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Rendre la ville accueillante pour les abeilles

Sait-on qu’en plus des abeilles domestiques bien connues, plusieurs centaines d’espèces d’abeilles sauvages peuvent trouver un habitat en ville ? Décrivant cette diversité insoupçonnée, Benoît Geslin interroge les conditions de leur présence dans les milieux urbains.


Dossier : L’urbanisme écologique : un nouvel impératif ?

La ville, un habitat pour les abeilles sauvages ?

Nous observons depuis une soixantaine d’années un déclin mondial de la biodiversité, qui concerne également de nombreuses familles d’insectes et parmi eux les Anthophila ou abeilles. En Europe, près de 10 % des espèces d’abeilles et 25 % des espèces de bourdons sont menacées d’extinction (Nieto et al. 2014). Au premier rang des causes identifiées de ce déclin, se trouve la perte de milieux naturels, notamment à travers l’intensification des pratiques agricoles (utilisation d’insecticides comme les néonicotinoïdes) et l’accroissement des surfaces imperméables, autrement dit l’urbanisation des milieux (Sánchez-Bayo et Wyckhuys 2019).
Pourtant, lorsque l’on s’intéresse à l’effet de l’urbanisation sur les abeilles, il subsiste une controverse scientifique sur la capacité des villes à accueillir une faune diversifiée d’abeilles sauvages. En effet, alors que certains auteurs ont mis en évidence un déclin important de la biodiversité d’abeilles avec l’accroissement des espaces urbanisés (voir l’exemple de Paris, Geslin et al. 2013 ; 2016a), d’autres études soulignent que les villes pourraient être un « refuge » pour de nombreux pollinisateurs (Hall et al. 2017) – voire un « point chaud » de biodiversité pour les abeilles (Theodorou et al. 2020). Se pose alors la question des raisons de ces résultats contrastés. Quelles sont les espèces d’abeilles que l’on trouve en ville et pourquoi certaines villes semblent-elles abriter une faune plus diversifiée que les milieux périurbains et les milieux agricoles ?

Les abeilles sauvages, une diversité méconnue

Bien souvent, lorsque les abeilles sont évoquées, c’est à la seule abeille domestique, Apis mellifera ou abeille à miel, qu’il est fait référence. Or, il existe plus de 20 000 espèces d’abeilles dans le monde, dont environ 2 000 en Europe et 960 en France (Gargominy et al. 2018). Ces espèces sont très différentes de l’abeille domestique dans leurs morphologies, leurs préférences alimentaires et leurs comportements de nidification. En France, la plus petite mesure quelques millimètres et la plus grande, Xylocopa violacea – plus de 30 mm. Pour la plupart, ces espèces ne vivent pas en colonie et sont solitaires, contrairement à l’abeille domestique. Une seule femelle approvisionne alors ses œufs en nourriture (pollen et nectar), et l’émergence d’une nouvelle génération dépendra uniquement de sa survie et de son efficacité à nourrir sa progéniture. Pour 85 % des espèces, la femelle pond ses œufs dans le sol, en y creusant des galeries (terricoles). D’autres nichent dans des tiges creuses (cavicoles) et certaines pondent même leurs œufs dans des coquilles d’escargot (hélicicoles).

Figure 1. Exemples de comportement de nidification des abeilles sauvages

a) Osmia sp. cavicole (© B. Ignace) ; b) Osmia sp. hélicicole (© A. Muller) ; c) Hoplitis sp. terricole (© M. Aubert).

De ces abeilles sauvages, ainsi que des autres insectes pollinisateurs (mouches, papillons, coléoptères), dépend la reproduction de la majorité des plantes à fleurs sauvages. Le maintien dans le temps et l’espace de nombreux écosystèmes est donc intimement lié à la persistance de ces insectes. C’est aussi le cas pour plus de trois quarts de nos plantes cultivées dont le rendement et la qualité dépendent entièrement ou en partie de l’action des pollinisateurs.

Qui sont les abeilles citadines ?

Les villes ont longtemps été considérées comme des déserts de biodiversité, ou a minima des systèmes écologiques dénués d’intérêt. Pourtant, la ville peut offrir des conditions de vie favorables à de nombreuses espèces. Les îlots de chaleur, par exemple, permettent une floraison plus longue ainsi que des conditions propices à une reproduction plus précoce dans la saison comparée au milieu environnant. De même, la forte diminution de l’usage des pesticides dans les pratiques de gestion de nombreuses villes – à la différence des espaces agricoles gérés de manières intensive – peut favoriser la survie des populations d’abeilles. Berlin, Glasgow, Londres, Buenos Aires, Melbourne ou Vancouver abritent un nombre relativement important d’espèces d’abeilles sauvages (Threlfall et al. 2015). En France, 291 espèces d’abeilles sauvages ont été recensées dans la métropole lyonnaise (Fortel et al. 2014), et 87 dans Paris intramuros (Geslin et al. 2016b, Ropars et al. 2017, 2018). Ce dernier chiffre ne doit cependant pas cacher que Paris abrite une faune caractéristique des milieux perturbés. Dans la capitale vivent surtout des espèces généralistes dans leurs comportements alimentaires (capables de visiter de nombreuses espèces de plantes) et opportunistes dans leur choix de sites de nidification (figure 2). Par exemple, il subsiste peu d’espèces d’abeilles très spécialistes comme les abeilles coucous, c’est-à-dire celles qui dépendent d’autres espèces pour élever leurs larves – et qui sont de bons indicateurs de la santé des écosystèmes.

