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Changer le territoire, devenir terrestres

Quatre leçons politiques sur Trump, le climato-négationnisme, la mondialisation et la nature
Dans son dernier ouvrage, Bruno Latour reconsidère le Brexit et l’élection présidentielle américaine de 2016 à la lumière de l’écologie politique. Donald Trump y figure le chef de file des « sécessionnistes » et le héros paradoxal de la lutte contre le changement climatique.
Recensé : Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017, 160 p.

L’essai de Bruno Latour, Où atterrir ?, propose une lecture de la situation mondiale contemporaine qui place la question écologique en son cœur. Il propose d’adosser la compréhension des enjeux politiques mondiaux relatifs au changement climatique à l’actualité politique récente, et fait de Trump un pivot de sa lecture : son élection permet de « relier trois phénomènes que les commentateurs ont déjà repérés mais dont ils ne voient pas toujours le lien » (p. 9) : 1. la « dérégulation », qui « va donner au mot de “globalisation” un sens de plus en plus péjoratif » ; 2. l’« explosion de plus en plus vertigineuse des inégalités » ; 3. « l’entreprise systématique pour nier l’existence de la mutation climatique [1] ».

Leçon 1. La repolitisation de l’écologie : quand Trump montre la voie

L’urgence climatique est souvent décrite comme la cause vers laquelle doivent converger les intérêts de tous, parce qu’elle met en jeu la survie de l’humanité entière. La thèse défendue ici par Latour s’inscrit en contrepoint d’une telle perspective et se place à rebours des affirmations, telles que « l’homme détruit la vie sur terre » et de leur tonalité morale. L’auteur requalifie la situation sous un angle agonistique, la replaçant au cœur des conflits économiques et sociaux, dont on a longtemps détaché les enjeux environnementaux.

Un premier argument tient à la distribution très inégale des responsabilités en matière de changement climatique [2] : les populations des pays du Nord, longtemps bénéficiaires de la globalisation, commencent seulement à entrevoir ce que peut signifier le fait d’en devenir les victimes. Jusqu’ici, seuls « ceux qui avaient subi, depuis cinq siècles, l’impact des “grandes découvertes”, des empires, de la modernisation, du développement et enfin de la globalisation » comprenaient « ce que veut dire se voir privé de terre » (p. 16). Mais cet effet de perspective n’est pas seul en cause. L’aveuglement persistant est aussi le fruit d’une « production active de l’ignorance [3] ».

Le climato-négationnisme

L’insuffisante politisation de l’urgence climatique n’est pas seulement le résultat d’une négligence collective coupable : c’est aussi le produit de stratégies d’opacification et de mise en doute des faits relatifs au changement climatique, menées par ce que Latour nomme des « élites obscurcissantes ». Sans les définir, il vise les classes dirigeantes qui ont imposé un ordre mondial servant leurs intérêts. Elles n’ont pas refusé de voir cette réalité : elles en ont bel et bien pris acte. Mais, plutôt que de renoncer à leur mode de vie (« the American way of life is non negotiable », affirmait Bush père au sommet de Rio en 1992), elles ont abandonné le projet politique du maintien d’un horizon commun, où les bénéfices devaient être partagés, et se sont débarrassées des « fardeaux de la solidarité » (p. 30). Le Brexit, l’essor du trumpisme et la sortie des accords sur le climat en seraient les signes les plus nets. Pour illustrer cette analyse, racontée comme une fable (« tout se passe comme si »), Latour ose une analogie avec le naufrage du Titanic : devant le désastre annoncé, et à défaut de pouvoir sauver tout le monde, les passagers de première classe consentent à laisser périr les autres. Retarder l’ébruitement de la nouvelle du naufrage, voire la démentir vigoureusement, n’est que l’autre versant du même procédé.

Ainsi considérée, l’élection de Donald Trump en 2016 devient la mise au jour tonitruante d’une politique jusque-là menée à bas bruit, qui organise sciemment la production de l’ignorance collective quant au changement climatique, pour empêcher que les mesures nécessaires ne soient prises. Tel est, selon Latour, le service que rend au monde une politique aussi désinhibée : il n’est désormais plus possible d’ignorer que ceux qui dénient le changement climatique sont ceux-là mêmes qui ont décidé de faire sécession. Ils ne sont ni des imbéciles à éduquer ni des insouciants à (r)éveiller, mais des adversaires politiques à combattre.

