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Le développement social dans les organismes HLM

Une activité sous contrainte gestionnaire
Au sein des organismes HLM, le développement social est une activité récente qui peine à trouver une légitimité. Elle est portée par des professionnels aux objectifs contrastés : ici mise au service de la gestion du patrimoine, elle sert ailleurs une ambition de transformation sociale. À partir d’une enquête auprès d’organismes franciliens, Jeanne Demoulin propose de cerner les contours de cette activité et des paradoxes qui traversent sa mise en œuvre.

L’activité de gestion sociale des bailleurs sociaux s’est développée à partir des années 1980 après avoir été reléguée au second plan pendant la période de construction massive de logements sociaux. La nécessité de mettre l’accent sur la gestion sociale s’est alors organisée autour de trois registres de justification dans le discours officiel du Mouvement HLM [1] : un registre social (l’intégration des populations considérées comme à la marge), un registre patrimonial (la prévention des coûts de gestion dus notamment aux dégradations) et un registre entrepreneurial (préserver ou renouveler l’attractivité du patrimoine pour des « familles types [2] »). Ces trois registres structurent encore aujourd’hui l’activité de gestion sociale, tant dans ses attendus que dans ses modalités de mise en œuvre et ses effets (Demoulin 2016).

Nous proposons d’étudier ici la manière dont les registres de justification social et patrimonial s’articulent concrètement dans le quotidien des organismes HLM. Nous analyserons pour cela l’une des pratiques relevant de la gestion sociale : le développement social urbain. Ce faisant, notre ambition est d’éclairer ce qui peut apparaître comme un double paradoxe. D’une part, le développement d’activités de gestion sociale au sein des organismes HLM n’a pas conduit à sa promotion institutionnelle et professionnelle. Bien au contraire, les professionnels en charge de ces questions et les actions qu’ils conduisent occupent une place subalterne dans ces organisations. D’autre part, la relégation de la justification sociale des actions de gestion sociale au profit de la justification patrimoniale conduit les chargés de développement social à agir davantage dans l’optique de contrôler les comportements des locataires que dans celle de leur venir en aide. Pour ce faire, nous commencerons par analyser la structuration de l’activité de développement social au sein des organismes HLM, pour exposer ensuite les effets sur les actions mises en place auprès des locataires.

L’analyse est conduite à partir des données recueillies lors d’une enquête de terrain menée en immersion [3] entre 2010 et 2014 au sein d’un organisme HLM francilien gestionnaire d’environ 30 000 logements. Une série d’entretiens avec des salariés et des locataires d’autres organismes HLM de la même région vient compléter les observations.

Une activité dominée et encadrée par des demandes de gestion patrimoniale

La mission des professionnels en charge du développement social urbain, les chargés de développement social urbain (CDSU), est, selon la fiche de poste type, de venir en appui des agents en charge de la gestion patrimoniale [4], là où le « fonctionnement social et spatial » pose problème [5]. Ils sont ainsi mis au service de la gestion patrimoniale.

Leur travail consiste dès lors à proposer et mettre en œuvre des actions sociales afin de remédier aux difficultés repérées par les gestionnaires patrimoniaux : leurs interventions ont lieu là où les gestionnaires patrimoniaux ont constaté des « dysfonctionnements », selon le vocabulaire consacré dans le milieu. Pour définir les lieux d’intervention des CDSU, des indicateurs permettant de mesurer les risques pour une gestion patrimoniale saine sont utilisés. Ils sont liés aux caractéristiques sociales des locataires (plus les ménages sont caractérisés par leur pauvreté, leur précarité, ou encore par leur composition familiale à distance de celle de la « famille type », plus le site est considéré comme prioritaire) ainsi qu’au comportement des locataires (le nombre d’actes de dégradation ou de conflits de voisinage, le degré de propreté du site ou encore la qualité des relations entre voisins). Les CDSU se voient ainsi chargés de la résolution de situations considérées comme relevant du champ du social mais affectant la gestion patrimoniale : « [le développement social] on le fait parce que c’est nécessaire à notre gestion. C’est pas de la philanthropie [6] ». Sollicités pour mettre en œuvre des « solutions sociales » là où les « solutions techniques » ne fonctionnent pas ou plus [7], ils sont souvent mobilisés en dernier recours et répondent ainsi à des commandes portées par une logique d’action essentiellement financière, moins coûteuse en entretien et en temps de travail pour les agents : « une résidence plus calme, c’est une résidence moins chère [8] », indique ainsi une enquêtée. Cet encadrement de leur activité est également lisible dans les modalités d’évaluation appliquées aux professionnels : quantitative et standardisée, elle est semblable à celle appliquée à la gestion patrimoniale. L’évaluation par projets, clé de voûte de cette mise en « grilles » (Cassin 2014) de l’activité, les contraint à concevoir des actions reproductibles dans des délais restreints et limite dans le même temps leurs initiatives propres.