Si certaines villes (comme Berlin, où vivent près de 300 espèces) peuvent abriter une faune relativement riche en espèces – quelles sont alors les pratiques vertueuses à favoriser ?

Figure 2. Une abeille du genre Anthidium, commun dans les milieux urbains

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Des fleurs et des gîtes pour les abeilles sauvages

Rendre la ville accueillante pour les pollinisateurs c’est d’abord augmenter la ressource florale disponible et donc accroître les surfaces fleuries. Pour la flore herbacée, un consensus clair se dégage dans la littérature quant à l’importance des espèces natives et spontanées pour les communautés d’abeilles (Pardee et Philpott 2014 ; McCune et al. 2019). Des plantes de la famille des astéracées, lamiacées, fabacées ou encore rosacées attirent de nombreuses espèces et fournissent nectar et pollen aux butineuses. Les arbres d’alignement comme le tilleul à petites feuilles (Tilia cordata) jouent également un rôle crucial dans la production de ressources florales (Somme et al. 2016). La plantation d’arbres en ville est ainsi souvent citée dans la littérature sur la gestion de la nature en ville, aussi bien pour lutter contre le réchauffement que comme soutien à la biodiversité (Stevenson et al. 2020). Une étude récente a également souligné l’importance des jardins partagés pour les pollinisateurs (Baldock et al. 2020) car ils fournissent une ressource abondante lors de la floraison des plantes cultivées, comme les ails (Alliacées).

Favoriser la ressource florale et son utilisation par les abeilles, c’est également changer de pratiques en retardant la tonte des espaces verts pour laisser la flore spontanée fleurir plus longtemps, notamment en période de disette lors des mois d’été. Enfin, les villes doivent bannir de la gestion de l’espace public l’utilisation d’herbicides et de pesticides qui intoxiquent les pollinisateurs.

En ce qui concerne les sites de nidification, les milieux urbains sont souvent défavorables pour les abeilles nichant dans le sol (Xie et al. 2013). L’imperméabilisation des sols urbains, due au bétonnage des surfaces, les empêche de nidifier. De plus, les quelques espaces de sols nus disponibles sont souvent perturbés par la fréquentation humaine et le piétinement intense entraîne une compaction trop importante pour permettre aux abeilles d’y creuser un nid. Libérer les sols de la pression du béton pourrait donc favoriser les espèces terricoles.

En revanche, les abeilles qui nichent dans les cavités peuvent trouver des opportunités de nidifications en abondance dans les villes (Sirohi et al. 2015). C’est de ce postulat qu’a émergé chez les citoyens et les pouvoirs publics des pratiques consistant à installer des hôtels à abeilles dans les parcs et les jardins, comme le programme Urbanbees à Lyon. L’introduction de ces hôtels à abeilles est cependant sujette à controverse, car si certaines espèces, comme les osmies, peuvent nicher dans ces structures, une étude menée à Marseille a montré qu’une abeille exotique y nichait également en densité élevée (Geslin et al. 2020). Cette abeille, Megachile sculpturalis (figure 3), est envahissante en Europe et en pleine expansion. Arrivée en 2008 depuis le Sud-Est asiatique (Japon, Chine, Corée), elle semble particulièrement apprécier les hôtels à insectes et présente des comportements agressifs envers la faune native [1].

Figure 3. Megachile sculpturalis

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Implanter des ruches en ville, une fausse bonne idée

Les informations relatives au déclin des pollinisateurs se sont largement diffusées dans la société civile. Probablement en raison des effondrements brutaux de cheptels dans de nombreux endroits du globe, des acteurs publics ou privés ont promu l’installation de colonies domestiques en ville. La production de miel, le symbole de l’abeille, et l’importance pédagogique de la présence de ruches dans la préservation de l’environnement ont accru l’engouement pour l’apiculture urbaine. Il s’en est suivi un accroissement rapide et considérable du nombre de colonies d’abeilles domestiques en ville, notamment à Paris. La ville déclarait en 2015 héberger 700 ruches [2] et en 2018, selon le ministère de l’Agriculture, ce chiffre pourrait se porter jusqu’à 2 755 colonies. À faible densité, les abeilles domestiques peuvent cohabiter avec les abeilles solitaires en ville, sans entrer en compétition avec celles-ci (McCune et al. 2019). Cependant, une densité trop importante de colonies domestiques peut avoir des effets délétères pour les communautés d’abeilles sauvages via, notamment, un accaparement de la ressource alimentaire (Ropars et al. 2019). Pour éviter d’accroître la compétition pour cette ressource entre abeilles sauvages et domestiques, il apparaît donc responsable de réguler l’installation de ruches en ville.

Ainsi, pour rendre les villes accueillantes à une diversité d’abeilles et de pollinisateurs, plutôt que d’installer des ruches, il est préférable d’accroître la ressource florale en plantant des espèces natives comme de la sauge, de la bourrache, du lotier, de la salicaire, du thym ou du romarin. Enfin, pour laisser les abeilles nicher, il faut libérer les sols des carcans du béton. Aux États-Unis, la restauration de bords de route favorisant la présence de sites de nidification et la diversité florale ont montré de bons résultats avec une augmentation rapide de l’abondance et de la richesse spécifique d’abeilles sauvages. L’avenir dira si ces pratiques de gestion essaiment dans nos villes.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Benoît Geslin, « Rendre la ville accueillante pour les abeilles », Métropolitiques, 6 septembre 2021. URL : https://metropolitiques.eu/Rendre-la-ville-accueillante-pour-les-abeilles.html

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