Comment ne pas verser dans les théories du complot ?

La réflexion sur le rapport aux faits et à la vérité scientifique permet de ne pas en rester à l’embarras relatif dans lequel semble nous placer la position de Latour. Comme l’explique le philosophe Mathias Girel, « deux dangers symétriques » menacent en la matière : « celui qui consiste à voir des intentions là où il n’y en a pas, celui qui consiste à ne pas les voir lorsqu’elles sont là. […] Il y a lieu de s’inquiéter de certaines formes de complotisme, en particulier lorsqu’elles ne sont qu’un masque pour la haine d’un groupe ou d’un collectif, [mais] refuser par hypothèse qu’il y ait, parfois, des conspirations […] me semble être un déni de l’Histoire à peu près aussi préoccupant [4] ».

Cette situation conduit Latour à réinterpréter le succès des « faits alternatifs » de l’ère Trump et « le délire épistémologique » (p. 34) qui l’accompagne. Plutôt que de déplorer « l’avènement d’un monde « post-vérité » ou […] une victoire de l’irrationnel », on devrait prendre acte, « au vu de toutes les couleuvres qu’on leur a fait avaler », de toutes les bonnes raisons qu’ont « les gens ordinaires » de « ne plus croire en rien ».

Leçon 2. Aux sources économiques et politiques de la désorientation contemporaine : le découplage de la modernisation et du progrès

Latour juge nos sociétés en proie à une profonde désorientation, qui rend obsolètes nos grilles de lecture politique (droite/gauche, progressiste/réactionnaire, moderne/arriéré). En cause, le dévoiement du concept de modernisation (Latour 1991), vecteur jusque-là de nos choix de civilisation. Ce concept, qui faisait converger les idées de « progrès, d’émancipation, de rationalité, de richesse », rime désormais avec « la furie de dérégulation, l’explosion des inégalités, l’abandon des solidarités » (p. 31). Latour propose de désigner ces deux « faces » de la mondialisation (présentées de façon peut-être un peu simple comme deux moments) comme la « mondialisation-plus » et la « mondialisation-moins » (p. 24), pour distinguer l’idéal d’ouverture et d’émancipation dont la mondialisation était porteuse, de ce à quoi elle s’est réduite. Le problème du lien entre ces deux faces de la mondialisation n’intéresse pas l’auteur. Il pose leur bifurcation comme un événement historique, récent : ce moment où, à la faveur de ce que certains scientifiques nomment « la grande accélération » (dans la seconde moitié du XXe siècle), les dynamiques économiques se sont emballées au point de venir rompre l’équilibre maintenu jusque-là. La diminution des protections offertes par les États, le travail et le salariat, puis l’éloignement brutal de l’horizon d’un partage mondial des richesses en sont les résultats les plus manifestes.

Ce dévoiement des promesses de la mondialisation a eu pour contrepartie l’essor des réactions défensives, réactionnaires, visant le repli vers les protections anciennes, « le Local », l’appartenance, l’identité, les frontières et les formes de stabilité qu’on les croit à tort capables de garantir. Or, souligne Latour, « le Local relooké n’a pas plus de vraisemblance, n’est pas plus habitable que la mondialisation-moins » (p. 43). Nous sommes piégés dans la contradiction ainsi nouée : « Comme si l’expression monde moderne était devenue un oxymore. Ou bien il est moderne, mais il n’a pas de monde sous ses pieds. Ou bien c’est un vrai monde, mais il ne sera pas modernisable » (p. 46). Il faut donc « retisser des bords, des enveloppes, des protections » pour faire tenir ensemble ces « deux mouvements complémentaires que l’épreuve de la modernisation [a] rendus contradictoires : s’attacher à un sol d’une part ; se mondialiser de l’autre » (p. 22).

Leçon 3. Aux sources épistémologiques de la désorientation : l’homme « dans la nature »

Dans la lignée des science studies, Latour rappelle qu’« aucune connaissance avérée […] ne tient seule. Les faits ne restent robustes que lorsqu’il existe pour les soutenir une culture commune, des institutions auxquelles on puisse se fier, une vie publique à peu près décente, des médias quelque peu fiables » (p. 34-35). C’est pourquoi les étais pour s’approprier les faits relatifs au Nouveau Régime Climatique manquent, sur deux plans : d’une part, les connaissances scientifiques ont été étouffées, euphémisées et discréditées (c’est le climato-négationnisme). Mais ce sont aussi, d’autre part, nos façons de penser, de concevoir notre place dans le monde qui ont contribué à nous rendre peu accessibles les phénomènes qu’il nous est pourtant vital d’appréhender.

