Dans un article du 2 mai 2019 paru dans Métropolitiques, Cynthia Ghorra-Gobin invitait la « ville métropolitaine » à « amorcer un processus de dialogue vis-à-vis de ses territoires adjacents », en soulignant que : « le souci d’une complémentarité […] devrait se retrouver sur le mode explicite dans les représentations, les débats publics ainsi que dans le partage des compétences d’urbanisme ». En France, cette amorce se manifeste par différentes mesures politiques, comme le volet « contrat de coopération métropolitaine » des pactes État–métropoles ou les contrats de réciprocité. Dans un contexte où les périmètres métropolitains restent relativement étroits, les coopérations entre les métropoles et leurs territoires d’influence demeurent toutefois timides. Cet article analyse les relations économiques des métropoles avec leurs territoires voisins, puis indique les axes de coopération avec les territoires périphériques, tels que formulés par les récents pactes entre État et métropoles ; il expose enfin les caractéristiques et les actions portées par les contrats de réciprocité avec les territoires voisins, dans un nombre limité (sept) de métropoles.
Territoires d’influence : au-delà du périmètre des métropoles
La plupart des métropoles sont loin d’englober tous les territoires qui en dépendent du point de vue des espaces vécus, des relations économiques et des mobilités des habitants. À l’occasion de leur institutionnalisation en métropoles [1], 14 entités sur 22 n’ont connu aucun changement par rapport à leur périmètre antérieur de communautés urbaines ou d’agglomération. Sur les sept dernières créées, seules Metz et Saint-Étienne ont été élargies. Dans l’ensemble, leurs périmètres restent donc relativement étroits (Demazière 2017).
Si l’on retient le critère statistique officiel (INSEE) de l’unité urbaine, sur les 22 métropoles institutionnelles, 12 ont une population inférieure à l’unité urbaine correspondante. De même, 10 regroupent un nombre de communes inférieur à l’unité urbaine (figure 1).
Lorsque le % dépasse 100, la population ou bien le nombre de communes qui composent la métropole excèdent les limites du périmètre de l’unité urbaine, c’est-à-dire des communes urbaines contiguës.
Réalisation : Gwénaël Doré
Source : INSEE : données de population en 2014 et de communes en 2017.
L’influence des métropoles sur les territoires proches, en termes d’attraction de l’emploi, peut être rapportée au chevauchement entre leur périmètre et celui de l’aire urbaine qui les inclut, ce qui constitue un indicateur de leur dynamisme économique. En effet, alors que l’unité urbaine désigne un ensemble de communes urbaines contiguës, l’aire urbaine est déterminée par les déplacements domicile-travail (40 % de la population active résidente ayant un emploi travaille dans le pôle urbain ou dans une commune fortement attirée par celui-ci). Hormis Aix–Marseille–Provence et Lille, qui incluent la totalité ou la quasi-totalité de la population de l’aire urbaine dans leur périmètre métropolitain (figure 2), les autres métropoles ne prennent en compte qu’entre 78 % et 54 % de cette population. Quant aux communes de l’aire urbaine incluses dans la métropole, elles ne le sont en totalité que dans le cas d’Aix–Marseille–Provence, ce taux pouvant varier de 58 % (Lille) à 7 % ou 8 % (Toulouse, Dijon, Nancy, Paris).
Lorsque le % dépasse 100, la population ou le nombre de communes de la métropole déborde l’aire urbaine.
Réalisation : Gwénaël Doré
Source : INSEE : données de population en 2014 et de communes en 2017.
Les pactes entre l’État et les métropoles : vers une « alliance des territoires » ?
Les coopérations des métropoles restent assez sectorielles. Elles font rarement l’objet d’une signature partenariale avec les territoires voisins, contrairement aux contrats de réciprocité signés entre des métropoles et des territoires périphériques (que nous présenterons plus bas).
Dotés de 150 millions d’euros du Fonds de soutien à l’investissement local (FSIL), les pactes de l’État avec les métropoles, signés en 2016-2017, comprennent deux dimensions. La première est le volet « pacte métropolitain d’innovation », qui soutient les projets visant à accélérer la prise en compte de grands enjeux (technologies de pointe, recherche, mobilités, transition écologique…) et à mettre en place des écosystèmes favorisant les synergies entre les acteurs. La deuxième est le volet « contrat(s) de coopération métropolitaine », qui est centré sur les projets de coopération des métropoles avec leurs couronnes périphériques, dans un objectif partagé de réciprocité.
