas aux grands gestes urbanistiques qui, de Haussmann au Plan national de rénovation urbaine (PNRU), recomposent la ville. Il est aussi contenu dans la transformation des normes d’habitat conditionnant la manière de fabriquer et de faire usage de l’espace. À ce titre, les démarches réflexives et critiques sur l’aménagement et l’habitat durable viennent à point nommé. Nous avons choisi ici de faire dialoguer deux d’entre elles, provenant du champ académique d’une part, majoritairement de décideurs d’autre part. La première, signée par Vincent Renauld, a pour titre Fabrication et usage des écoquartiers. Essai critique sur la généralisation de l’aménagement durable en France. Elle est issue d’une thèse de doctorat soutenue sous la direction de Jean-Yves Toussaint à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon en 2013, après une enquête de terrain à Grenoble, Nantes et Bordeaux. La seconde, coordonnée par François Rochon et intitulée Habitat et transition énergétique, rassemble à la suite d’un colloque du Réseau national sur l’habitat et le logement, tenu en 2013 à l’Assemblée nationale, les propositions de parlementaires, élus locaux, chercheurs, responsables associatifs et syndicaux.

Une bifurcation de la production urbaine

Composé de cinq grands chapitres, l’ouvrage de Vincent Renauld montre comment, en France, l’expérimentation des éco-quartiers, relevant dans les années 1970 de communautés de vie militantes, s’est institutionnalisée et généralisée (500 villes, 300 000 logements), et de quelle manière se sont développés des systèmes de production et de financement mobilisant des représentations des usagers et se heurtant aux pratiques d’habitat. L’affaire n’est pas nouvelle, comme le rappelle Daniel Pinson dans son avant-propos évoquant le « droit à la ville » d’Henri Lefebvre (1968), où celui-ci dénonce le clivage entre la pensée technicienne de l’aménagement et les pratiques réelles des habitants. Mais selon Vincent Renauld, les éco-quartiers qui promeuvent pour l’espace public des espaces verts rustiques propices à la biodiversité, pour les transports des espaces de circulation douce s’opposant à l’automobile, et pour l’habitat des innovations techniques destinées à réduire la consommation d’énergie ne représentent pas une énième version de l’illusion technocratique de l’homme nouveau. Ils s’inscrivent dans une bifurcation de la production urbaine, mobilisant de manière spécifique une chaîne d’acteurs (collectivités locales, aménageurs, maîtres d’ouvrage, réseau bancaire) soucieux de promouvoir l’attractivité des territoires au prisme des nombreux labels attestant de l’innovation. Comme il l’explique dans sa conclusion, ce cadre d’action rappelle le processus de destruction créatrice que voyait Schumpeter dans la course à l’innovation du capitalisme (Schumpeter 1951). Or cette innovation, montre Vincent Renauld, se heurte aux pratiques des usagers, fort différentes de l’imaginaire prescriptif des maîtres d’ouvrage qui multiplient les démarches pédagogiques à leur encontre. Les normes et leurs objets techniques étant adaptés, étendus, déplacés, détournés, nul ne saurait négliger les savoir-faire habitants qui sont les débouchés naturels des innovations techniques. Cet angle d’approche économique fait l’originalité du propos de Vincent Renauld dans le concert des voix qui s’expriment sur l’aménagement durable. Il appelle des prolongements sur le mode de production des normes d’habitat, qui diffère profondément de la période hygiéniste, notamment au regard du marché des labels.

La transition énergétique comme défi stratégique

Vincent Renauld fait, par ailleurs, écho aux préoccupations des décideurs nationaux et locaux sur la transition énergétique. Ceux-ci, sous la coordination de François Rochon, la considèrent comme un défi stratégique (chapitre 1), nécessitant de s’appuyer sur une citoyenneté écologique (chapitre 2) et des outils stratégiques (chapitre 3) pour préparer un habitat écologique (chapitre 4). En effet, si la transition énergétique est aussi bien justifiée par les choix énergétiques de l’État que par les contraintes des marchés internationaux et les débats sur le changement climatique (Marie-Noëlle Lienemann), elle est aussi une occasion de repenser la crise du logement, notamment pour les ménages en précarité énergétique qui peinent à régler leurs charges de chauffage (plus de trois millions et demi de ménages). Aux enjeux de l’habitat ancien privé à réhabiliter se cumulent ceux de la rénovation urbaine des bâtiments plus récents et de la construction neuve. Il n’en reste pas moins que, comme le rappelle Laurence Raineau, anthropologue et chercheure invitée à ce colloque de décideurs, les économies d’énergie n’étant pas toujours au rendez-vous des innovations mises en œuvre, la quête du sens de la transition énergétique fait partie du défi. Ce propos, qui introduit la problématique de l’éco-citoyenneté, juxtapose la volonté des élus locaux de renouveler le rapport des habitants aux services et aux espaces publics de la ville, notamment aux transports. Plutôt qu’une prescription individuelle de rôle (Vincent Renauld), elle introduit une autre gouvernance locale, comme le montre la géographe Nacima Baron qui étudie les agences territoriales d’EDF. Le chapitre 3 sur les outils illustre ce principe en montrant comment les dispositifs existants des agences (Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat et Agence nationale pour la rénovation urbaine), des financements, et des architectes permettraient de mieux mobiliser les acteurs et d’associer les habitants. Le chapitre consacré à l’habitat écologique (chapitre 4) est donc l’enjeu central de l’ouvrage. Y convergent des gestionnaires de logements sociaux s’interrogeant sur la notion de confort, des aménageurs questionnant la notion d’aménité urbaine, des syndicalistes soucieux de concertation dans l’habitat, et des chercheurs (autour de Jean-Pierre Lévy) qualifiant la consommation énergétique des ménages, notamment au cours du cycle de vie.

Au final, cet ouvrage de décideurs et d’experts ouvre autant de questions que celui, plus académique, de Vincent Renauld. Le choix de terminer chaque chapitre par des chercheurs, répondant plus ou moins directement aux vœux et aux propos des élus, est pertinent et éclairant. Il suscite des questions sur les stratégies des collectivités et des bailleurs sociaux en matière de labels durables (bâtiments et éco-quartiers), sur l’intégration des comportements habitants dans les labels et plus généralement sur le récit sur l’habitat qui semble vouloir renouveler la ville.

Bibliographie

  • Lefebvre, Henri. 1968. Le Droit à la ville, Paris : Anthropos.
  • Schumpeter, Joseph. 1951. Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris : Payot (éd. orig. 1942).

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Pour citer cet article :

Yankel Fijalkow, « L’habitat durable en débat », Métropolitiques, 17 septembre 2014. URL : https://metropolitiques.eu/L-habitat-durable-en-debat.html

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