La vue de Sirius, paradigme désastreux de la connaissance scientifique de la « Nature »
Notre épistémologie occidentale nous a habitués à considérer que « connaître, c’est connaître de l’extérieur ». C’est là une source majeure d’incompréhension du concept de nature qui « […] jusqu’au XVIe siècle encore, pouvait inclure toute une gamme de mouvements – c’est le sens étymologique de la natura latine ou de la phusis grecque, que l’on pourrait traduire par provenance, engendrement, processus, cours des choses », mais qui ne désigne plus désormais que « ce qui permet de suivre un seul type de mouvement considéré de l’extérieur » (p. 89-91). Notre modèle de rationalité scientifique nous a ainsi privés de l’accès à « toute une gamme de transformations : genèse, naissance, croissance, vie, mort, corruption, métamorphoses », en séparant « le réel – extérieur, objectif et connaissable – et l’intérieur, subjectif et inconnaissable ». Ce dualisme épistémologique s’est vu redoubler par le mouvement de modernisation politique, conduisant à « associer le subjectif avec l’archaïque et le dépassé ; l’objectif avec le moderne et le progressiste » (p. 92).

Le problème d’une connexion à rétablir ne se pose donc que parce qu’on a commencé par déconnecter deux dimensions du réel qui sont organiquement solidaires – il en va ainsi de tous les grands dualismes : matière/esprit, nature/culture, émotion/raison, théorie/pratique, etc. On a fait comme si l’humanité relevait d’un ordre de réalité spécifique, dissocié de l’existence d’un monde biologique dans lequel elle se trouverait placée, aux côtés (et au-dessus) du reste du vivant.

Cette séparation entre les théories de la nature et la pensée politique a conduit à négliger la nature politique des faits scientifiques ; « [p]eu de gens feront campagne pour une vision alternative des trous noirs ou de l’inversion magnétique, mais nous savons par expérience que sur les sols, les vaccins, les vers de terre, l’ours, le loup, les neurotransmetteurs, les champignons, la circulation de l’eau ou la composition de l’air, la moindre étude se trouvera aussitôt plongée en pleine bataille d’interprétations » (p. 103). L’impuissance politique des écologistes tient d’ailleurs, selon l’auteur, à leur incapacité à mettre en cause cette structure dualiste : leurs inquiétudes sont renvoyées au rang des scrupules moraux visant à prévenir les excès de cette ontologie binaire (entre humains et monde ; sujet et objet) sans la contester. C’est pourquoi ils restent confinés à la marge des affaires humaines (politiques), n’intéressant que les amoureux de la nature et les défenseurs des animaux.

Latour appelle donc à se déprendre de cette conception de la « nature », vue à tort comme extérieure pour s’orienter vers le « Terrestre » ressaisi comme ce dont dépend notre survie et à passer ainsi « d’une analyse en termes de systèmes de production à une analyse en termes de systèmes d’engendrement ». L’enjeu est de redonner leur place aux « attachements » et aux « vertus […] de la dépendance [5] » (p. 107).

Leçon 4. En quête de nos dépendances : « le Terrestre » comme lieu du politique ressaisi depuis nos conditions de subsistance

Au moment d’imaginer comment se réorienter, Latour convoque une nouvelle fois la figure de Trump, dont la proposition politique combine le pire du Global et du Local, « la fuite en avant vers le profit maximal en abandonnant le reste du monde à son sort […] [et] la fuite en arrière de tout un peuple vers le retour aux catégories nationales et ethniques » (p. 50). C’est ce qui fait de l’administration Trump « le premier gouvernement totalement orienté vers la question écologique – mais à l’envers, en négatif, par rejet ! ». Latour y voit une vertu d’aiguillage : « il suffit […] de se mettre dans le dos de Trump et de tracer une ligne qui mène directement là où il faudrait aller ! » (p. 52). L’orientation du « Hors Sol » (p. 48) nous indique en creux la direction d’un nouveau rapport au sol, ou comment devenir « Terrestres ». Mais la contre-orientation ainsi balisée reste vague.

