L’éco-quartier, une figure désirée mais contestable
Il n’est plus en France une ville de petite ou moyenne importance qui ne s’enorgueillisse d’un projet d’aménagement urbain vertueux sinon exemplaire du point de vue du développement durable. L’éco-aménagement, poussé entre autres par les exigences du « Grenelle de l’environnement », est en passe de s’imposer comme le – et non la – mode d’aménagement urbain contemporain. Sans remettre en question les principes écologiques qui sous-tendent ces initiatives, on peut au vu des premiers résultats construits s’interroger sur la capacité des formes urbaines produites à répondre à leurs objectifs. Ceux-ci sont multiples et il ne s’agit pas ici d’en dresser la liste exhaustive. Néanmoins, les trois premiers d’entre eux, inspirés de la Charte d’Aalborg, pourraient être : limitation des consommations d’eau, d’énergie et de territoire, limitation des émissions polluantes de toute nature, capacité à permettre la cohabitation des groupes humains entre eux et de ceux-ci avec toute autre forme de vie animale et végétale. Face à ces principes, les aménagements en question concernent des échelles et des programmes divers auxquels correspondent une multitude d’outils, méthodes et référentiels d’évaluation de la qualité : Agenda, 21, AEU, RST 02, HQE 2R, HQE aménagement, etc. Pour beaucoup, ces nouveaux paysages urbains semblent indissociables de la notion de « quartier ». L’idée souffre de contours imprécis mais elle a tout de même fini par s’imposer dans les médias comme figure emblématique d’un aménagement dit durable. Pour autant, elle devient à elle seule lourde de conséquences, lorsqu’elle s’érige en morphème de conception urbaine.
Tout d’abord, si le travail sur une surface relativement réduite induit le sentiment d’appartenance, il génère aussi, inévitablement, l’exclusion. D’autre part, l’implantation du nouveau quartier équivaut presque toujours à proposer la « tabula rasa », faisant fi de l’existant, qu’il s’agisse de rénovation urbaine ou de grignotage périurbain. Pour mémoire, la moitié au moins des 148 projets de quartiers présentés dans « Ville durable Eco-quartier, Eco-district 2009 » présentés par le MEEDDAT concernent des projets d’étalement urbains.
Cette stratégie de rupture participe incidemment à une perte de mémoire et d’identité locale. D’un côté, la population occupant le territoire avant la réalisation se trouve reléguée, mise au ban, de l’autre les nouveaux arrivants se voient, eux, enfermés dans une bulle relativement étanche. Au-delà de la mixité sociale, c’est la mixité fonctionnelle qui, la plupart du temps, constitue le talon d’Achille de l’éco-quartier. Rares sont les sites mixant commerces de proximité, bureaux ou activités et logements. Ceci tient à la faible densité des opérations. En effet, la densité de 160 hab. /ha – chiffre pas toujours atteint par les opérations exemplaires souvent plus proches de 145 hab. /ha – correspond à un équivalent construit d’environ 16 000 m², soit, pour 8000 m² de foncier constructible avec un COS de 2 et 50% d’espace vert conservé en pleine terre, une hauteur bâtie de quatre niveaux. Or ce chiffre reste en dessous du seuil à atteindre pour qu’un bassin de population parvienne à pérenniser un réseau de petits commerces [1]. De fait, les éco-quartiers sous-densifiés et apparemment « verts » alourdissent l’empreinte écologique des villes qui les abritent, participent à la minéralisation des sols et surtout, contribuent à l’accroissement des déplacements automobiles nécessités par leur mono fonctionnalité. Enfin, la forme urbaine induite par la conception bioclimatique des bâtiments conduit souvent à un déni d’urbanité dans lequel la solarisation du bâti l’emporte sur toute autre forme de complexité. BedZED, réalisé en 2002 à Londres, constitue en cela la caricature du genre.
