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Débats

Le logement social en Europe : la fin d’une époque ?

S’il n’existe pas de modèle de logement social européen, on observe des tendances communes dans la plupart des pays : délégation aux gouvernements locaux, recentrage sur les populations fragiles, baisse de la part des logements sociaux… En France, l’État social tend à rompre avec la logique « universaliste » pour cibler son action sur des populations de plus en plus précaires.

La plupart des réflexions engagées sur le logement social en Europe mettent l’accent sur la diversité des approches et des conceptions adoptées dans chacun des pays [1]. Dans la période récente, sous l’effet de la crise, des directives de l’Union européenne et de facteurs internationaux, les systèmes du logement social se sont métamorphosés et les pays ont dû ajuster leurs réponses en fonction de leur histoire et de leur régime de protection sociale respectifs.

La question du public-cible, en particulier, est au cœur de récentes décisions communautaires. Sur la base des règles du marché unique et de la concurrence, les pays dans lesquels le parc social est destiné à l’ensemble de la population, à l’image des Pays-Bas ou de la Suède, ont dû réviser leur système début 2011. Bien que les raisons soient différentes, en France, l’ensemble des lois adoptées depuis 2007 vont, elles aussi, dans le sens d’une plus grande spécialisation sociale des HLM. C’est notamment le cas de la loi dite « DALO », qui institue le droit au logement opposable.

Ces tendances soulèvent plusieurs interrogations : observe-t-on un recentrage du logement social sur les personnes les plus en difficulté ? Quels sont les effets des décisions prises au niveau européen et y a-t-il une convergence européenne du modèle de logement social ?

Le logement social en Europe : une grande variété de situations nationales

La caractérisation du parc dit « social » n’a pas de définition unique à travers l’Europe. Elle renvoie alternativement au statut juridique du bailleur, au régime des loyers (inférieur ou non à ceux du marché), au mode de financement, et enfin, dans presque tous les pays, à la population cible. On observe une grande diversité d’approches et la part du secteur locatif social dans l’ensemble du parc en témoigne : les Pays-Bas possèdent une proportion très élevée de logements sociaux (34 %), suivis par le Royaume-Uni (21 %) et la France (20 %). Le Luxembourg et les pays d’Europe du Sud ont des parcs très réduits, inférieurs à 5 % du total et la Grèce n’en possède pas.

Segmentation du parc de logements dans les 27 États membres
Source : Comité européen de coordination de l’habitat social (CECODHAS), 2007.

Même diversité de situations pour l’attribution des logements sociaux, les approches nationales étant plus ou moins ciblées. Laurent Ghekiere identifie trois modèles : « universel », « généraliste » et « résiduel » ou ciblé [2]. Dans certains pays, le parc social est théoriquement accessible à tous (Suède, Pays-Bas jusqu’au 1er janvier 2011). En France ou en Allemagne, la cible est large mais circonscrite par des critères de priorité dans l’accès au logement social et par la définition de plafonds de revenus. Ailleurs, il se concentre de plus en plus sur ceux qui ne peuvent subvenir par leurs propres moyens à leurs besoins en logement (Royaume-Uni, Irlande, Hongrie).

Un recentrage du parc social européen sur les populations fragiles

Au-delà de ces différents systèmes, on observe en Europe un recentrage du logement social sur les populations les plus fragiles (Lévy-Vroelant 2011). Le glissement s’opère parfois au niveau national, parfois plus localement, à l’échelle de groupes de logements sociaux et de quartiers. Dans ces cas, cette tendance peut s’expliquer par la crise économique. Il arrive aussi qu’elle soit liée à des décisions nationales, telles que le right to buy [3], le « droit à l’achat » britannique qui a induit des effets de paupérisation et de ségrégation.

Mais dans certains pays de tradition « universaliste », cette évolution relève, en partie, d’une logique de convergence européenne. Elle est induite par des décisions prises au nom des distorsions de concurrence énoncées par la Commission européenne, qui n’est pourtant pas compétente en matière de logement. À cet égard, deux affaires ont déjà eu un impact sur les missions du logement social : aux Pays-Bas, un plafond de revenus de 33 000 euros par ménage et par an a été introduit (désormais seuls 41 % de la population sont éligibles au logement social [4]). La Suède a préféré banaliser l’offre de logement public sur le marché plutôt que de remplir les conditions exigées par la Commission en échange du versement d’aides d’État [5].

