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La « nature en ville » à l’épreuve de la requalification des banlieues

Le cas de Plaine Commune

La double dynamique de requalification urbaine et de densification qui se déploie dans le territoire de Plaine Commune (Seine-Saint-Denis) se traduit par la sélection des espaces composant la « nature en ville ». La figure des « natures de parc » (espaces verts publics et privés) s’impose peu à peu, au détriment des « natures contenues » de la friche et du délaissé ainsi que des « natures jardinées ».


Dossier : Nature(s) en ville

Les tissus urbains des villes de la proche banlieue parisienne, dans les départements de petite couronne, apparaissent nettement plus végétalisés que celui de Paris intra‑muros (Riboulot et al. 2012). Historiquement, l’appropriation de ces espaces de nature a été portée par plusieurs réseaux d’acteurs : usagers temporaires marginaux, habitants-jardiniers, et professionnels des espaces verts. Aujourd’hui, le traitement des enjeux écologiques (assurant la liaison entre le cœur de l’agglomération et ses périphéries rurales), économiques (de coût d’entretien) et sociaux (d’accès à la nature) de la nature en ville gagnerait à s’appuyer sur ces trois catégories d’acteurs.

Sur le territoire de banlieue « défavorisée » de Plaine Commune en Seine-Saint-Denis, le processus de requalification urbaine se traduit par la sélection des espaces de nature qui y sont préservés, et des réseaux d’acteurs qui en assurent la reproduction et l’aménagement. Une analyse des évolutions en cours montre, en effet, que la figure du parc (espaces verts publics et privés) s’impose partout au détriment d’autres formes de nature présentes dans ces espaces : celle de la friche et celle des jardins d’habitants.

Deux fois plus de vert à Plaine Commune qu’à Paris

Contrairement aux représentations véhiculées par les médias, une spécificité des tissus urbains propres à la banlieue parisienne réside dans la grande proportion de couvert végétal qu’on y rencontre. Ainsi, elle est en moyenne de 28 % à Plaine Commune mais peut aller jusqu’à 42 % dans certaines des communes qui la composent (voir Figure 1 et Tableau 1). Ce rapport se trouve jusqu’à cinq fois plus élevé que pour la commune de Paris.

Figure 1 : Carte d’occupation du sol de Plaine Commune

Source : image raster optimisée ECW « Occupation des terres », © APUR, 2010. L’extraction des pixels « verts » de l’image peut être considérée comme un indicateur de la présence de la nature (espaces verts, boisés et cultivés).

Tableau 1 : Tableau comparatif de la superficie totale du couvert végétal (CV)
à Paris et à Plaine Commune
Commune/intercommunalité CV (ha) % de la superficie totale m² CV / m² EB [1]
Paris [2]
1 574,0 
15 %
0,17
CA [3] Plaine Commune
1 498,7 
28 %
0,39
Saint-Ouen
 78,5
18 %
0,22
Aubervilliers
 117,1
20 %
0,25
Saint-Denis
 337,1
27 %
0,37
La Courneuve
 289,4
38 %
0,63
L’Île-Saint-Denis
 55,3
31 %
0,45
Épinay-sur-Seine
 150,9
33 %
0,50
Villetaneuse
 96,2
42 %
0,72
Stains
 225,7
42 %
0,71
Pierrefitte-sur-Seine
 122,6
36 %
0,56

Données : APUR 2010 ; Riboulot et al. 2012.

La « nature en ville » se caractérise par son hétérogénéité et la diversité des formes qu’elle peut revêtir (Nahmias et Hellier 2012). L’ancienne banlieue industrielle est marquée par trois grandes figures de la nature : la nature contenue, la nature jardinée et la nature de parcs. La forte proportion de végétation présente dans le tissu urbain de banlieue s’explique par plusieurs facteurs.

Tout d’abord, par la présence significativement plus importante d’espaces interstitiels, délaissés ou enchâssés entre les infrastructures, et des friches industrielles. Sur les sites en activité, cette nature recomposée (Godet 2010) apparaît contenue par les autres usages et fonctions. Mais les espèces « colonisatrices » rencontrent moins de résistance et trouvent des espaces d’épanouissement dans les friches industrielles dont la Plaine à Saint-Denis constituait le plus gros réservoir de France il y a encore une dizaine d’années.

