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Débats

Le risque d’accident nucléaire : une approche territoriale

Combien y a-t-il d’habitants autour des centrales nucléaires françaises ? Des événements survenus au cours des dernières années, au Japon surtout, mais aussi en France, pointent l’urgence qu’il y a à prévoir les effets possibles des accidents nucléaires sur les territoires alentour. L’auteur dégage deux critères principaux d’une telle estimation : la densité résidentielle et l’occupation des sols.

Dès l’avant-propos de son célèbre ouvrage, La société du risque (1986), le sociologue Ulrich Beck annonce que la peur produite par la technologie façonnerait un « Moyen Âge moderne du danger ». Ainsi, le risque nucléaire abolirait-il toutes les zones de protection : nul ne pourrait y échapper. Il n’existerait nulle protection géographique ou sociale [1].

Pourtant, il paraît clair que les territoires proches d’une installation nucléaire sont plus exposés au risque d’accident, et qu’ils ne présentent pas tous, d’une installation à une autre, les mêmes vulnérabilités. Une installation nucléaire s’inscrit dans un tissu démographique et économique, un paysage, un territoire, des réseaux plus ou moins denses. Le risque, s’il est potentiellement universel (c’est le point de départ de Beck), est malgré tout spatialisé et inégalement réparti, et d’un site à un autre, les enjeux ne sont pas identiques.

D’autres auteurs ont depuis abordé la question de la perception du risque nucléaire par la population environnante, cherchant à prendre en considération la « rationalité sociale » pour mieux gérer d’éventuels accidents. Citons, par exemple, l’article de Marc Poumadère (2009), Les accidents à ma porte. Information des populations et prévenance des risques. L’auteur y avance que les dernières décennies ont vu les efforts se concentrer sur la culture du risque (d’abord sur le plan technique puis sur le plan organisationnel et humain), au détriment de l’information des populations et de la réduction des vulnérabilités par une approche comportementale. En parallèle, la doctrine française de gestion des accidents [2] se doit de concilier les recommandations scientifiques, les attentes de la population, une élaboration concertée et des facteurs politiques.

De manière complémentaire à ces approches philosophiques et sociologiques du risque nucléaire, une discipline nouvelle, l’économie de la sûreté, tente de dégager, selon la gravité des accidents étudiés, les composantes les plus importantes du coût de l’accident. Cette approche peut fournir une précieuse aide à la décision pour arbitrer entre différentes améliorations de sûreté, différents choix de gestion du parc nucléaire (prolongement des réacteurs), ou différentes options de gestion post-accidentelle (décontamination, aides distribuées…).

Cet article présente des éléments factuels, géographiques et économiques, soulignant la variabilité de la vulnérabilité des territoires face au risque d’accident nucléaire. L’analyse de données de population et d’occupation des sols autour des sites français de production d’électricité fait partie des données fondamentales pour l’analyse économique des risques nucléaires, en particulier le calcul des coûts liés aux territoires contaminés par un accident.

La population environnante

Un premier indicateur de la vulnérabilité des sites de production d’électricité nucléaire est la population environnante. De nombreuses composantes du coût de l’accident, des coûts sanitaires aux coûts de gestion de crise en passant par les coûts liés à l’éventuelle perte de territoires contaminés dans les cas les plus graves (zones d’exclusion définitive, relogements, cessations d’activité), sont fortement corrélées avec la densité de population. Celle-ci a été calculée dans des rayons croissants autour des sites [3], ce qui donne une idée de la variabilité importante du coût de l’accident d’un site à un autre.

Il convient d’apporter à ce stade une précision méthodologique importante : la distance géographique n’est pas un indicateur parfait de l’exposition au risque. Cette dernière dépend de nombreux autres facteurs, comme la topographie, la rose des vents, les précipitations... Ainsi, une ville située à 80 km d’un site nucléaire, dans le sens du vent et dans une région pluvieuse, est-elle plus exposée qu’une autre située à 30 km de la même installation mais abritée par le relief ou les vents dominants. Si la direction des vents ne varie pas pendant les rejets, certains profils de contamination peuvent s’étendre sur une centaine de kilomètres d’un côté du site accidenté, sans toucher du tout l’autre côté. Cependant, l’impossibilité de connaître précisément l’évolution de la météo et les dépôts lorsqu’un accident survient peut conduire à évacuer en urgence une zone circulaire, comme ce fut le cas à Tchernobyl et à Fukushima.

Les deux tiers des sites français comptent moins de 15 000 habitants dans un rayon de 5 km. Les sept sites restant sont Cruas, Saint-Alban, le Tricastin, Gravelines, Chinon, Saint-Laurent et Cattenom. Cette dernière est entourée de plus de 60 000 habitants dans ce rayon. À 10 km, Gravelines est le site le plus peuplé, avec 135 000 habitants incluant l’agglomération dunkerquoise.

De même, la population dans un rayon de 30 km (figure 1) est relativement faible pour une moitié des sites (moins de 250 000 habitants). Quatre sites se distinguent avec plus de 500 000 habitants et des ensembles urbains importants : le Bugey (Lyon est à une trentaine de kilomètres), Fessenheim (Fribourg à 20 km, Mulhouse à 25 km), Cattenom (Thionville et Luxembourg, respectivement à 10 km et à 22 km) et Saint-Alban.

Figure 1 : Population dans un rayon de 30 km

À plus grande distance (figure 2), Flamanville se distingue par une population nettement plus faible qu’autour des autres sites. Sept sites sont, au contraire, densément entourés : Nogent, Fessenheim, Chooz, Gravelines, Bugey, Saint-Alban et Cattenom. Entre ces deux groupes se situent onze sites dont la population varie de 1 à 2 millions dans un rayon de 80 km.