En ce qui concerne la construction de logements sociaux, un certain nombre de pays se sont montrés soucieux d’accroître l’offre dans les dix dernières années. L’Autriche s’est montrée particulièrement efficace. Au Royaume-Uni, le gouvernement de Tony Blair s’était fixé un objectif global de 200 000 constructions annuelles et a doublé la production de logements sociaux, de 15 000 à 30 000 par an. Quant à la France, elle a atteint des niveaux record sous l’effet du Plan de cohésion sociale, passant de 40 000 logements sociaux financés en 2000 à plus de 130 000 en 2010.

Néanmoins, dans la plupart des pays, la part du secteur locatif social a diminué : la construction sociale n’a pas suivi le rythme général de la production et nombre de logements sociaux ont été démolis ou privatisés (Scanlon et Whitehead 2010, p. 19). En matière de vente de logements sociaux, le Royaume-Uni a clairement été précurseur avec le right to buy, à l’origine de la vente de plus de 1,6 million de logements depuis 1979. Certains ont emprunté cette voie au cours des années 1990 comme les Pays-Bas. D’autres, tels que le Danemark ou la France [6], commencent à s’y engager à titre expérimental. Enfin, en Allemagne, l’offre relevant du secteur privé est depuis longtemps la norme puisque le logement n’est « social » que pour une période limitée, quelque 100 000 unités passant chaque année dans le domaine privé.

Le système français au milieu du gué

Quelques chiffres sur le logement social en France



_ Parc total : 4,5 millions au 1er janvier 2010 (dont 26 % en Île-de-France)

Production : 131 509 logements financés en 2010 (dont 32 % en Île-de-France)

Demande : 1,2 million de ménages en 2010 (dont 550 000 demandes de ménages déjà locataires HLM)

Attributions : 420 000 par an (dont 20 % en Île-de-France)

Situation du DALO fin 2010



_ Recours déposés pour un logement : 185 000 (dont 60 % en Île-de-France)

Recours examinés : 143 665

Ménages reconnus prioritaires pour un logement : 57 561

Ménages relogés via les effets directs ou indirects du DALO : 35 000

Condamnations prononcées contre l’État pour absence de proposition adaptée dans les délais fixés par la loi : 5 585

Source : MEEDDM [7], USH, Conseil d’État

À bien des égards, la France se situe dans une position intermédiaire.

  • Avec 20 % de logements sociaux, la France figure à mi-chemin entre les Pays-Bas (35 %) et les pays du Sud (moins de 5 %). Cette situation n’a pas évolué dans les dernières années car, si la vente du parc a été entreprise de manière expérimentale depuis 2007, la période récente est également caractérisée par un niveau de production historiquement haut. La rénovation urbaine, devenue un instrument majeur de la politique du logement social, illustre de manière emblématique la résistance du modèle français à la « résidualisation ».
  • Sa conception « généraliste » l’inscrit entre la conception britannique très ciblée et la conception suédoise universaliste. Ainsi, a priori, la vocation sociale des HLM est large puisque, en fonction des plafonds de ressources, les deux tiers des ménages pourraient être éligibles. Néanmoins, si l’on considère le profil socio-économique des locataires, on observe que la part des ménages pauvres logés dans le parc HLM ne cesse d’augmenter depuis la fin des années 1970, tout particulièrement dans les grands ensembles d’HLM (Laferrère 2009). À cet égard, les orientations nationales, depuis 2007, donnent le signe de vouloir prolonger cette tendance, comme en témoignent la loi dite « DALO » du 5 mars 2007 ou la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion du 25 mars 2009, qui a baissé de 10 % les plafonds de ressources, a introduit des surloyers en zones tendues et remis en cause partiellement le droit au maintien dans les lieux [8].
Évolution de la distribution des revenus des locataires HLM entre 1973 et 2006
Source : INSEE, Exploitation USH.
  • Enfin, alors que la tendance générale en Europe est de déléguer des compétences aux niveaux locaux de gouvernement, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne ou au Royaume-Uni, le processus de décentralisation se situe, en France, « au milieu du gué ». Il y a d’un côté un mouvement de territorialisation et de contractualisation des décisions politiques et, de l’autre, une recentralisation de l’action publique (Epstein 2008). Les orientations nationales tendent ainsi à affirmer le rôle de l’État dans la répartition territoriale des objectifs de construction et la définition du public cible du secteur HLM, alors que c’est au niveau local que se jouent les orientations stratégiques en termes de construction et d’attribution du logement social via les organismes HLM et les élus locaux.

