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Débats

Quel avenir pour le 1 % Logement ?

Institution majeure de l’économie du logement depuis plus d’un demi-siècle, le « 1 % Logement », devenu récemment « Action Logement », a été profondément fragilisé par la loi « Molle » de 2009. Alors que les négociations sur son avenir sont en cours, Thomas Sigaud revient sur les enjeux de la réforme d’un mouvement qui pèse près de 4 milliards d’euros par an.

À la veille de fêter ses soixante ans, le « 1 % Logement » sort de quinze ans de réformes et de mutations. La loi de Mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion de 2009 (loi « Molle », dite « loi Boutin ») l’a bouleversé de fond en comble. Aujourd’hui, son modèle économique est menacé et il a perdu l’essentiel de son autonomie face à l’État. Alors que son avenir est encore incertain, Action Logement saura-t-il réinventer le 1 % ? Et l’État lui en laissera-t-il la possibilité ?

Un acteur majeur du monde du logement

En 1943, un patron de l’industrie textile du Nord, Albert Prouvost, s’associe avec des syndicalistes et le maire de Roubaix pour créer le premier « Comité interprofessionnel du logement » (CIL) auquel il s’engage, avec d’autres entreprises, à verser 1 % de sa masse salariale pour loger les salariés. Cette initiative est généralisée en 1953 quand la contribution est rendue obligatoire pour les entreprises du secteur privé non-agricole d’au moins dix salariés, sous le nom de « participation des employeurs à l’effort de construction » (PEEC) ; le « 1 % Logement » était né. Progressivement réduite, la PEEC s’élève depuis 1992 à 0,45 % de la masse salariale, mais l’expression « 1 % Logement » est restée.

Par 1 % Logement, on entend l’ensemble des acteurs chargés de collecter et d’utiliser la PEEC afin d’aider les salariés à se loger. Depuis l’origine, le 1 % a pour mission de soutenir la construction de logements en octroyant des prêts aux organismes constructeurs en échange d’un droit de réservation des logements pour les salariés. Il a aussi progressivement développé les aides à la personne, d’abord sous forme de prêts à l’accession ou à la rénovation, puis par la création en 1998 d’un ensemble d’aides comme le Loca-Pass, le Pass-Travaux et, en 2001, le Mobili-Pass.

En 2009, le 1 % Logement a pris l’appellation « Action Logement : les entreprises s’engagent pour les salariés ». Le réseau Action Logement comprend les CIL chargés de la collecte et de l’utilisation de la PEEC [1], l’Union des employeurs et des salariés pour le logement (UESL) [2], qui représente et coordonne les CIL, l’Association foncière logement (AFL), qui a pour mission de construire des logements sociaux et intermédiaires, l’Association pour l’accès aux garanties locatives (APAGL), créée en 2005 pour organiser la Garantie des risques locatifs (GRL), et l’Agence nationale pour la participation des entreprises à l’effort de construction (ANPEEC), qui a pour mission de contrôler les acteurs d’Action Logement.

Les acteurs de la PEEC

En 2010, Action Logement a géré 3,8 milliards d’euros de ressources, revendiquant la distribution de près de 700 000 aides à la personne et l’attribution de 70 000 logements. C’est un acteur majeur du monde du logement, qui a été profondément réformé en 2009, sous la pression d’une conjonction exceptionnelle de facteurs de fragilisation.

2009, le 1 % pris d’assaut

Durant les trois années précédant la réforme de 2009, le 1 % Logement est l’objet de révélations d’« affaires » et de « scandales » dans la presse. Il est sous le feu des critiques de plusieurs institutions.

En 2006, la Cour des comptes critique sévèrement la gestion du 1 %. Elle dénonce « les faiblesses constatées dans la gouvernance », « le mélange des rôles », « le dessaisissement de l’État » et « l’absence de stratégie » qui « rendent indispensable une remise en ordre ». Elle conclut que « l’État […] doit exercer pleinement le rôle d’orientation et de contrôle qui lui incombe » [3]. L’UESL et l’ANPEEC se défendent vivement et la réponse du ministre du Logement prend encore, dans l’ensemble, la défense du mouvement.

Mais le 1 % passe alors par une deuxième zone de turbulences. La presse dénonce de mauvaises pratiques de gestion en s’appuyant sur un rapport alors confidentiel de l’ANPEEC. Après un référé de la Cour des comptes en avril 2009, le ministère suspend le conseil d’administration d’un important CIL. Le MEDEF, qui gère de fait le mouvement [4], est mis en cause ; déjà fragilisé par l’affaire dite des « caisses noires » [5], il n’est alors pas en état de défendre le 1 %.

Enfin, le 1 % est attaqué sur un troisième front : celui de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Le troisième conseil de modernisation des politiques publiques de 2008 appelle à une « rénovation profonde du 1 % Logement » afin de « réformer sa gouvernance pour la rendre plus transparente », « rationaliser ses coûts de gestion » et « recentrer les moyens sur les priorités nationales ».