Figure 2 : Population dans un rayon de 80 km

Gageons que les événements récents aideront les pouvoirs publics à prendre la mesure de la préparation qui semble manquer à une hypothétique évacuation massive. En effet, en dépit des constants progrès de conception des plans d’urgence, les plans particuliers d’intervention autour des sites nucléaires prévoient une distance d’intervention de 10 km. Lors d’un témoignage sur l’évacuation de Vimy (Pas-de-Calais) en 2001, dans un contexte non nucléaire [4], le préfet de région Rémy Pautrat déclarait que l’évacuation de 150 000 personnes était « impossible en si peu de temps [une semaine] et dans de bonnes conditions ». Or, la majorité des sites dépassent, parfois de loin, cet ordre de grandeur de population dans un rayon de 30 km.

L’occupation des sols et l’activité économique

Une approche complémentaire pour apprécier la variabilité des coûts liés à l’hypothétique contamination des territoires avoisinant les sites nucléaires consiste à étudier l’occupation des sols, par exemple dans un rayon de 30 km.

Figure 3 : Occupation des sols autour des sites nucléaires français

Les résultats, représentés sur la figure 3, font apparaître une grande diversité :

  • quatre sites « maritimes », Gravelines, Penly, Paluel et Flamanville, pour lesquelles environ la moitié de la zone d’étude est couverte par des surfaces en eau ;
  • les territoires fortement urbanisés (9 % à 15 % du territoire), où l’on retrouve sans surprise les quatre sites regroupant la population la plus nombreuse : Fessenheim, le Bugey, Cattenom et Saint-Alban (ainsi que Gravelines si l’on ignore les surfaces maritimes) ;
  • ceux à dominante agricole (plus de 60 %) : Golfech, Civaux, Nogent, Belleville et Chinon ; Penly, Paluel et Flamanville, exclusion faite des zones maritimes ; ainsi que le Blayais et le Tricastin et leurs nombreuses vignes ; et Dampierre et Saint-Laurent, pour lesquels on peut parler de territoires « agro-forestiers » ;
  • deux territoires à dominante forestière (plus de 33 %) : Chooz et Cruas.

Certains des sites pourraient impliquer également des contaminations à l’étranger en cas d’accident (Chooz, Fessenheim, Cattenom, Gravelines, le Bugey…).

La grande vulnérabilité économique de nombreuses exploitations agricoles, le fort attachement des habitants à leur terre dans les zones rurales et un mode de vie tourné vers l’extérieur feraient des agriculteurs les premiers exposés économiquement et radiologiquement en cas d’accident. À ceci s’ajoute le caractère difficilement transférable (plus difficilement qu’une activité de services) d’une partie des activités agricoles (appellations d’origine, agriculture de montagne…). L’exemple le plus démonstratif est sans doute celui des grands crus du Médoc proches de la centrale du Blayais : comment relocaliser Pauillac et les communes voisines pour continuer à produire Lafite et Margaux ?

Dans les milieux urbanisés, outre l’enjeu des évacuations, un autre élément illustratif des difficultés de gestion en cas d’accident est celui des activités industrielles et de services. Comment démêler l’écheveau des conséquences d’une contamination du port de Dunkerque, situé à 10 km de Gravelines (troisième port français, premier port ferroviaire, premier pour le charbon, le cuivre, les fruits en conteneur, et bientôt un terminal méthanier à 1,3 milliard d’euros…) ? Des filières entières verraient leur activité durablement affectée, leur logistique devant se redéployer totalement. Sont également potentiellement exposés le port de Cherbourg, avec ses activités stratégiques de construction navale, l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry, quatrième aéroport français, et les zones industrielles de la vallée du Rhône…

Suite à l’accident de Fukushima, la concentration de certaines activités industrielles (pièces détachées d’ordinateurs ou d’automobiles, produits chimiques…) a engendré des pénuries et des dysfonctionnements dans le monde entier, dans des secteurs dont l’activité dépendait de la production de quelques usines. Des perturbations des flux économiques pourraient aussi se produire après un accident nucléaire en France. Et si les conséquences d’un accident pour les filières agricoles ont été étudiées et prises en compte, ce n’est pas le cas du redéploiement post-accidentel des activités industrielles et commerciales [5], avec son lot spécifique de faillites, relocalisations et perturbations en séries.

Conclusion

Exploitées avec un traitement cartographique adapté, les données démographiques et d’occupation des sols permettent de construire une vision « territorialisée » du risque intégrant des paramètres socio-économiques locaux, et de mieux comprendre la complexité et la variabilité des conséquences d’un éventuel accident.

Les données présentées dans cet article sont loin de suffire à une évaluation complète du risque nucléaire autour d’un site. Elles peuvent toutefois être exploitées conjointement avec des probabilités d’occurrence d’accidents, des scénarios de dépôts radioactifs suivant des météos réalistes (afin d’éviter les raisonnements simplistes sur des disques concentriques), et une prise en compte de l’aversion au risque de la population et des décideurs. De telles évaluations du coût complet de l’accident nucléaire font l’objet d’études approfondies au laboratoire d’analyse économique des risques nucléaires de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

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Pour citer cet article :

Ambroise Pascal, « Le risque d’accident nucléaire : une approche territoriale », Métropolitiques, 10 octobre 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Le-risque-d-accident-nucleaire-une.html

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