Ensuite, par l’existence de jardins privés ou collectifs hérités de l’histoire ouvrière et urbaine des XIXe et XXe siècles [4]. Ajoutés aux parcelles cultivées par les derniers agriculteurs professionnels de Plaine Commune, ils assurent la résistance des natures jardinées aux portes de la capitale. Cités-jardins et jardins familiaux ont ainsi fait émerger dans le courant du XXe siècle la figure de l’habitant-jardinier comme un marqueur de l’histoire urbaine de ces banlieues. Organisé en associations ou agissant de façon individuelle, l’habitant-jardinier intervient comme le principal acteur de la production d’une nature jardinée, devenue un élément central du cadre de vie des banlieues.

Le troisième facteur qui explique aujourd’hui la présence importante de la nature dans ce territoire de Plaine Commune, ce sont les réserves foncières affectées à partir des années 1960 à l’aménagement et la reproduction des espaces verts. Ils forment une troisième catégorie de la nature en ville, celle des natures de parc. Le parc est déjà très présent dans les projets urbanistiques qui succèdent à celui de la cité-jardin depuis le milieu du XXe siècle. Dans le modèle fonctionnaliste qu’incarne la Cité radieuse de Le Corbusier, l’abondance d’espaces verts, conçus comme « hygiéniques et fonctionnels », assure, en effet, à l’époque la promotion de ces opérations qui permettent au plus grand nombre d’« habiter dans un parc » (Blanchon-Caillot 2008). Aux abords des grands ensembles ont, par ailleurs, été aménagés de très grands parcs de loisirs urbains, le plus emblématique étant le parc Georges-Valbon (ancien parc de La Courneuve) qui, avec ses 415 hectares, est le plus grand parc urbain aménagé d’Île-de-France [5].

La « mise en parc » de la nature sous l’effet des requalifications urbaines

Les « natures de parc » prennent aujourd’hui une place de plus en plus importante. Elles apparaissent, en effet, comme un outil bien adapté aux desseins des grands programmes de rénovation et de requalification dont font l’objet les anciennes banlieues industrielles comme Plaine Commune, où elles impulsent des évolutions fortes des tissus urbains et des populations qui les habitent et les fréquentent. Ainsi, dans l’ancien secteur industriel de la Plaine à Saint-Denis, les « natures contenues » des friches industrielles régressent au profit des « natures de parc » aménagées dans les ensembles d’habitation collective ou des sites d’entreprise. À Stains, deux hectares de friches industrielles viennent d’être intégrés dans le périmètre du parc Georges-Valbon. Cette contraction touche aussi les natures jardinées. Dans la zone des Tartres à Pierrefitte-sur-Seine, des terres agricoles ont laissé leur place aux nouvelles Archives nationales et à leurs espaces verts extérieurs.

Il a été constaté que dans un contexte d’injonction à la densification, introduite par la loi Solidarité et renouvellement urbain et renforcée par les lois du Grenelle, la requalification urbaine « limite la création, voire le maintien, d’espaces verts à l’intérieur de la ville » (Mehdi et al. 2012). Les liens entre requalification et dynamique de la nature en ville ne peuvent toutefois se réduire à de simples lectures quantitatives. Si l’on observe la perte de certaines formes de nature(s) en ville, comme celle des friches industrielles, celle des « natures de parc » se trouve donc stimulée par le renouvellement urbain. Le secteur où cette dynamique est la plus visible est celui des espaces verts publics, dont l’extension est toujours activement soutenue, en application de la circulaire du 8 février 1973 qui en fait des équipements structurants d’intérêt public. L’objectif initial de 10 m² par habitant d’espaces verts publics dans la zone centrale de l’Île-de-France se trouve largement dépassé dans les trois départements de petite couronne, alors qu’à Paris il reste en deçà (Legenne 2009).

