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Essais

L’effet UNESCO sur le développement local

Par-delà la question des retombées touristiques et économiques de l’inscription d’un site sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, Anke Matthys invite à penser les effets d’une telle inscription sur le contenu et la portée des projets d’aménagement du territoire, notamment en termes de mobilisation des acteurs locaux.

Chaque inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO relance le débat sur les retombées touristiques et économiques que permettrait l’obtention de ce prestigieux label. Mythe ou réalité ? Et si les effets positifs se trouvaient ailleurs ? Un détour par la préparation de ces dossiers de candidature, qui s’appuie sur une étude portant sur plusieurs sites français inscrits au cours des dernières années sur la Liste du patrimoine mondial [1], permet d’éclairer certains aspects qualitatifs peu mis en avant dans les débats publics.

Un label plein de promesses

Si l’on s’intéresse tant aux retombées touristiques et économiques qu’induirait le « label » UNESCO, c’est que la préparation d’un dossier en vue d’une inscription sur la Liste ne vise plus seulement à protéger un patrimoine, mais tend à devenir un instrument de développement local. Les prétendants espèrent souvent que l’annonce de l’inscription, très médiatique, agisse en elle-même comme un vecteur de développement, surtout touristique. La réalité montre cependant que celle-ci ne devient vraiment un outil de développement local qu’à travers le long et exigeant processus de préparation du dossier et la « mise en musique » d’un plan de gestion capable de fédérer la multiplicité des acteurs et des projets locaux.

De nombreuses études cherchent à mesurer les conséquences d’une inscription à l’UNESCO, et reconnaissent la difficulté d’évaluer avec précision son impact sur le développement économique et social (Prud’homme 2008). C’est notamment le cas lorsque l’on prend en compte la qualité patrimoniale d’autres sites, par exemple ceux recensés par le Guide Michelin, qui peuvent connaître des fréquentations égales ou supérieures aux sites UNESCO (Talandier 2008). Il convient donc d’envisager avec prudence les chiffres qui associent inscription et fréquentation accrue, et qui en général annoncent des hausses de fréquentation de l’ordre de 25 à 50 % selon les publics et les sites. Aujourd’hui, aucune méthodologie n’est établie et reconnue au niveau national pour calculer ces chiffres avec précision : ces annonces quantitatives, relayées par la presse, relèvent davantage d’un discours promotionnel exprimé par les acteurs locaux.

Les statistiques sur le nombre de visiteurs sont en général incomplètes et comptabilisées par les observatoires touristiques locaux (Office de tourisme, Comité régional du tourisme...) selon des méthodologies trop différentes pour en tirer des enseignements significatifs. Et, quand elles sont constatées, les hausses de fréquentation peuvent ne porter que sur quelques mois, ne concerner que quelques monuments ou sites, êtres liées à des investissements ou à des effets de communication indépendants de la candidature UNESCO. Les effets ne sont donc pas mécaniques, ce qui ne signifie pas qu’ils n’existent pas. Rémy Prud’homme a formulé la conclusion qui paraît à ce jour la plus juste : « l’inscription est certainement un facteur favorable au développement, mais un facteur qui n’est ni nécessaire ni suffisant » (Prud’homme 2008, p. 3).

Un nivellement par le haut des projets

Avec l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO naît souvent la crainte de voir s’appliquer une nouvelle contrainte réglementaire sur le bâti ou l’environnement naturel, venant complexifier sa transformation et faisant courir le risque d’une muséification. Ces craintes ne reposent sur aucun fondement, pour la simple et bonne raison que l’inscription n’a pas de portée juridique. Les biens inscrits sur la Liste ne sont protégés que par les outils législatifs et réglementaires nationaux existants, comme la protection au titre des Monuments historiques, ou par d’autres outils communaux, comme le Plan local d’urbanisme (PLU), ou intercommunaux, à travers le Schéma de cohérence territoriale (ScoT).

Cependant, si l’inscription ne rajoute aucune obligation réglementaire, elle confère des devoirs aux acteurs locaux et nationaux par rapport à leurs choix et à leurs actions : l’UNESCO veille à la qualité des projets menés autour du site inscrit afin que la « Valeur universelle exceptionnelle » (VUE) qui a été reconnue soit préservée. Il est donc possible de réaliser des projets d’aménagement ou de reconvertir des monuments (par exemple) en leur donnant une nouvelle fonction, mais en veillant à ne pas porter atteinte à l’intégrité et à l’authenticité du site telles qu’elles ont été définies et reconnues lors du classement. La fierté de se voir décerner le « label » UNESCO, tout comme la crainte de le perdre, agissent en quelque sorte comme une pression qualitative sur les acteurs locaux, qui ont dorénavant la responsabilité de gérer un patrimoine devenu « universel » et de le transmettre aux générations futures… et se doivent donc d’être à la hauteur de cet enjeu, au risque de se voir retirer de la Liste (comme ce fut le cas en 2009 de la vallée de l’Elbe, à Dresde, en Allemagne, suite à la construction d’un pont à quatre voies au cœur du paysage culturel).

Coup de projecteur et tête de pont pour la stratégie d’attractivité d’un territoire

L’inscription d’un site au patrimoine mondial agit comme un coup de projecteur à partir duquel les acteurs locaux (collectivités territoriales, entreprises, associations…) capitalisent et communiquent beaucoup. Si les candidats à une inscription sont en général très discrets et communiquent peu durant tout le processus d’inscription – tant l’issue de la démarche est incertaine et l’instruction des dossiers indépendante des effets de communication –, les lauréats utilisent souvent leur « nouvelle » notoriété et la bulle médiatique qui suit l’effet d’annonce pour donner à voir les atouts de leur territoire au-delà du patrimoine inscrit.

