Les Français ont du bon sens : 85 % sont opposés à la dépénalisation de la drogue et 73 % rejettent l’ouverture des salles d’injection de drogue [1]. Les partisans de ces « salles de shoot » s’appuient néanmoins sur une récente étude de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) pour appeler à leur création en France. Pourtant, sortir les jeunes de la drogue, ce n’est pas leur en faciliter l’accès, mais les inciter à ne pas en consommer et accompagner ceux qui s’y adonnent à s’en libérer.
Contre le fatalisme ambiant, pour amener les toxico-dépendants à quitter le chemin de souffrance et de désespérance qui les conduit à la misère, à la détresse et à la maladie, nous avons à cœur de démontrer aux plus fragiles que les pouvoirs publics sont décidés à les protéger s’il le faut contre eux-mêmes ou plutôt contre l’instrumentalisation dont ils font l’objet.
Rien, en effet, ne serait pire que, pour un bénéfice très discutable en terme de santé publique – l’étude de l’Inserm affirme que les salles d’injection semblent sans effet sur l’incidence du VIH et du VHC (Virus de l’hépatite C) –, on prenne le risque de semer la confusion dans l’opinion publique en donnant l’impression que l’État accompagne, voire facilite la consommation de drogue, alors même que celui-ci, dirigé par la gauche ou par la droite, en a toujours formellement proscrit l’usage.
Un affaiblissement de la politique de réduction des risques
Une autre conséquence néfaste serait de troubler le message, comme de décourager tous ceux, éducateurs, médecins, travailleurs sociaux, dont l’engagement et le métier sont de soigner et de prévenir l’usage de drogues, d’aider à la réinsertion, sans même évoquer les familles – dont le rôle est si important – désemparées par une telle incohérence. Il en résulterait inévitablement un affaiblissement de la politique de réduction des risques aux yeux d’une partie de la population. Ce serait d’autant plus dommage que, contrairement aux seuls huit pays où sont autorisées les salles d’injection, notre pays a enregistré des résultats probants en terme de baisse des contaminations par le VIH (divisés par quatre en quinze ans) ou d’overdoses mortelles, divisées par cinq avec le taux le plus bas d’Europe.
Car il existe d’autres moyens d’atteindre les objectifs que se fixent ceux qui préconisent des salles d’injection sans pour autant permettre aux usagers les plus vulnérables d’absorber leur dose quotidienne, avant d’ailleurs sans doute de leur fournir gratuitement. Sait-on qu’en France existent pas moins de 200 structures de soins dédiées aux usagers de drogue : Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques (CARRUD), dont un dédié aux usagers de crack à Paris, centres de soins et d’accompagnement et de prévention en addictologie, communautés thérapeutiques ? Plus de 120 000 personnes participent aux programmes de substitution (méthadone et subutex) pris en charge par le ministère de la Santé, qui distribue 15 millions de seringues chaque année. Sait-on encore que la politique globale de lutte contre la drogue menée par le gouvernement a permis de diviser par quatre le nombre d’infractions pour usage d’héroïne, que l’expérimentation du cannabis chez les jeunes est passée de 50 % à 42 %, que celle de l’ecstasy a baissé de 20 % ?
Un double risque : banalisation de l’usage des drogues et troubles à l’ordre public
Alors, quel serait l’apport tellement bénéfique des centres d’injection qui nécessiteraient une remise en cause complète de la politique française contre la drogue ? Il faut savoir que ceux-là même qui préconisent de tels centres militent le plus souvent pour la dépénalisation du cannabis, première étape, n’en doutons pas, avant la légalisation de toutes les drogues ? Au moment où tout est mis en œuvre, notamment par le ministère de la Santé, pour réduire la consommation de tabac, on libéraliserait celle de la drogue ! Comprenne qui pourra !
Ces centres ont-ils remporté un tel succès que de nombreux pays s’en soient dotés dans le monde ? Non, quelques villes seulement en ont ouvert. Plusieurs de ces villes connaissaient de réels désordres dus aux « scènes de la drogue » ; il n’y a rien de tel en France. Et l’ordre public public est-il au moins mieux garanti par ces centres ? Même pas, puisque l’évacuation des centres-villes de ses « indésirables » n’empêche pas les troubles à proximité des salles qui attirent usagers et dealers.
D’ailleurs, dans les expériences étrangères les plus souvent citées, comme la salle de shoot de Genève ou de Bilbao, le critère de la proximité du lieu avec les usagers et donc les scènes ouvertes est prioritairement retenu. Partout où elles ont été instaurées, ces salles « légales » maintiennent le trafic de stupéfiants à leurs abords, ce qui ne manque pas de générer des nuisances diverses provoquées par la présence permanente de toxicomanes – souvent publics marginalisés, sans logement, pour la majorité polydépendants, notamment de l’alcool – qui attendent l’ouverture de la salle et occasionnent des troubles dans le quartier. Quelle incohérence quand l’on sait que les forces de l’ordre travaillent en permanence pour éradiquer ces phénomènes qui génèrent un légitime sentiment d’insécurité de leurs habitants ! Imaginons ce que représenterait l’installation d’une telle salle à proximité de la gare du Nord... Sans compter l’influence néfaste que pourrait avoir l’existence d’un tel quartier laissé en « zone de non-droit » sur l’image de la plus belle ville du monde !
Ces centres réduiront-ils le nombre d’usagers ? Nous croyons au contraire qu’en rendant l’usage de drogues plus confortable, on aboutirait à retarder l’accès au traitement de la dépendance, sinon même à encourager l’augmentation de la consommation et l’initiation de nouveaux usagers. Ces centres prétendent réduire les infections virales. Or, le rapport de l’Inserm affirme que cette fonction n’est pas démontrée et qu’ils ne prennent pas en charge les dangers psychosociaux liés à la toxicomanie, entretenant ainsi la dépendance au lieu de la résoudre.
Quant au consensus requis par l’Inserm pour l’ouverture de ces centres, c’est peu de dire qu’il n’existe pas dans notre pays. Une écrasante majorité de la population les refuse [2]. Les médecins, les experts sont très divisés. La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies comme le ministère de l’Intérieur y sont résolument hostiles. Ces centres, en légitimant l’usage de la drogue, affaiblissent sa pénalisation comme la détermination à lutter contre le trafic.
Combattre les addictions plutôt que favoriser les injections
Certes, ces centres attirent des usagers injecteurs très vulnérables. Mais il existe, dans le dispositif en place, d’autres moyens de les atteindre. Le Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies (2008-2011) vise le renforcement de notre dispositif de repérage et de prise en charge des addictions et de leurs co-morbidités infectieuses et psychiatriques par la mise en place d’outils adaptés : prise en charge des femmes, dépistage de l’hépatite C dans les prisons et les CARRUD, accompagnement des sortants de prisons, etc.
Oui, la lutte contre la toxicomanie est un enjeu de santé publique et elle doit mobiliser l’ensemble des acteurs publics. Non par la création de tels lieux prémices à la reconnaissance du statut « d’usager de drogues » puis à la légalisation dans une compromission fataliste et immorale, mais par une combinaison d’approches sanitaire et sociale, répressive et judiciaire, économique et financière, éducative, culturelle et familiale et sur tous les fronts : mondial, national et local.
L’incompatibilité des salles d’injection avec la politique de réduction des risques tient en ce que celle-ci ne doit pas être incitative vis-à-vis de l’usage. Alors prenons garde in fine qu’avec de telles fausses bonnes idées, la nécessité de la prise en charge des toxico-dépendants apparaisse de moins en moins évidente aux yeux de nos concitoyens. On irait alors à l’inverse du résultat recherché.