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Vieillir chez soi

Les enjeux liés à l’habitat des personnes âgées

Comment vivre « chez soi » quand on entre dans le grand âge ? Articulé autour de cette question centrale posée par Monique Membrado et Alice Rouyer, un ouvrage collectif propose un regard pluriel sur cet enjeu de société majeur.

Recensé : Monique Membrado et Alice Rouyer (dir.), Habiter et vieillir, vers de nouvelles demeures, Paris, Éditions Érès, 2013, 278 p.

Le vieillissement démographique pose de nombreuses questions de fond aux responsables politiques. Comment vivons-nous chez nous ? Quels seront les enjeux quand nous serons nombreux à entrer dans le grand âge ? S’inscrivant dans le sillage d’un colloque organisé en 2009 sur le thème « Vivre le vieillir », l’ouvrage Habiter et vieillir, vers de nouvelles demeures dirigé par Monique Membrado et Alice Rouyer se fixe comme objectif d’analyser les rapports entre vieillir et habiter en traitant de la notion de « chez soi » à travers un parcours résidentiel, voulu ou subi, en fonction des aléas de la vie. Il propose ainsi une pluralité de lectures dynamiques de la notion du « chez soi ». En outre, les contributeurs poussent la réflexion jusqu’à présenter des alternatives intéressantes et originales à l’entrée redoutée en institution, comme les coopératives ou encore les résidences intergénérationnelles.

La question centrale du chez soi

L’ouvrage pose en premier lieu la question de la définition du « chez soi », notion très complexe. En effet, celui-ci « n’est pas que se loger, que l’abri (mais) porteur de significations symboliques et de valeurs particulières » (p. 10). En maison de retraite, « que devient cet espace privé constamment violé par un personnel “bienveillant” ? L’obsession de la sécurité y autorise toutes les intrusions », s’insurge le sociologue Bernard Duperrein (p. 208). Au-delà des établissements pour personnes âgées dépendantes, Dominique Argoud estime plus généralement que l’excès de normalisation nuit à la création de structures « intermédiaires » entre le logement classique et « l’ultime demeure ». Il s’agit d’une véritable problématique car, si les résidences de services ne nécessitent pas d’autorisation particulière, la création d’établissements pour personnes âgées, dépendantes ou non, est soumise à des normes architecturales et à un contrôle très strict des autorités de tutelle. Toute originalité de conception se heurte ainsi à une quasi-impossibilité juridique ou financière, ce qui n’incite pas les promoteurs et les bailleurs sociaux à prendre en compte « l’expérience singulière du vieillir » (p. 223). On trouve bien quelques tentatives comme la « Maison des Babayagas » à Montreuil, en Seine-Saint-Denis (p. 224), mais de telles initiatives ne « s’articulent pas, ou peu, avec les politiques existantes » (p. 224), tandis que la durée de mise en œuvre de ce projet (plus de 10 ans) l’a considérablement dénaturé. Il aurait sans doute été pertinent de présenter un exemple de réalisation fonctionnant par âge et non par genre, comme il en existe de nombreuses en France. Les auteurs décrivent toutefois des expériences réussies et abouties à l’étranger, particulièrement dans le domaine de l’intergénérationnel et notamment en Allemagne. Renforçant la position de Dominique Argoud, Anne Labit tente d’expliquer de manière assez convaincante pourquoi la France est autant en retard : suppression des coopératives d’habitat en 1971, attribution des règles de logement social, montages économiques, etc.

Au-delà d’une tentative de « réinventer les lieux du vieillir », les coordinateurs nous proposent une définition d’un « chez soi » plus anthropologique par l’approche de « l’économie symbolique des biens de famille » (p. 27), sa transmission, le tri et l’encombrement de ces objets symboliques qui reflètent notre identité. L’ouvrage s’intéresse également aux relations sociales liées au voisinage, dont le déménagement constitue une rupture qui « s’accompagne d’un long processus de désinvestissement pour pouvoir réinvestir un nouveau lieu » lorsque la personne en a encore la capacité. L’évolution du quartier est également un élément de délitement du lien social, à l’image de « la disparition de ce lieu symbolique qu’était pour Mme D. “son” marché », celle-ci se retrouvant dans un quartier « déserté, métaphore d’une vie qui l’abandonne également » (p. 50). C’est finalement la question du territoire qui devrait être au cœur de la réflexion : une partie s’intitulant « parcours résidentiels et mobilités » y est d’ailleurs consacrée.

Vieillissement et gestion des territoires périurbains

60 % des ménages de plus de 80 ans vivent dans des pavillons, et 70 % des ménages de plus de 65 ans sont propriétaires. Alors que les ménages retraités les plus aisés habitent dans les grandes zones urbaines, les moins aisés sont surreprésentés dans les espaces périurbains et ruraux (Centre d’analyse stratégique 2013). Voilà un sujet fondamental qu’il conviendrait d’investiguer, d’autant que seulement 1,9 % des personnes changent de domicile entre 50 et 75 ans en France (Laferrère et Angelini 2009). Ainsi, les banlieusards resteront banlieusards, même âgés. Les enjeux sont donc immenses pour les pouvoirs publics en termes de gestion des transports, des commerces et des soins.

