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De nouvelles formes de partenariat public-privé ?

Un appel à projet innovant à Grenoble

Face à l’austérité budgétaire, la Ville de Grenoble se donne un nouveau rôle de maîtrise d’ouvrage publique en recourant aux APUI. À la fois garante, propriétaire et facilitatrice, elle réinvente l’usage d’un foncier sous-exploité tout en préservant l’intérêt général.

Les appels à projets urbains innovants (APUI) ont suscité beaucoup de débats entre 2016 et 2019. Pour rappel, ces dispositifs consistent à « adapter les modalités publiques de cession foncière à des enjeux d’innovation. Les sites sont mis à concours [par une collectivité], accompagnés d’un ensemble de “conditions particulières” [...] exprimant des attentes en matière d’innovation – constructives, techniques, mais aussi en matière d’usages. La définition des programmes est ainsi, au moins partiellement, transférée aux groupements candidats » (Gomes 2020, p. 5). Plusieurs caractéristiques des APUI ont été discutées, à commencer par l’attention accordée à la notion d’innovation comme moteur des appels. Ceux-ci ont été considérés comme une impulsion adressée aux pratiques de l’immobilier privé, incitant les promoteurs à s’associer à de nouveaux acteurs afin que ce compagnonnage défriche de nouveaux usages (Guelton 2018 ; Landau 2019). Les APUI ont par ailleurs renouvelé le débat sur la relation entre public et privé. Certain·e·s chercheur·e·s ont vu là une continuité et un renforcement du rôle donné aux promoteurs dans la production de la ville (Orillard 2018 ; Guelton 2018). D’autres ont davantage associé les APUI à un retrait du public dans la programmation urbaine (Meunier et al. 2018) et par extension dans la définition de l’intérêt général (Josso et al. 2018). Les APUI les plus visibles ayant été lancés par la Ville de Paris et la Métropole du Grand Paris, les analyses et les débats qu’ils ont suscités se sont souvent concentrés sur le contexte parisien. C’est un APUI plus discret, lancé en 2017 par la Ville de Grenoble, que nous avons choisi d’étudier dans le cadre du projet GrinnUrb [1]. Contrairement à la plupart, celui-là tire son originalité du fait de n’avoir retenu aucun promoteur parmi ses lauréats. Ce cas d’étude va ici nous permettre de décrire la manière dont un APUI, initié sur fond d’austérité budgétaire, a amené une collectivité à céder à d’autres acteurs privés la programmation de son patrimoine immobilier, tout en collaborant avec eux au développement des projets envisagés.

L’APUI Gren’ de projets

C’est lors des journées du patrimoine 2017 que la Ville de Grenoble choisit de lancer l’APUI Gren’ de projets. L’événement offre ici une caisse de résonance aux ambitions portées par cet appel : « réveiller » certains bâtiments sous-utilisés du patrimoine municipal « en les faisant redécouvrir aux Grenoblois à travers de nouveaux usages [2] ». Plus concrètement, l’APUI vise la cession ou la location en bail emphytéotique de six édifices. Si la plupart de ces bâtiments témoignent d’un intérêt patrimonial indéniable, ils ont surtout besoin d’être entretenus et rénovés. Comme de nombreuses villes françaises, Grenoble subit un recul accéléré des dotations de l’État conduisant l’équipe Europe Écologie les Verts-Front de Gauche, dès son élection en 2014, à engager un Plan de sauvegarde des services publics, dont l’APUI Gren’ de projets est l’une des expressions. À l’époque, la nouvelle équipe décide de regrouper les services qui gèrent le parc foncier de la ville en une seule direction dite de l’immobilier municipal (DIM). Ce nouveau service est immédiatement sollicité par les élu·e·s pour optimiser les coûts de gestion de l’important patrimoine détenu par la Ville. La question budgétaire n’est pas la seule à entrer en ligne de compte. L’enjeu est aussi d’engager la sobriété énergétique du parc existant en rénovant les équipements les plus occupés et en réfléchissant à mutualiser l’occupation de ceux qui le sont moins (directrice de la DIM, novembre 2020). Dans ce contexte, l’APUI « Réinventer Paris », lancé quelques mois plus tôt, attire l’attention de la directrice de la DIM qui s’en fait le relais auprès des élu·e·s du groupe de travail « stratégie patrimoniale ». S’engage alors un dialogue entre le service et l’instance pour identifier les bâtiments qui pourraient faire l’objet du dispositif. Selon l’adjointe qui pilotait à l’époque le groupe de travail, il s’agissait de sélectionner des édifices de taille variable et différemment représentatifs de l’histoire de la ville, afin « d’attirer une vraie diversité d’acteurs » (novembre 2019). Les élu·e·s qui portaient ce chantier ont par ailleurs considéré que l’APUI pouvait permettre à l’écosystème associatif grenoblois de tenter des rapprochements inédits auprès des investisseurs locaux. En mars 2018, la désignation des lauréats de Gren’ de projets a en partie donné raison à ce pari.