En dépit des impasses idéologiques, les réponses à inventer, affirme Latour, se logeront dans la réforme des pratiques : « ce ne sont pas les attitudes qui comptent en politique, mais la forme et le poids du monde auxquels ces attitudes ont pour fonction de réagir. […] Ce qu’on appelle les valeurs à défendre, ce sont toujours des réponses aux défis d’un territoire que l’on doit pouvoir décrire. Telle est en effet la découverte décisive de l’écologie politique : c’est une politique-orientée-objet » (p. 70).

Que faire donc, concrètement ? Dans une énumération un brin ironique, l’auteur évoque les formes contemporaines d’engagement qui tâtonnent face au défi climatique et tentent, à leur échelle, de regagner des marges de manœuvre : « Est-ce que je dois me lancer dans la permaculture, prendre la tête des manifs, marcher sur le Palais d’Hiver, suivre les leçons de saint François, devenir hacker, organiser des fêtes de voisins, réinventer des rituels de sorcières, investir dans la photosynthèse artificielle, à moins que vous ne vouliez que j’apprenne à pister les loups ? » (p. 119). Sans surprise, ces engagements dispersés ne dessinent pas une solution d’ensemble qui soit à la hauteur du défi.

Mais que faire ? « D’abord décrire. Comment pourrions-nous agir politiquement sans avoir inventorié, arpenté, mesuré, centimètre par centimètre, animé par animé, tête de pipe après tête de pipe, de quoi se compose le Terrestre pour nous ? » (p. 119). Il ne s’agit pas seulement de comprendre notre dépendance à tout ce qui fait l’environnement non humain, il faut défaire les conséquences pratiques de nos erreurs de jugement, de nos idéologies erronées. Latour esquisse deux pistes en ce sens : la diplomatie et l’enquête. Sur les formes de diplomatie à mettre en œuvre, il reste évasif, évoque de nécessaires « négociations » à « mener pour déplacer les intérêts de ceux qui continuent à fuir vers le Global et de ceux qui continuent à se réfugier dans le Local, afin de les intéresser à ressentir le poids de ce nouvel attracteur [terrestre] », la quête d’« alliés chez des gens qui, selon l’ancienne gradation, étaient clairement des “réactionnaires” », ainsi que des « alliances avec des gens qui, toujours selon l’ancien repère, étaient clairement des “progressistes”, et même peut-être des libéraux, voire des néolibéraux ! » (p. 70).

La seconde piste proposée, sur laquelle se clôt l’ouvrage, est d’entreprendre des enquêtes. En lecteur de la philosophie pragmatiste et notamment de John Dewey, il propose cette méthode, dont la dynamique consiste précisément à articuler la production de connaissances théoriques et l’exploration des conséquences pratiques de toute action ou de toute pensée [6].

Enquêter, décrire des « terrains de vie », des réseaux de subsistance
Le « Nouveau Régime Climatique », c’est « ne plus savoir de quoi l’on dépend pour subsister […] ». Or, « exister comme peuple et pouvoir décrire ses terrains de vie, c’est une seule et même chose » (p. 123). Retrouver une maîtrise de ce dont dépend notre survie suppose de redécrire ces dépendances et connexions. C’est donc, affirme Latour, « comme toujours, par la base, par l’enquête » (p. 120), qu’il faut commencer. L’auteur appelle ainsi à une sorte de respécification ethnométhodologique de la production des formes de vie, à partir de la description de « terrains de vie » qui désignent « ce dont un terrestre dépend pour sa survie » : « ce dont il a besoin pour sa subsistance, et par conséquent, ce qu’il est prêt à défendre, au besoin par sa propre vie. Cela vaut pour un loup comme pour une bactérie, pour une entreprise comme pour une forêt, pour une divinité comme pour une famille. Ce qu’il faut documenter, ce sont les propriétés d’un terrestre – dans tous les sens du mot propriété – par quoi il est possédé et ce dont il dépend » (p. 121).