Cette situation conduit à un renforcement des inégalités entre les territoires. Dans les zones tendues, l’offre de logements est particulièrement insuffisante et inadaptée à la demande sociale. De même, la construction locative sociale peine toujours à progresser suffisamment là où l’offre est jugée déficitaire [9].

Conclusion

S’il n’existe pas de modèle de logement social européen, le parc social tend toutefois à accueillir de plus en plus de populations fragiles et à être de plus en plus résiduel dans les politiques de logement de la plupart des États membres. Les questions du sens et de la cible du logement social restent plus que jamais ouvertes.

En 2012, le débat européen devrait encore être alimenté par l’arbitrage attendu de la Cour de justice de l’Union européenne sur les missions imparties au logement social. Les débats néerlandais se poursuivent entre la Commission européenne, l’État, les investisseurs privés et les bailleurs sociaux [10]. L’issue de ces deux débats permettra de vérifier si la crise, qui a bouleversé les équilibres économiques, sociaux et politiques européens, a conduit à une inflexion des tendances observées dans la première décennie du XXIe siècle.

Bibliographie

  • Conseil d’État. 2009. Droit au logement. Droit du logement, Paris : La Documentation française.
  • Epstein, R. 2008. « L’éphémère retour des villes. L’autonomie locale à l’épreuve des recompositions de l’État », Esprit.
  • Europolitique. 2011. « L’Europe redessine le logement social », n° 4328, 16 décembre 2011.
  • Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA). 2008. Le rôle du logement dans les parcours d’exclusion liés au logement, rapport européen.
  • Fitzpatrick, S. et Stephens, M. 2009. « The Future of Social Housing », European Journal of Homelessness, vol. 3, décembre, p. 347-351.
  • Fondation Abbé Pierre. 2012. L’état du mal logement en France, 17e rapport annuel.
  • Ghekiere, L. 2007. Le développement du logement social dans l’Union européenne. Quand l’intérêt général rencontre l’intérêt communautaire, Dexia ; Collège d’Europe.
  • Ghekiere, L. 2008. « Le développement du logement social dans l’Union européenne », Recherches et Prévisions, n° 94, décembre, p. 21-34.
  • Ghekiere, L. 2011. « Évolution du sens du logement social à l’épreuve de la crise et du droit communautaire et de la concurrence », in Houard (dir.), Loger l’Europe. Le logement social dans tous ses États, Paris : La Documentation française ; MEDDTL–DiHAL.
  • Houard, N. (dir.). 2011a. Loger l’Europe. Le logement social dans tous ses États, Paris : La Documentation française ; MEDDTL–DiHAL.
  • Houard, N. (dir.). 2011b. Social Housing across Europe, Paris : La Documentation française ; MEDDTL–DiHAL.
  • Laferrère, A. 2009. La paupérisation du parc HLM : essai de vision dynamique, Paris : Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
  • Le Galès, P. 2010. « Exploring governance in a multilevel polity : a policy instruments approach » (avec Hussein Kassim), West European Politics, vol. 33, n° 1, p. 1-21.
  • Lévy-Vroelant, C. 2011. « Le welfare vu du logement : logement social et État-providence en question », in Houard (dir.), Loger l’Europe. Le logement social dans tous ses États, Paris : La Documentation française ; MEDDTL–DiHAL.
  • Levy-Vroelant, C. et Tutin, C. (dir.). 2010. Le logement social en Europe au début du XXIe siècle, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
  • Regards croisés sur l’économie. 2011. Dossier « Pour sortir de la crise du logement », n° 9, Paris : La Découverte.
  • Scanlon, K. et Whitehead, C. 2010. « Le logement social en Europe : tendances communes et diversités persistantes », in Lévy-Vroelant, C. et Tutin, C. (dir.). 2010. Le logement social en Europe au début du XXIe siècle, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
  • Whitehead, C. 2011. « Un regard étranger sur le modèle français », in Houard (dir.), Loger l’Europe. Le logement social dans tous ses États, Paris : La Documentation française ; MEDDTL–DiHAL.
  • Whitehead, C. et Scanlon, K. (dir.). 2007. Social Housing in Europe, Londres : London School of Economics.
  • Whitehead, C. et Scanlon, K. (dir.). 2008. Social Housing in Europe II. A review of policies and outcomes, Londres : London School of Economics.

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Pour citer cet article :

Noémie Houard, « Le logement social en Europe : la fin d’une époque ? », Métropolitiques, 9 avril 2012. URL : https://metropolitiques.eu/Le-logement-social-en-Europe-la.html

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