Alors que les CDSU, largement issus de formations en travail social ou en sciences humaines et sociales, se font majoritairement les défenseurs de valeurs de transformation sociale, d’aide et d’accompagnement social, leur activité se voit guidée et encadrée par des impératifs gestionnaires et une vision à court terme avec lesquels il leur est difficile de composer. Ainsi, ils ont à faire face à des commandes qu’ils considèrent, sinon comme illégitimes, du moins comme non prioritaires, comme la réalisation ponctuelle d’activités festives ou conviviales : une fête des voisins, une fête de Noël ou la réalisation d’une fresque, des « choses comme ça, où on amuse les gens le temps du projet et après on s’en va et les choses se remettent comme elles étaient avant [9] ». Leur volonté est en effet plutôt d’engager des « projets complets [10] », des actions structurantes qui transforment véritablement les dynamiques sociales dans les résidences.

Le développement social et, partant, la logique sociale dont cette activité pourrait être porteuse, est alors « une espèce d’électron à côté [11] » et non une matrice qui viendrait irriguer la gestion du logement social.

Transformer les comportements des locataires

Les CDSU éprouvent en conséquence des difficultés à faire leur métier comme ils le souhaitent. Ils s’engagent alors dans des compromis avec les gestionnaires patrimoniaux. Les actions qui en sont issues sont modelées pour satisfaire les deux parties. Cela conduit de facto à reléguer toute ambition de transformation sociale à l’arrière-plan.

D’abord, ces opérations sont en effet rendues possibles par le fait que les CDSU identifient un dénominateur commun entre leurs préoccupations et celles de leurs collègues : agir sur les comportements considérés comme déviants des locataires. L’adaptation se joue alors dans le vocabulaire : là où ces agents parlent de « dysfonctionnements » des résidences ou des locataires, les CDSU préfèrent le terme de « besoins » et mettent l’accent sur le « bien-être des locataires ».

Mais l’adaptation se réalise surtout dans la nature des activités menées, prioritairement et quasi exclusivement destinées à résoudre des problèmes de gestion. C’est ainsi le registre éducatif qui structure les actions de développement social. Des « campagnes de sensibilisation » en porte-à-porte ou en pied d’immeuble sur des sujets comme la vie en collectivité, les économies d’énergie ou le tri sélectif sont ainsi menées. Des « appartements pédagogiques » ou des « écoles du locataire » sont également mis en place pour apprendre aux locataires à bien utiliser leur logement, à intégrer les normes des relations bailleurs-locataires ou encore à bien gérer leur budget. De même, les enfants et les jeunes sont invités à participer à des animations toujours porteuses d’une ambition éducative, déployées au sein des résidences en fonction des problèmes propres au lieu : chasse aux déchets, sorties, chantiers d’insertion… Les associations de locataires et des « locataires-relais » sont par ailleurs mis à contribution et encouragés à soutenir l’action des CDSU (développement de jardins partagés, mise en place d’activités ponctuelles ou régulières dans les locaux collectifs résidentiels, etc.) ou à développer leurs propres projets répondant aux mêmes types d’objectifs, que certains organismes soutiennent méthodologiquement et financièrement via la mise en place d’appels à projets [12]. Les actions requièrent ainsi un travail sur soi de la part des locataires qui ne se comportent pas comme cela est attendu d’eux. Dans une dynamique propre à celle des politiques sociales dites actives [13], les locataires sont enjoints à transformer leur rapport à soi et aux autres ainsi que leur rapport à leur lieu d’habitation.