L’ouvrage tente à plusieurs reprises d’analyser le rapport complexe entretenu avec l’environnement autour du domicile, tout particulièrement en milieu périurbain. Les contributions de Sandra Thomann et de Sandrine Bacconnier-Baylet semblent se focaliser sur le pavillon en lui-même, dont la question a déjà été abordée dès le début des années 2000 outre-Atlantique (Renaud 2000) puis en Europe (Lord et Luxembourg 2006 ; Chaudet 2009). Claire Aragau et Annabelle Brochet présentent une analyse détaillée intéressante et s’appuyant sur des travaux partiellement publiés (Berger et al. 2010). Cependant, on reprochera aux quelques pistes esquissées – par exemple, la « nécessité de petites navettes de petites capacités et à la demande, mais à des coûts très faibles » (p. 119) – de n’être pas suffisamment étoffées notamment en matière de financement, de gestion et d’organisation. En outre, on regrettera l’absence de références aux rapports traitant du sujet de manière opérationnelle (Boulmier 2009 ; Franco 2010 ; ou encore Broussy 2013), ainsi qu’à la littérature récente sur le sujet (Viriot-Durandal et al. 2012). De ce fait, la question fondamentale de la capacité des territoires périurbains à intégrer une population vieillissante, peu encline à déménager vers les centres urbains pourtant plus favorables, n’est qu’effleurée au lieu d’être traitée en profondeur.

Une perspective comparée à approfondir

Si le fil conducteur est le « vivre chez soi » et s’inscrit dans les rapports entre le vieillir et l’habiter, l’organisation globale des chapitres n’est pas évidente. Deux chapitres traitent ainsi du vieillissement à Mexico sans que ce choix ne soit explicité. Le premier chapitre, rédigé par Martha de Alba Gonzalès, utilise la méthode des cartes mentales comme outil de représentation spatiale auprès d’une population résidant dans le centre de la métropole. Malheureusement, les références de cet article sont trop anciennes : il aurait été opportun de citer les travaux récents de ce domaine en plein renouveau (Nader 2011) du fait de l’évolution des techniques et des analyses. Le deuxième chapitre s’intéresse aux arrangements familiaux et aux mobilités résidentielles, champ d’étude assez peu traité, d’après l’auteur, en Amérique latine. Bien que l’étude en elle-même mérite une lecture approfondie, une véritable comparaison avec la France aurait été appréciée, comme celle que propose Anne Labit sur l’habitat solidaire intergénérationnel avec l’Allemagne ou encore Jim Ogg et al. avec l’Angleterre. Cette dernière comparaison est particulièrement intéressante, démontrant à l’aide de chiffres et de graphiques que, là où la France a une conception fragmentée du parcours de vie, l’Angleterre a une vision beaucoup plus globale et sans doute plus pragmatique tout au long de la vie.

Finalement, à force de vouloir tout traiter et multiplier le nombre de disciplines associées et les terrains d’étude, on a l’impression de « picorer » d’un chapitre à l’autre. Il ressort toutefois de l’ouvrage d’intéressantes observations relatives aux relations qu’entretiennent législation et innovation en matière d’hébergement, ainsi qu’aux questions éthiques sous-jacentes de l’hébergement de personnes âgées en France comparée à d’autres pays, qui mériteraient d’être approfondies dans de futures publications.

Bibliographie

  • Berger, Martine, Rougé, Lionel, Thomann, Sandra. et Thouzellier, Christiane. 2010. « Vieillir en pavillon : mobilités et ancrages des personnes âgées dans les espaces périurbains d’aires métropolitaines (Toulouse, Paris, Marseille) », Espace, population, société, n° 1, p. 53‑67.
  • Boulmier, Muriel. 2009. L’Adaptation de l’habitat au défi de l’évolution démographique : un chantier d’avenir, rapport remis au secrétaire d’Etat au logement et à l’urbanisme.
  • Broussy, Luc. 2013. L’Adaptation de la société au vieillissement de sa population. France : année zéro !, mission interministérielle sur l’adaptation de la société française au vieillissement de sa population, rapport remis au Premier ministre, 202 p.
  • Centre d’analyse stratégique. 2013. « Vieillissement et espace urbain. Comment la ville peut-elle accompagner le vieillissement en bonne santé des aînés ? », La Note d’analyse, n° 323, février, 12 p.
  • Chaudet, Béatrice. 2009. Handicap, vieillissement et accessibilité. Quelques exemples en France et au Québec, thèse de géographie, université d’Angers.
  • Clément, Serge, Mantovani, Jean et Membrado, Monique. 1995. Vieillissement et espaces urbains. Modes de spatialisation et formes de déprise, rapport pour le PirVilles, Paris : CNRS.
  • Franco, Alain, 2010. Rapport de la mission « Vivre chez soi », remis à la secrétaire d’État aux aînés, Paris : La Documentation française, 95 p.
  • Hallier-Nader, Brigitte. 2011. Les Territoires de vie des 75 ans et plus à Paris : quel environnement urbain pour une qualité de vie durable ?, thèse de géographie, université Paris-Est.
  • Laferrère, Anne et Angelini, Viola. 2009. « La mobilité résidentielle des séniors en Europe », Retraite et Société, n° 58, p. 87‑107.
  • Lord, Sébastien et Luxembourg, Nicolas 2006. « The mobility of elderly residents living in suburban and periurban territories. A comparison of residential aspirations and practices in Canada and France », Journal of Housing for the Elderly, vol. 20, n° 4, p. 103‑121.
  • Renaud, François. 2000. Les Aîné(e)s et le logement. Un profil quantitatif de la situation résidentielle des aînés au Québec, Québec : Société d’habitation du Québec.
  • Viriot-Durandal, Jean-Philippe, Pihet, Christian et Chapon, Pierre-Marie. 2012. Les Défis territoriaux face au vieillissement, Paris : La Documentation française, 186 p.

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Pour citer cet article :

Pierre-Marie Chapon, « Vieillir chez soi. Les enjeux liés à l’habitat des personnes âgées », Métropolitiques, 18 octobre 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Vieillir-chez-soi.html

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