Sur 169 actions recensées en 2017, 127 portaient sur le volet « pacte métropolitain d’innovation », tandis qu’un quart seulement (42) est dédié à la coopération fondée sur une ou plusieurs actions en faveur de territoires périphériques. Ces derniers ne se définissent pas précisément par rapport à la zone d’influence des métropoles. Lorsque les contractants sont mentionnés, il peut s’agir d’un pôle métropolitain, comme à Nantes et Rouen, d’un pôle d’équilibre territorial et rural [2], d’un SCoT, d’un schéma d’aménagement, ou d’un parc naturel régional, d’une communauté de communes ou bien d’un travail mutualisé des agences d’urbanisme comme à Aix–Marseille–Provence.
Les coopérations peuvent être monothématiques mais comprennent le plus souvent deux, voire trois thématiques. Celles-ci concernent en général la gestion des mobilités, les questions énergétiques, devant les thèmes économiques (et plus précisément le tourisme), l’agriculture (circuits courts) ou l’artisanat. Le rayonnement économique métropolitain à l’égard des territoires extérieurs est mentionné par au moins trois métropoles, et le télétravail par quelques autres.
Le renforcement de l’ingénierie territoriale est également évoqué dans certains cas, notamment à partir des agences d’urbanisme. La coopération transfrontalière est citée par deux métropoles. Mais ces coopérations n’englobent pas forcément l’ensemble des actions menées dans ce domaine, et peuvent favoriser des territoires périphériques de manière plus ou moins évidente. Par exemple, la requalification du parc des expositions de Nancy est présentée comme un équipement structurant pour le tissu économique du sud de la Meurthe-et-Moselle.
Réalisation : G. Doré (à partir de l’examen des dossiers).
Sept contrats de réciprocité entre 2016 et 2019
L’idée de « contrats de réciprocité » entre les métropoles et les territoires ruraux a été introduite par le Comité interministériel aux ruralités du 13 mars 2015. Il s’agissait d’encourager la signature de contrats paritaires entre une grande ville et un territoire rural reposant souvent sur le choix de la grande ville, sans temporalité assignée, pour favoriser le développement d’interactions dans un certain nombre de domaines : développement économique, santé, mobilités… Les quatre cas initialement retenus étaient Brest métropole en coopération avec le Pays du Centre-Ouest Bretagne (le plus avancé), la métropole de Lyon avec Aurillac (mais l’accord a échoué du fait de l’éloignement), la métropole de Toulouse avec le Massif des Pyrénées (depuis, réduit au Pays Portes de Gascogne dans le Gers), et la communauté urbaine du Creusot et de Montceau-les-Mines avec le parc naturel régional (PNR) du Morvan (depuis abandonné).
Après une phase d’expérimentation (Verhaege 2015), le dispositif aurait pu s’étendre à d’autres territoires volontaires dans le cadre de la clause de revoyure des contrats de plan État–région 2015-2020, fin 2016. En réalité, l’idée de contrats de réciprocité a été reprise dans certains pactes État–métropoles signés à partir de la fin 2016.
À l’automne 2019, sept métropoles avaient signé un contrat de réciprocité : Brest et le PETR (pôle d’équilibre territorial et rural) Pays du Centre-Ouest Bretagne (2016), Toulouse et le PETR Pays Portes de Gascogne (2017), Montpellier et la communauté de communes des Monts de Lacaune et de la Montagne du Haut-Languedoc (2018), et en 2019 : Tours et les intercommunalités d’Indre-et-Loire ; Nantes et le PETR Pays de Retz ; Clermont–Auvergne et la communauté de communes de Saint-Flour ; et Strasbourg, la communauté d’agglomération de Saint-Dié et la communauté de communes de la Vallée de la Bruche. Trois contrats ont été signés avec des PETR et les autres avec des EPCI à fiscalité propre (communautés de communes et d’agglomération).
Réalisation : G. Doré.
Ces contrats comprennent un programme plurithématique de coopération, à la différence de plusieurs pactes entre État et métropoles monothématiques. Ils portent sur huit thèmes majeurs de coopération : le tourisme (offre complémentaire) et l’action économique (filières, implantation d’entreprises) présents dans tous les contrats, l’alimentation (circuits courts) dans six contrats, la mobilité (covoiturage en général, ligne TER pour Saint-Dié) dans cinq contrats, l’approvisionnement énergétique de la métropole, l’environnement et le traitement des déchets dans quatre contrats, l’emploi (coworking et télétravail) dans trois contrats et la santé dans deux contrats. La culture (valorisation du patrimoine de Saint-Flour dans le cadre de l’attraction de la métropole) est également évoquée à Clermont [3]. La question des mobilités est moins présente que dans les pactes entre État et métropoles, mais le tourisme et l’action économique arrivent en tout premier, et l’alimentation est mentionnée presque partout.