En 2009, le sort du 1 % Logement est scellé. La Cour des comptes dénonce à nouveau « de graves dérives et d’importants gaspillages de ressources ». Les réponses de l’ANPEEC et de l’UESL sont cette fois moins vigoureuses et celle du ministère en charge du logement confirme à mots couverts ce qui se prépare : le 1 % Logement n’échappera pas à sa prise en main par l’État.

Multiplication des pressions dans le cadre de la RGPP, recul du ministère chargé du Logement face au Budget et aux Finances, fragilisation du mouvement avec la révélation de « scandales » par la presse... La réforme de 2009 a été rendue possible par la conjonction de facteurs assez classiques, dans un contexte de crise budgétaire où les ressources du 1 % ne pouvaient que susciter les convoitises. Car la loi Molle a d’abord été l’occasion pour le gouvernement d’utiliser la PEEC pour financer ses propres politiques du logement.

La fin d’un modèle économique ?

Le modèle économique du 1 % Logement repose, depuis l’origine, sur les retours de prêts. Ainsi, la PEEC s’élevait en 2010 à 1,5 milliards d’euros, contre 3,3 milliards d’euros de retours de prêts. Or l’État réalise des prélèvements croissants sur ce budget pour financer les politiques nationales du logement, au détriment du volume de prêts accordés et donc des futurs retours de prêts.

La mise à contribution de la PEEC par l’État n’est certes pas nouvelle ; elle commence dans les années 1970 pour financer la construction de foyers de travailleurs. Elle se systématise à partir de 1995, où l’État fixe des prélèvements « exceptionnels » qui seront récurrents : plus de 5 milliards d’euros sont ainsi prélevés entre 1995 et 2002. Alors que la convention « socle » de 1998 prévoyait l’arrêt progressif des prélèvements, le 1 % Logement a versé 680 millions d’euros pour la rénovation urbaine en 2005.

Ces prélèvements, qui restaient soutenables pour le mouvement, sont triplés par la réforme de 2009 : c’est 1,3 milliards d’euros qu’Action Logement doit désormais verser chaque année pour financer l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH) et la requalification des quartiers dégradés (PNRQAD), soit 90 % de la collecte annuelle. Ces versements ne sont pas des prêts mais des subventions et tarissent progressivement la source des retours de prêts. Le premier enjeu de la réforme de 2009 est donc celui de l’impact des prélèvements de l’État sur la viabilité financière d’Action Logement.

Gouvernance et autonomie : quelle place pour la gestion paritaire ?

Mais la loi Molle n’a pas fait que fragiliser le modèle économique des acteurs de la PEEC. Elle a profondément changé leur mode de gouvernance, marquant la fin d’un modèle institutionnel décentralisé et largement autonome.

Une des premières missions attribuées à Action Logement en 2009 a été de se restructurer et d’accélérer le regroupement des CIL. Alors qu’ils étaient 76 au début de 2010, il n’en reste plus que 29 à la fin de l’année et les rapprochements continuent. Les CIL restructurés pèsent désormais jusqu’à 200 millions d’euros de collecte annuelle. Ce sont de véritables groupes, parfois à la tête de dizaines de filiales, qui sont massivement rentrés dans l’actionnariat des organismes HLM. La pression de l’État en faveur du regroupement des CIL tend d’ailleurs à éloigner Action Logement de la logique territoriale qui prévalait depuis sa fondation et que le mouvement défendait encore dans son Livre blanc de 2010 [6].

Dans le même temps, l’ANPEEC est passée sous contrôle de l’État et l’UESL a changé de statut : trois commissaires du gouvernement y disposent d’un droit de veto en cas de non-respect de la réglementation. En outre, deux décrets du 22 juin 2009 fixent en détail les emplois de la PEEC pour les trois années à venir, ainsi que les montants qu’Action Logement peut consacrer à chacun d’entre eux ; l’autonomie du mouvement est réduite à la gestion des fonds dans le cadre de ces décrets.

La loi Molle a donc mis fin à la « régulation conventionnelle », mode de gouvernance élaboré en interne dans les années 1990 pour faire face à une première crise de légitimité. Créée en 1997, l’UESL avait alors mis en place un système reposant sur la négociation des conventions en amont par les partenaires sociaux avant présentation à l’État pour signature. Entre 1997 et 2008, dix-sept conventions avaient été négociées, renforçant la dimension paritaire et l’autonomie du mouvement.

Les négociations en cours : le maintien de la pression financière par l’État

Les décrets de 2009 ayant fixé l’emploi des fonds d’Action Logement pour trois ans, les négociations ont commencé mi-2011 afin de préparer de nouveaux décrets couvrant la période 2012-2014. Pour Action Logement, l’enjeu est double : réduire les prélèvements de l’État et défendre son autonomie.

