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Débats

La réforme du gouvernement local à Londres : association ou abandon des citoyens ?

Alors que la crise actuelle met à mal la prise en charge des services urbains par les collectivités territoriales, le Localism Act adopté en Angleterre en 2011 parie sur l’implication de la société civile. Mais, combinée à une réduction drastique des dépenses publiques, cette réforme annonce surtout la mise à l’écart des habitants au profit du secteur privé.

La coalition conservateurs/centre (Conservative/Lib-Dem) au pouvoir au Royaume-Uni depuis 2010 a mis en place une réforme du gouvernement local : le Localism Act. Promulguée en novembre 2011, la loi propose d’introduire d’avantage de « localism » dans la gestion des services municipaux [1]. Le localism, dans le discours politique britannique, désigne une idéologie politique qui encourage les habitants à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques locales [2] et promeut une gestion des services collectifs à l’échelle du quartier.

Le discours conservateur associe le localism au concept de Big Society, qui désigne les institutions non-étatiques composant la société civile et inclut les acteurs du secteur privé. Dans le contexte actuel de réduction drastique des dépenses publiques, il incombe à la Big Society de se substituer en partie à l’État pour assurer la fourniture des services publics [3].

Cet article s’intéresse à deux aspects de la loi : la promotion de l’aménagement participatif et les modalités de l’implication de la Big Society dans la gestion des services locaux. Dans les faits, l’autonomisation des habitants est très partielle et comporte même un risque d’exclusion de l’accès aux services, qui varie en fonction des contextes géographiques. Dans les zones rurales aisées, le transfert de compétence paraît pouvoir être assumé largement par la société civile, ce qui en garantit l’accès au plus grand nombre. Dans les espaces urbains, a fortiori à Londres, la réforme semble annoncer la privatisation des services municipaux et l’exclusion des populations les moins favorisées.

Une participation citoyenne partielle et contrainte

Très attendue par les institutions en faveur de l’aménagement participatif, le Localism Act permet aux résidents, aux entreprises et aux commerces d’un quartier de s’associer pour créer un forum de quartier (neighbourhood forum). Ces forums sont autorisés à attribuer des permis de construire (neighbourhood development orders/community right-to-build orders) et à établir des plans locaux d’urbanisme (neighbourhood plans).

Malgré ces compétences, l’autonomie des neighbourhood forums est très partielle. D’une part, leur reconnaissance est soumise à l’accord de la municipalité locale (appelées boroughs à Londres), qui peut refuser l’établissement de certains forums, s’ils sont, par exemple, jugés trop contestataires face à des opérations d’aménagement. En effet, à Londres, celles-ci sont une source importante de financement des boroughs via les contributions des promoteurs (Appert et Drozdz 2010). Les boroughs choisissent prudemment leurs partenaires. De plus, les neighbourhood forums ne sont pas libres de décider des priorités fixées à l’échelon supérieur. Ils ne sont que consultés sur ces priorités qui, par ailleurs, les contraignent [4].

Inspirée des modes de gestion ruraux, l’initiative peine à se mettre en place dans la capitale. Seule une douzaine de forums pilotes ont pour l’instant été approuvés à Londres (sur les 200 approuvés nationalement [5]). Dans des quartiers gentrifiés (Bankside, Bermondsey, Kentish Town) où les capitaux sociaux et culturels sont élevés, ainsi que dans les quartiers résidentiels aisés (Kensington, Ealing Broadway), ils sont dirigés par des associations d’habitants et de commerçants. En revanche, dans les cas d’opérations de renouvellement urbain (Hackbridge), ils sont mis en place par le borough, ce qui permet de créer un consensus en amont.

La création de neighbourhood forums à Londres : une progression lente

Big Society : la gestion des services municipaux par la société civile ?

Le Localism Act facilite aussi la prise en charge des services municipaux par d’autres acteurs [6]. Cet aspect de la loi est mis en œuvre dans un contexte de réduction budgétaire considérable, qui pèse particulièrement sur les collectivités territoriales. À l’époque thatchérienne, le retrait financier de l’État était justifié par la négation de l’existence de la société : « There is no such thing as society » [7]. Aujourd’hui, le parti conservateur considère que ces réductions sont justifiées parce qu’il revient à la Big Society de gérer les services locaux. Si l’idéologie varie, les conséquences sur les finances des municipalités sont similaires.