Dans les sites étudiés (Albi, Le Havre, Bordeaux, Saint-Émilion, Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais), de nombreux projets d’aménagement ont été réalisés récemment ou sont en passe de l’être, dans une logique d’embellissement. Bien que nombre d’entre eux ont été conçus et se seraient effectués indépendamment de l’inscription UNESCO, cette dernière exerce l’effet d’un coefficient multiplicateur : elle envoie un signal à l’extérieur qui donne à voir les éléments inscrits, mais aussi tout ce qu’un territoire a pu réaliser en matière d’aménagement. Comme le montrent certains travaux sur le tourisme et l’économie autour du patrimoine (voir notamment Prigent 2011 et 2013 ; Agence régionale du patrimoine Provence-Alpes-Côte d’Azur 2009), les visiteurs qui viennent découvrir le patrimoine en profitent, si le site le permet, pour s’adonner à d’autres activités associées au tourisme et à la consommation (shopping, promenade…). En effet, « seuls 20 % des touristes qui visitent des monuments déclarent voyager pour des motifs strictement culturels, quand 30 % sont disposés à effectuer un détour d’au moins 50 km pour visiter un site. À ces touristes culturels, nous pouvons opposer les 50 % restants, visitant un lieu au hasard » (Agence régionale du patrimoine Provence-Alpes-Côte d’Azur 2009, p. 25). Venus pour une raison, ils découvrent d’autres facettes et activités d’un territoire. C’est pourquoi l’inscription fonctionne d’autant mieux quand un territoire peut proposer une palette d’offres diversifiées et est équipé pour accueillir les visiteurs dans leur diversité. Des villes comme Albi, Le Havre ou Bordeaux se sont servies de l’inscription comme un moyen d’attirer l’attention sur d’autres atouts de leur territoire, au-delà de la dimension touristique et patrimoniale : Albi a ainsi mis en valeur sa qualité de vie pour mieux se distinguer de Toulouse.

Un catalyseur pour la cohésion du territoire

Se lancer dans une démarche d’inscription au patrimoine mondial représente donc souvent, pour les acteurs locaux, un moyen efficace de faire émerger ou d’affiner des projets de territoire, indépendamment du résultat final de la candidature. Comme l’affirmait un responsable de l’association Juridiction de Saint-Émilion, patrimoine mondial de l’humanité, le travail effectué dans le cadre d’une telle démarche n’est jamais perdu tant il permet d’asseoir tous les acteurs locaux autour de la même table. Ceci est d’autant plus vrai depuis que les plans de gestion sont devenus obligatoires. Les candidatures dont l’objectif se limite à donner un coup de projecteur sur le territoire n’ont que peu de chances d’aboutir. Les plans de gestion demandent désormais aux acteurs locaux un travail long et approfondi, qui peut en décourager certains.

Ceux qui vont jusqu’au bout du processus en sortent en revanche renforcés en matière de protection, de gestion et de valorisation du patrimoine et de leur territoire. L’exemple de Saint-Émilion montre comment la dynamique qui a suivi l’inscription UNESCO d’un site essentiellement réduit au bourg de Saint-Émilion a progressivement fait tache d’huile vers les communes environnantes, qui se sont organisées à leur tour pour valoriser leur patrimoine et tirer parti de l’attractivité du label « Saint-Émilion ». D’où le sentiment évoqué par les chefs de projets rencontrés : l’inscription à l’UNESCO a permis de « niveler vers le haut » les projets locaux. En cela, ces démarches patrimoniales et ces investissements économiques orientés vers une valorisation touristique « culturelle » paraissent parfois plus efficaces que les démarches courantes de planification territoriale autour des PLU et des SCoT, qui ont bien du mal à mobiliser les multiples acteurs locaux autour d’un projet fédérateur et stimulant.

Bibliographie

  • Agence régionale du patrimoine Provence-Alpes-Côte d’Azur. 2009. « Étude nationale des retombées économiques et sociales du patrimoine », mars 2009. .
  • Matthys, A. 2015. « Les retombées d’une inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Étude exploratoire dans le cadre des réflexions engagées en vue d’une éventuelle candidature de Vichy au patrimoine mondial », étude interne commanditée par la communauté d’agglomération Vichy Communauté.
  • Prigent, L. 2011. « Le patrimoine mondial est-il un mirage économique ? Les enjeux contrastés du développement touristique », Téoros, vol. 2, n° 30, p. 6-16.
  • Prigent, L. 2013. « L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, les promesses d’un label ? », Revue internationale et stratégique, vol. 2, n° 90, p. 127-135.
  • Prud’homme, R. 2008. « Les impacts socio-économiques de l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial : trois études », note préparée à la demande du patrimoine mondial de l’UNESCO.
  • Talandier, M. 2008. « Le classement UNESCO favorise-t-il l’activité touristique et le développement économique local ? Une étude économétrique du cas de la France », colloque UNESCO-Centre du patrimoine mondial.

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Pour citer cet article :

Anke Matthys, « L’effet UNESCO sur le développement local », Métropolitiques, 17 septembre 2018. URL : https://metropolitiques.eu/L-effet-UNESCO-sur-le-developpement-local.html

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