Cette « mise en parc » de la nature est aussi prégnante dans les logiques d’aménagement des zones de logements collectifs. Le principe « d’écrin de verdure » du courant fonctionnaliste des grands ensembles est toujours appliqué aux opérations de construction de logements collectifs plus récentes, même si la proportion des surfaces de parc est plus restreinte.

De nouveaux espaces de nature de parcs apparaissent enfin avec l’adoption de nouvelles pratiques de gestion des sites industriels (secondaires ou tertiaires) où les espaces extérieurs non bâtis sont entretenus, et souvent « paysagés », par des entreprises de gestion des espaces verts.

Une nouvelle place de l’habitant-jardinier dans la banlieue requalifiée

Si la « nature en ville » apparaît toujours très présente dans cette banlieue de Paris, elle devient de plus en plus « aménagée » par des opérateurs spécialisés dans l’entretien des parcs et jardins. Cette tendance caractérise les processus contemporains de fabrication de l’urbain où la nature est, en effet, de plus en plus pensée comme une « infrastructure » (architecturale, paysagère, écologique). Ce phénomène soulève une forme de contradiction à une époque où les pouvoirs publics revendiquent d’encourager un urbanisme plus participatif et de satisfaire la demande de nature en ville désignée comme une composante du bien-être citadin. Alors que cette demande peut être interprétée comme le signe d’une réappropriation de l’espace urbain par les citadins, sa prise en compte dans l’élaboration des documents d’urbanisme et des projets de requalification se traduit paradoxalement par la mise à l’écart, parfois conflictuelle, des jardins familiaux, disqualifiant les pratiques habitantes de jardinage qui s’étaient déployées dans les banlieues de l’agglomération parisienne durant la première moitié du XXe siècle (c’est le cas de la zone des Tartres à Pierrefitte). Ce constat révèle à quel point les professionnels de l’aménagement peinent toujours à concevoir les espaces ouverts comme des lieux d’urbanité (Banzo 2009). L’habitant-jardinier perd ainsi sa légitimité en matière de maîtrise des espaces urbains de nature au profit des entreprises privées d’espaces verts (dans le cas de sites d’entreprises ou de copropriétés) et des services techniques des collectivités (dans le cas des espaces verts publics).

Installation temporaire de l’association Projet PEPA aux abords du 6b, une friche « tertiaire » à Saint-Denis investie par des collectifs d’artistes : projet.pepa chez gmail.com.
Troupeau de moutons élevés et nourris grâce au pâturage des bords de voies et friches urbaines du territoire de Plaine Commune par les membres de l’association Clinamen : clinamencd chez gmail.com.

© S. Darly, 2012.

Cependant, on observe sur le terrain que les espaces en requalification deviennent également le terreau de nouvelles pratiques habitantes de jardinage ou d’agriculture urbaine fondées sur la mobilité comme l’élevage ovin itinérant, et le « hors-sol » (projets culturels d’apiculture, cultures en bac). Ne nécessitant pas ou peu d’aménagements, et surtout pas d’emprise sur le foncier, ces pratiques semblent plus compatibles avec les dynamiques de rénovation urbaine et de densification. Ces initiatives favorisent de nouvelles connexions avec les gestionnaires des espaces de « nature en parc », par la mise en place de pratiques d’entretien innovantes (comme, par exemple, le pastoralisme itinérant, qui a pour effet l’abaissement des coûts d’entretien des surfaces en herbe). Dans une logique d’intermédiation, elles demandent, au-delà de la création de nouveaux référentiels professionnels, à être mieux articulées pour favoriser leur pérennité et à contribuer au maintien des natures jardinées « historiques » qui présentent un triple intérêt en matière de continuités écologiques, de pratiques sociales et d’imaginaire collectif.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Ségolène Darly & Pauline Marty & Johan Milian, « La « nature en ville » à l’épreuve de la requalification des banlieues. Le cas de Plaine Commune », Métropolitiques, 20 novembre 2013. URL : https://metropolitiques.eu/La-nature-en-ville-a-l-epreuve-de-la-requalification-des-banlieues.html

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Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

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