La réponse locale aux réductions budgétaires dépend en grande partie des caractéristiques socio-économiques des populations affectées et de la capacité des tissus associatifs locaux à prendre en charge les services menacés. À cet égard, la géographie des coupes budgétaires fragilise particulièrement les espaces déjà vulnérables. Dans les régions rurales aisées, la réduction des dotations de fonctionnement est bien plus faible que pour les municipalités urbaines. Comme elles sont déjà très fortement maillées par les structures représentatives locales infra-municipales [8] (Civil Exchange and Democratic Audit 2012), elles présentent une meilleure résilience.

À Londres, la mobilisation de la société civile dans la gestion des services municipaux est moindre [9]. La carte montre que les réductions budgétaires se concentrent particulièrement dans les espaces où l’accès aux services (mesuré par le deprivation index [10]) est déjà plus faible que dans le reste du pays. Dans ces espaces, de nombreux services ont d’ores et déjà disparu ou sont désormais gérés par des bénévoles [11], et les menaces de fermeture se multiplient [12]].

La réduction des budgets municipaux à Londres

Le secteur associatif, même très actif dans la capitale, est beaucoup trop fragmenté et manque d’expérience en matière de gestion pour prendre la place de municipalités aux dotations budgétaires réduites (Travers 2011 ; Wills 2012). Il est aussi victime des réductions budgétaires. À cela s’ajoute la complexité métropolitaine, liée aux mobilités, à la diversité sociale et ethnique, aux enjeux économiques des infrastructures de transport et des grands projets urbains. Pour ces raisons, la prise en charge des services par la frange « société civile » de la Big Society est peu aisée. Voilà qui ouvre la porte à l’intervention du secteur privé, qui trouve ici de nouveaux marchés à conquérir en ces temps de crise économique.

Un risque accru de privatisation des services en contexte métropolitain

Sans généraliser hâtivement les conséquences encore incertaines de l’application de la loi, il reste probable qu’elle encourage dans les contextes urbains, au moins à Londres, le développement de dispositifs similaires aux BIDs (business improvement districts). Ces dispositifs, initialement développés dans les années 1970 et 1980 par des associations d’entreprises dans des villes nord-américaines puis à Londres, visent à mutualiser des ressources privées pour assurer la sécurité ou rénover les espaces urbains à usage public. Pour les résidents, cela signifierait un coût supplémentaire pour le maintien des services de leur quartier, qui prendrait la forme d’une taxe prélevée localement par les acteurs qui s’occupent de leur gestion [13].

Les spécificités et la complexité londoniennes interrogent les conditions d’une généralisation des modes de gestion des espaces ruraux, où il existe un maillage dense d’institutions civiles non-gouvernementales suppléant les gouvernements locaux. Les contextes métropolitains n’appellent-ils pas des modes de gestion et des processus démocratiques différents ? Le spectre d’une privatisation accrue des services urbains et, par conséquent, la transformation du citoyen-usager en client, au prix d’une exclusion politique, constitue le revers d’une participation en trompe-l’œil. Avec cette réforme, le citoyen londonien ne bénéficie finalement que d’une association limitée aux décisions d’urbanisme. Pour la gestion des services locaux, il est certes davantage responsabilisé, mais au prix d’un abandon accentué (Clarke 2005).

Bibliographie

  • Appert, Manuel et Drozdz, Martine. 2010. « Conflits d’aménagement aux marges nord-est de la City de Londres », Hérodote, vol. 137, n° 2, p. 119-131.
  • Civil Exchange and Democratic Audit. 2012. The Big Society Audit, Londres : Joseph Rowntree Charitable Trust – Calouste Gulbenkian Foundation.
  • Clarke, John. 2005. « New Labour’s Citizens : Activated, Empowered, Responsibilized, Abandoned ? », Critical Social Policy, vol. 25, n° 4, p. 447-463.
  • Conservative Party. 2010. Open Source Planning Green Paper.
  • Department for Communities and Local Government (DCLG). 2012. Localism Act : Neighbourhood Plans and Community Right to Build. Impact Assessment, Londres : DCLG.
  • UK Parliament. 2011. Localism Act 2011 (c.20), Londres : The Stationery Office.
  • Powell, Martin. 2004. In Search of New and Old Localism, Oxford : ESPAnet Conference Proceedings.
  • Travers, Tony. 2011. Engaging London’s Communities. The Big Society and Localism, Londres : London Councils.
  • Wills, Jane. 2012. « The Geography of Community and Political Organisation in London Today », Political Geography, vol. 31, n° 2, p. 114-126.

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Pour citer cet article :

Martine Drozdz, « La réforme du gouvernement local à Londres : association ou abandon des citoyens ? », Métropolitiques, 10 septembre 2012. URL : https://metropolitiques.eu/La-reforme-du-gouvernement-local-a.html

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