L’éco-rue, une démarche expérimentale
Nous proposons pour notre part d’expérimenter un autre motif, une autre figure urbaine, l’« éco-rue » [2], dont nous faisons l’hypothèse qu’elle peut permettre de dépasser les travers de l’éco-quartier, précédemment évoqués. L’éco-rue cherche à reconsidérer, non plus le plan qui est déjà la résultante d’un produit géométrique, mais la ligne, c’est-à-dire la rue, comme figure première, génératrice de forme urbaine.
Imaginer la transformation en éco-rue de la rue de Belleville, typique de l’est parisien, permet d’illustrer le sujet. Alors que la partie basse est occupée par la communauté chinoise, le secteur situé entre la rue des Pyrénées et la rue du Jourdain est plus bourgeois, puis les hauteurs de Télégraphe se font modestes avant de muter encore en se diversifiant aux abords de la Porte des Lilas. Tandis que le quartier, autarcique, tend à se replier sur lui-même, la rue, elle, crée du lien par les séquences successives qu’elle enchaîne. À Belleville, la mixité fonctionnelle est avérée et l’hybridation sociale se présente comme une nature première. Afin de doter ce territoire identifié de qualités écologiques, on en isole une séquence d’une ou deux centaines de mètres ce qui constitue un ordre de grandeur a priori dont le choix réel résultera d’une étude d’opportunité. Le site d’intervention ainsi défini est ensuite considéré comme un écosystème pour lequel on va chercher à mesurer puis à minimiser les consommations et les émissions polluantes. Comme pour les éco-quartiers, ces performances s’obtiennent par la mobilisation de différents moyens. Premièrement, la « règle du jeu urbain », régissant alignements, gabarits et implantation, évolue de façon à favoriser un rapport d’hybridation entre ville et nature ainsi que des continuités lisibles pour la biocénose. De nouveaux équipements locaux font leur apparition – unité de gestion des déchets, centrale de cogénération, ferme de captage thermique et photovoltaïque – qui permettent d’atteindre des performances écologiques mesurables à l’échelle du périmètre pris en compte et non bâtiment par bâtiment. La solarisation du bâti est mutualisée sur plusieurs îlots. Elle caractérise alors les enveloppes selon leurs orientations sans perturber les logiques propres à la forme urbaine. La qualité environnementale construite passe ensuite par l’implantation progressive de nouveaux bâtiments dits à « énergie positive » mais aussi par la mise en place d’un programme de rénovation urbaine de l’existant. Ce dernier devra son succès à un système de management environnemental associatif autogéré par les riverains qui cherchera son équilibre dans la durée.
La rue enfin, filtre et infiltre désormais les eaux sales et les eaux de pluie sur place. Les techniques agronomiques actuelles rendent cela possible [3] en affectant une partie du sol à la végétation. A ces fins, la rue (voir à ce sujet l’expérience réalisée sur les trottoirs de Portland dans l’Oregon) et le cœur d’îlot sont simultanément mobilisés pour participer au fonctionnement éco-systémique de l’habitat et favoriser la cohabitation d’une biodiversité élargie à toutes formes compatibles de vie. Le cycle local de l’eau, interrompu par l’imperméabilisation urbaine est de nouveau bouclé. Le sol naturel, première des ressources écologiques, est partout remis en valeur.
L’éco-rue de Belleville est à ce stade balbutiante mais ses principes et ses réseaux sont là, ne demandant qu’à s’étendre de part et d’autre du premier segment étudié et au travers des fonds de parcelles. Sa vertu tient dans son inachèvement même, qui devient facteur d’évolutions, porteur d’histoire et de continuités urbaines.
La démarche éco-rue appliquée en plusieurs points de tissus urbains anciens ou nouveaux pourrait ainsi agir en douceur, comme en acuponcture, par innervation stratégique des principes écologiques. La ville biotope se transforme sur elle-même, partant des vides qui la constituent à un moment donné pour accueillir, à part égale, les trois piliers du développement soutenable et proposer un nouveau « genre urbain ».