L’adaptation des CDSU à la contrainte gestionnaire qui pèse sur leur activité se joue enfin sur l’évaluation qu’ils font pour eux-mêmes des actions menées : une action réussie devient une action ayant permis aux locataires d’incorporer certains comportements, les conduisant à respecter les règles prescrites par le bailleur. La relégation de la justification sociale de la gestion sociale au profit de la justification patrimoniale a dès lors une conséquence majeure : elle concourt davantage à l’assignation à un ordre social des individus qu’à leur émancipation démocratique.

Cela ne signifie pas pour autant que les actions de développement social ne permettent pas d’améliorer les conditions de vie des locataires. Mais cette amélioration est rendue possible parce que les CDSU donnent aux locataires les moyens de s’adapter à l’environnement qui les entoure. Ils encouragent ce faisant les locataires à se découvrir responsables des difficultés qu’ils rencontrent et à devenir entrepreneurs d’eux-mêmes pour élaborer des solutions.

La domination de la justification gestionnaire sur la justification sociale a ainsi des effets directs sur la nature des actions de gestion sociale conduites au sein des organismes HLM. Elles visent en effet à éduquer les locataires à agir conformément à ce que les agents gestionnaires et les CDSU perçoivent comme une bonne manière de faire, étant entendu que ce sont les CDSU qui ont à adapter leurs objectifs professionnels pour pouvoir malgré tout agir au sein de ces organisations. Dès lors, l’injonction faite aux locataires de se responsabiliser est puissante et imprégnée d’une visée moralisatrice, comme dans d’autres domaines de l’action publique (Genard 2007). Sous l’impulsion de ceux qui s’apparentent en bien des points à de « nouveaux “entrepreneurs de morale” » (Astier 2007), du fait de la contrainte de gestion patrimoniale qui pèse sur l’activité, les actions poursuivent ainsi l’objectif de convertir les locataires à agir selon un certain ordre social, dans une dynamique éloignée des logiques émancipatrices qui guident ailleurs des pratiques dites d’accompagnement social.

Bibliographie

  • Astier, I. 2007. Les Nouvelles Règles du social, Paris : PUF.
  • Cassin, B. 2014. Derrière les grilles. Sortons du tout-évaluation, Paris : Mille et une nuits.
  • Cefaï, D. 2001. « Les cadres de l’action collective : définitions et problèmes », in D. Cefaï et D. Trom (dir.), Les Formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris : Éditions de l’EHESS, p. 51-97.
  • Dardot, P. et Laval, C. 2009. La Nouvelle Raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris : La Découverte.
  • Demoulin, J. 2016. La Gestion du logement social. L’impératif participatif, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
  • Genard, J.-L. 2007. « Capacités et capacitation : une nouvelle orientation des politiques publiques ? », in J.-L. Genard et F. Cantelli (dir.), Action publique et subjectivité, Paris : LGDJ, p. 41-64.
  • Leclercq, B., et Demoulin, J. 2018. « Promouvoir la “citoyenneté” dans les quartiers populaires : les professionnels du développement social urbain à l’épreuve des enfants et des jeunes », Lien social et politiques, n° 80, p. 171-189.
  • Topalov, C. et Coing, H. 1995. « Crise, urgence et mémoire : où sont les vraies ruptures ? », in F. Ascher (dir.), Le Logement en questions : l’habitat dans les années quatre-vingt-dix : continuité et ruptures, La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, p. 261-307.
  • Tremblay, D., Assogba, Y. et Boucher, J. 2002. Activation des politiques publiques et bien-être de la population : une recension des écrits, chaire de recherche du Canada en développement des collectivités.

Pour aller plus loin :

  • Autès, M. 1999. Les Paradoxes du travail social, Paris : Dunod.
  • Becker, H. 1985, Outsiders : études de sociologie de la déviance, Paris : Métailié.
  • Dardot, P. et Laval, C. 2009. La Nouvelle Raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris : La Découverte.
  • USH. 1979. Projet HLM. Rapport général, Marseille : 40e Congrès HLM.

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Pour citer cet article :

Jeanne Demoulin, « Le développement social dans les organismes HLM. Une activité sous contrainte gestionnaire », Métropolitiques, 21 octobre 2019. URL : https://metropolitiques.eu/Le-developpement-social-dans-les-organismes-HLM.html

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