Le territoire ainsi compris ne désigne donc pas l’unité spatiale juridique, administrative ou géographique, mais un réseau dynamique d’agents et d’activités. Il suppose d’identifier des configurations qui traversent « toutes les échelles d’espace et de temps ». Il n’est pas anthropocentré mais prend en compte tous les « autres terrestres qui se trouvent dans sa dépendance ». Cette mise au jour des réseaux de dépendance est, selon Latour, ce qui permettra de redonner prise à l’action (politique) : « À quoi tenez-vous le plus ? Avec qui pouvez-vous vivre ? Qui dépend de vous pour sa subsistance ? Contre qui allez-vous devoir lutter ? […] C’est quand on se pose ce genre de question que l’on s’aperçoit de notre ignorance. Chaque fois que l’on commence ce genre d’enquête, on est surpris de l’abstraction des réponses. […] La mondialisation-moins a fait perdre de vue, littéralement, les tenants et les aboutissants de nos assujettissements. D’où la tentation de se plaindre en général et l’impression de ne plus avoir de levier pour modifier sa situation » (p. 121-122).

Des modalités d’enquête et d’action qui restent largement à penser

Le modèle d’enquête que propose Latour est celui des « cahiers de doléances » rédigés en 1789, avant la Révolution française, dans lesquels « tous les villages, toutes les villes, toutes les corporations, sans oublier les trois états » ont décrit « assez précisément leur milieu de vie […] règlement après règlement, lopin de terre après lopin de terre, privilège après privilège, impôt après impôt » (p. 123). Cette perspective est stimulante mais pose nombre de difficultés. L’une d’entre elles tient (en dehors même des modalités pratiques de mise en œuvre d’enquêtes de cette envergure) à la disponibilité des descriptions ici appelées.

En effet, le langage n’étant pas dissociable de nos formes de vie, comment défaire les catégories langagières (descriptives) avant d’avoir transformé nos pratiques et nos façons d’agir ? Comment atteindre et retrouver, par les mots seuls, ce qui s’est rendu inaccessible, du fait des connexions erronées, des dualismes, de l’incapacité à se figurer nos modes de vie ? Un symptôme de notre impuissance n’est-il pas l’absence de ce vocabulaire qui manifesterait et porterait à la fois le renouvellement de nos façons de penser (notre rapport au sol, au monde, notre existence de terrestre) ? Comment faire advenir ces descriptions sans en rester à un niveau de généralité ou à la mise en cause d’entités abstraites ici dénoncée (le système, les riches, la justice, etc.) ?

Dans cette perspective, il manque peut-être à cet essai, par ailleurs stimulant, une réflexion plus ample et plus précise sur les dynamiques d’actions plurielles à engager et la mise en œuvre concrète des enquêtes à mener, où prendrait place la considération d’une diversité de manières de se réarmer, et d’articuler des formes et des publics de la lutte à conduire. L’un des lieux de cette articulation des descriptions de nos vies de terrestres à l’émergence de capacités d’agir collectives renouvelées n’est-il pas le droit, auquel s’adossent aujourd’hui des luttes en nombre croissant aux échelles à la fois locales (Le Roy 2019), nationale et internationale (Cabanes 2018) ? L’invention de nouveaux sujets de droits, la lutte contre la corruption, la définition juridique et la pénalisation de nouvelles formes de (climato-)négationnisme, la pénalisation des crimes écologiques, ne sont-elles pas autant de gages des attachements et d’instruments de leur défense, susceptibles d’étayer la quête, indissociablement pratique et philosophique, d’un redevenir terrestres ?

Bibliographie

  • Cabanes, V. 2018. « Comment défendre la planète en justice ? », Métropolitiques [en ligne], 12 février.
  • Dewey, J. 1993 [1938]. Logique. Théorie de l’enquête, Paris : PUF.
  • Girel, M. 2017. Sciences et territoires de l’ignorance, Paris : Éditions Quae.
  • Hache, E. (dir.). 2016. Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Paris : Éditions Cambourakis.
  • Latour, B. 2015. Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris : La Découverte-Les Empêcheurs de penser en rond.
  • Latour, B. 1991. Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris : La Découverte.
  • Le Roy, A. 2019. « Terres fertiles contre projet stérile : la lutte contre EuropaCity », Métropolitiques [en ligne], 3 octobre.
  • Madelrieux, S. 2019. La Philosophie de John Dewey, Paris : Vrin.
  • Proctor, R. 2014. Golden Holocaust. La conspiration des industriels du tabac, Paris : Éditions des Équateurs.

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Pour citer cet article :

Carole Gayet-Viaud, « Changer le territoire, devenir terrestres. Quatre leçons politiques sur Trump, le climato-négationnisme, la mondialisation et la nature », Métropolitiques, 26 mars 2020. URL : https://metropolitiques.eu/Changer-le-territoire-devenir-terrestres.html

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