Autant les partenaires sociaux et le 1 % lui-même avaient pu donner l’impression de ne pas s’être défendus lors de la préparation de la loi Molle, autant leur ton a changé à partir de 2010. Dans le Livre blanc issu de la « convention refondatrice » de mars 2010, on peut lire : « Action Logement ne saurait se gouverner par décret [...]. En un mot, Action Logement veut reprendre la main sur son identité, ses moyens et son avenir ». Le Livre blanc insiste sur l’impact des prélèvements imposés par l’État et confirme que l’équilibre économique du système n’est plus assuré.

Or, à en lire les communiqués de presse, les réunions de cet été ont laissé les syndicats furieux [7]. La proposition du gouvernement de réduire ses prélèvements de 170 millions d’euros par an est jugée dérisoire. Pour tenter d’assurer l’équilibre du système, Action Logement a dû réduire les financements de l’Association foncière logement, pourtant directement chargée de construire des logements sociaux et intermédiaires. Plus encore : l’AFL devra se recentrer sur la rénovation urbaine, se mettant encore plus au service des politiques gouvernementales. La question des prélèvements n’a donc pas été réglée : les ponctions restent bien au-dessus des seuils considérés comme viables par les partenaires sociaux, et les inquiétudes d’Action Logement sur le maintien de ses actions, voire sur la pérennité du mouvement, sont toujours d’actualité.

L’impact de la réforme de 2009 sur l’emploi de la PEEC
Avant 2009
À partir de 2009
Commentaires
Politiques nationales
425 M€ en moyenne par an (2002-2008)
1,3 Md€ en 2009
Triplement de la contribution annuelle aux politiques nationales
Association foncière logement (AFL)
470 M€ de subventions en moyenne par an (2002-2008)
Suppression progressive ; arrêt des subventions prévu en 2011
250 à 350 M€ annuels en moins ; transformation des subventions en prêts
Prêts et subventions aux personnes physiques
1,9 Md€ en 2008
1,3 Md€ en 2009
Diminution par la suppression du prêt « Pass-Travaux »
Prêts et subventions aux personnes morales
700 M€ en 2008
1 Md€ en 2009
Augmentation liée à la contribution au plan de relance et au financement des filiales des CIL

Les turbulences de 2009 ont paradoxalement revitalisé les acteurs de la PEEC. Depuis 2010, Action Logement a mis l’accent sur deux questions : le logement des jeunes et, sous l’impulsion du MEDEF, le lien entre le logement et l’emploi. En avril 2011, les partenaires sociaux ont signé un accord national interprofessionnel, dans lequel ils prévoient la réservation d’aides d’Action Logement aux jeunes de moins de trente ans, la construction sur trois ans de 45 000 logements supplémentaires destinés aux jeunes actifs, ou encore la mise en place d’un fonds de garantie pour faciliter la colocation dans le parc social. Cet accord témoigne du dynamisme retrouvé des partenaires sociaux et d’Action Logement, qui veut recentrer l’usage des fonds de la PEEC sur son objectif premier, tout en l’articulant aux problématiques contemporaines. Action Logement réagit donc activement à la prise en main par l’État. Toutefois, si les prélèvements se maintiennent à leur niveau actuel, cet accord risque fort de rester lettre morte. Ce serait un camouflet pour les partenaires sociaux, et il serait difficile de ne pas voir, de la part du gouvernement, une volonté de ne laisser qu’une autonomie de principe à Action Logement. À ce niveau de prélèvements, le dynamisme retrouvé des partenaires sociaux ne pourra pas se concrétiser.

La loi Molle a bien été une révolution et le passage du « 1 % Logement » à « Action Logement » n’est pas qu’une question de terminologie. Soumis à la plus grande pression financière de l’État qu’ils aient jamais connue, les acteurs de la PEEC ont aussi perdu l’autonomie décentralisée qui faisait l’identité du 1 % des origines. Mais ces trois dernières années ont aussi vu Action Logement se structurer, réformer sa gouvernance et retrouver une réelle force de proposition appuyée sur le dialogue entre partenaires sociaux.

Les décrets réglant les trois années à venir, annoncés pour la fin de l’année 2011, ne sont pas encore parus et Action Logement navigue à vue, sur les bases des décrets périmés de 2009 [8]. Si les ponctions de l’État devaient se maintenir à leur niveau actuel, et au vu du rôle de ce dernier dans la gouvernance d’Action Logement, l’intégration de la PEEC au budget de l’État ou des régions serait inévitable. Ce serait alors bel et bien la fin d’Action Logement ; la fin d’une institution dont les efforts de réforme méritaient d’être prolongés ; la fin d’une expérience paritaire singulièrement revitalisée par les turbulences qu’elle a traversées. En 2006, la Cour des comptes présentait la prise en main de la PEEC par l’État comme « une avancée dans le débat démocratique » [9]. Il est permis d’en douter.

Bibliographie

Sur le 1 % Logement

Sur les négociations de juillet 2011

Sur la préparation de la réforme de 2009

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Pour citer cet article :

Thomas Sigaud, « Quel avenir pour le 1 % Logement ? », Métropolitiques, 9 mars 2012. URL : https://metropolitiques.eu/Quel-avenir-pour-le-1-Logement.html

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