Le cadrage et l’accompagnement

À la suite du processus de sélection, quatre projets ont été retenus par un jury composé d’élu·e·s de la majorité et de l’opposition et d’expert·e·s. Sur les six bâtiments mis au concours, un musée de 10 000 m2 n’a pas trouvé preneur à cause, probablement, de la complexité de sa rénovation. Les groupements qui s’étaient positionnés en première phase, incluant un promoteur d’envergure internationale, n’ont pas abouti leur proposition au moment du dépôt en seconde phase. L’appel a également été jugé infructueux concernant une piscine municipale désaffectée, située dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, et ce dès la première étape du concours. La Ville et la Métropole ont toutefois décidé d’accompagner le projet du collectif interassociatif qui s’était positionné mais qui ne présentait pas les garanties financières suffisantes.

Lauréats ou repêchés, les cinq projets finalement retenus ont en commun le fait de n’être portés par aucun promoteur privé. Ces derniers ont été très peu présents parmi les candidats à l’APUI. Un facteur que nous pouvons associer à cette absence est une communication ayant plutôt visé les associations locales. Nous pouvons également évoquer le fait que les sites relevaient d’emblée d’un foncier difficile à valoriser au vu de la faible constructibilité des parcelles et des contraintes patrimoniales des bâtiments cédés. Notons qu’à ce jour aucun d’eux ne l’a été. Face à la complexité de leur rénovation et à la fragilité des montages économiques défendus par les équipes lauréates, la Ville a préféré opter pour une « contractualisation itérative » (Landau 2019) via des conventions de partenariat et des baux emphytéotiques. Cette stratégie a permis de définir les engagements des deux parties, notamment en matière d’usages et de respect des caractéristiques patrimoniales des bâtiments. La collectivité est restée engagée dans les projets via un suivi spécifique assuré en interne. La technicienne qui s’en charge depuis 2018 justifie sa mission en rappelant que « ce ne sont pas que les projets des porteurs, ce sont aussi les projets de la Ville » (juillet 2020). Son rôle consiste à accompagner la mise en œuvre opérationnelle des projets en pilotant la contractualisation et la médiation entre les porteurs et les interlocuteurs publics (élu·e·s, Département, Métropole). Elle apporte une aide aux équipes dans la recherche de financement et de partenaires potentiels.

Trois catégories de projets

Les cinq projets accompagnés peuvent être classés en trois catégories en fonction de la typologie des porteurs et des modèles économico-juridiques qu’ils mobilisent. Une première catégorie est celle des projets portés par des petits entrepreneurs-exploitants. Ils concernent les bâtiments de grande taille situés en centre-ville : une orangerie de 1 218 m2 du XIXe siècle et un couvent de 3 743 m2 du XVIIe siècle. Deux ingénieurs urbanistes en reconversion se sont positionnés sur l’orangerie pour y développer un food-court autour de la restauration « responsable ». Dans les murs du couvent, un entrepreneur local et une experte en marketing ont proposé un tiers-lieux associant coworking et coliving. Les deux projets se sont appuyés sur des crowdfundings qui ont réuni un dixième du budget de l’orangerie et plus d’un tiers de celui du couvent.