Réalisation : G. Doré.
Les contrats de réciprocité ne sont qu’au nombre de sept à l’automne 2019. Ils ne prennent en compte que l’un des territoires d’influence de la métropole, à l’exception de Tours. Ils ne comprennent pas de budget particulier et ne disposent pas de financements de la métropole mais seulement, dans certains cas, de crédits spécifiques de l’État et du conseil régional.
Martin Vanier (2015) a suggéré de remplacer le mot d’égalité, conjugué avec celui de territoire, par la notion de réciprocité contractuelle entre les territoires, en prenant comme illustration les contrats de réciprocité et en appelant à substituer une solidarité financière horizontale entre territoires à l’actuelle solidarité verticale de l’État. La difficulté sera toutefois de dépasser les tendances à un « nouvel égoïsme territorial » (Davezies 2015). En effet, de la même façon que Laurent Davezies pointe les tentatives de sécession des régions riches en Europe, on pourrait assister à la tentation des métropoles de se préoccuper davantage du financement de leurs politiques d’excellence et de la « gestion » de leurs propres « pauvres », avant de s’intéresser à la solidarité avec leurs territoires d’influence. Des études seraient à conduire sur l’effort budgétaire consacré par les métropoles respectivement aux politiques d’innovation, aux politiques de solidarité internes aux métropoles et à l’égard des territoires adjacents.
Au demeurant, ces contrats s’inscrivent dans « une démarche venant légitimer un vœu d’accession au rang métropolitain » et la communication autour des contrats est dirigée vers les instances de niveau national « afin d’accéder à des subventions supplémentaires » (Ghosn 2019). La solidarité horizontale se manifeste davantage sur le plan de la gouvernance que sur celui d’une redistribution financière entre les collectivités. On peut souvent noter par ailleurs le portage par des agences d’urbanisme, dont l’action outrepasse alors la simple expertise.
Un rapport parlementaire récent (Cesarini et Vuilletet 2018) conclut à « l’échec des contrats de réciprocité ville–campagne » en raison d’un « principe faux, celui du ruissellement ». Toutefois, leur intérêt réside dans le rejet progressif d’une approche partitive des relations ville–campagne (Verhaeghe 2015). Ces contrats ont donc une fonction de sensibilisation qui passe par la reconnaissance de la différence des territoires (Jousseaume 2017). L’Agence nationale de la cohésion des territoires, créée par la loi du 22 juillet 2019, devrait favoriser « la coopération entre les territoires et la mise à disposition de compétences de collectivités territoriales et de leurs groupements au bénéfice d’autres collectivités territoriales et groupements » (article 2, alinéa I). Cependant, l’État, après avoir initié le processus, n’en assure plus de suivi effectif. L’initiative est donc désormais du ressort des territoires qui signent des contrats sans labellisation par l’État.
Bibliographie
- Cesarini, J.-F. et Vuilletet, G. 2018. Rapport d’information déposé en conclusion des travaux de la mission d’information commune sur la préparation d’une nouvelle étape de la décentralisation en faveur du développement des territoires, n° 1015, Assemblée nationale.
- Davezies, L. 2015. Le Nouvel Égoïsme territorial. Le grand malaise des nations, Paris : Éditions du Seuil.
- Demazière, C. 2017. « Des métropoles incomplètes. Points communs et différences des institutions métropolitaines en Angleterre et en France », Pouvoirs locaux, n° 111.
- Doré, G. 2019. « Quelles coopérations entre les métropoles et les territoires ruraux en France ? Les pactes État–métropoles et l’expérimentation des contrats de réciprocité », Information géographique, n° 4.
- Ghorra-Gobin, C. 2019. « Le destin de la ville métropolitaine est indissociable de sa périphérie », Métropolitiques, 2 mai.
- Ghosn, L. 2019. Réciprocité territoriale et contrats de réciprocité tourangeaux, Mémoire de recherche, master « Développement urbain intégré », École d’urbanisme de Paris.
- Jousseaume, V. 2017. « La métropole peut-elle s’allier sans dominer ? Récit pour une nouvelle alliance ville–campagne », Pouvoirs locaux, n° 111, déc. 2017-janv. 2018.
- Vanier, M. 2015. Demain les territoires. Capitalisme réticulaire et espace politique, Paris : Hermann.
- Verhaeghe, L. 2015. « Quel équilibre pour le dialogue ville–campagne ? L’éclairage des contrats de réciprocité ville–campagne », Pour, n° 228, p. 50-56.
Pour aller plus loin : http://gwenaeldore.e-monsite.com/.