La deuxième catégorie regroupe des projets pilotés par des coalitions de maîtrise d’ouvrage et d’usage. Ces groupements plus singuliers ont investi les bâtiments de taille moyenne situés dans des secteurs résidentiels moins centraux : une villa du XIXe siècle de 700 m2 et la piscine de 800 m2 datant de 1975. Un groupement d’acteurs et d’actrices du tiers secteur s’est associé à un bailleur local pour développer dans la villa une pension de famille, un atelier de réinsertion et des lieux de rencontre à destination des publics dits précaires. Quant à la piscine, c’est une coalition constituée de représentant·e·s d’associations, d’habitantes et de technicien·ne·s de la Ville et de la Métropole qui travaillent depuis trois ans à la création d’un lieu dédié au bien vivre (hammam-sauna, restauration, jardinage). Dans les deux cas, ces coalitions ont mutualisé leurs sources de financement (subventions publiques, mécénat, dons, appels de fonds) et se mobilisent pour répondre à d’autres appels à projets.

Une dernière catégorie concerne un projet porté par un maître d’ouvrage associatif, qui assurera la gestion d’un pavillon du XIXe siècle de 183 m2 réhabilité en 2008. L’association d’ampleur nationale (Ligue de l’enseignement), déjà bien implantée dans le quartier par la présence d’un cinéma d’art et essai, y installera un atelier d’éducation à l’image sur des financements propres.

Figure 1. Localisation des projets

© Federica Gatta, 2022.
Sources utilisées pour les images :
www.geoportail.gouv.fr
Thierry Chenu, www.gre-mag.fr
lorangeriegrenoble.fr
piscineiris.wordpress.com
www.facebook.com/minim.grenoble
www.placegrenet.fr

Un nouveau rôle de la maîtrise d’ouvrage publique ?

Gren’ de projets se distingue des APUI lancés depuis 2015 en ce qui concerne les deux caractéristiques évoquées en introduction : l’innovation comme moteur des appels et la délégation de la programmation publique aux promoteurs privés. À Grenoble, cette programmation est le fait d’équipes exclusivement constituées d’acteurs et d’actrices « alter » et d’exploitants-usagers dont les rôles sont restés marginaux dans d’autres APUI (Gomes 2020). Par ailleurs, Gren’ de projets découle moins d’une volonté publique de stimuler les pratiques de l’immobilier privé que du souhait d’encourager des formes plus variées d’entreprenariat pour répondre aux contraintes de l’urbanisme d’austérité (Peck 2012). À Grenoble, la collectivité épaule les équipes lauréates ou repêchées dans leur recherche de financements pour rénover les biens qu’elles vont occuper, l’acteur public trouvant là des leviers d’action inédits pour compenser les logiques d’austérité qui pèsent sur la gestion de son patrimoine foncier.

À ce titre, la collectivité ne s’est pas cantonnée à un simple rôle d’arbitre lors de la phase de sélection et de contractualisation des projets. Elle s’est donné les moyens de rester impliquée dans leur mise en œuvre en endossant le rôle de garante, de propriétaire, d’assistante à la maîtrise d’ouvrage et/ou de facilitatrice. À l’inverse d’un outil de cession orienté vers des logiques de spéculation, l’APUI grenoblois a généré de ce point de vue des partenariats public-privé qui travaillent davantage à une démocratisation de la ressource foncière (Russell et al. 2022). En ayant misé sur des programmes qui, pour certains, s’adressent aux publics les plus vulnérables, la collectivité semble par ailleurs donner une prise concrète à ce qui reste la gageure de la plupart des APUI : réinventer l’usage d’un foncier public sous-exploité sans renoncer à l’intérêt général qu’il peut servir.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Federica Gatta & Cécile Léonardi & Pierre-Olivier Garcia & Anne D’Orazio & Théa Manola & Josselin Tallec & Silvère Tribout & Nicolas Bataille, « De nouvelles formes de partenariat public-privé ?. Un appel à projet innovant à Grenoble », Métropolitiques, 2 février 2023. URL : https://metropolitiques.eu/De-nouvelles-formes-de-partenariat-public-prive.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1879

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