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La logique des bandes : entre famille, école et quartier

Comment expliquer les trajectoires délinquantes ? À partir d’une longue enquête ethnographique sur les processus de formation des bandes, Marwan Mohammed souligne la grande hétérogénéité de la culture de rue, mais aussi l’importance de la réputation dans la genèse de ces trajectoires.

Recensé : Marwan Mohammed. 2011. La formation des bandes. Entre la famille, l’école et la rue, Paris : Presses universitaires de France.

La multiplication des « miraculés » qu’a engendrée la « massification scolaire » et la propension ordinaire des apprentis sociologues à choisir des objets de recherches autobiographiques permettent de comprendre la (relative) prolifération des enquêtes menées « de l’intérieur » sur « les jeunes des cités ». Elle a favorisé, en France, un renouvellement de la sociologie de la délinquance juvénile : le livre de Marwan Mohammed, issu de sa thèse soutenue en 2007, complète opportunément une série de travaux remarquables. Il repose sur une enquête ethnographique menée dans le cadre de la cité des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne, où l’auteur a vécu, travaillé, milité.

La place des familles dans la sociogenèse des trajectoires délinquantes

Confronté à la thèse aujourd’hui dominante qui fait de « la responsabilité » – celle des délinquants « calculateurs » et de leurs parents « laxistes » ou « démissionnaires » – la clé universelle de compréhension des pratiques délinquantes (légitimant ainsi l’inflation pénale), Marwan Mohammed enquête sur la place des familles (parents, fratrie et famille élargie) dans la formation des « bandes de jeunes » (p. 97-229).

Ainsi rappelle-t-il utilement les incidences du chômage sur la désorientation du fonctionnement familial, de la précarité sur le rapport à l’avenir (la vie « au jour le jour » et l’état d’incertitude permanent), l’omniprésence des problèmes matériels, les effets de démoralisation induits par le regroupement spatial des familles les plus démunies, vulnérables et stigmatisées. Si ces familles sont également démunies de capital économique et de capital culturel, il relève néanmoins des orientations budgétaires différentes d’une famille à l’autre, des écarts dans les politiques éducatives et scolaires qui dépendent, en particulier, de l’ancienneté de l’immigration des groupes communautaires.

En dépit des obstacles, la mobilisation scolaire des familles est néanmoins la règle : elle répond à des ambitions de promotion sociale ou au simple souci de préserver les enfants du chômage, de la délinquance et de « l’indignité familiale » qui en résulte. De ce fait, l’échec scolaire est la cause principale des tensions entre parents et enfants. Or, l’échec est particulièrement fréquent et, comme le note Marwan Mohammed, les bandes de jeunes qui forment l’ossature du pôle déviant du quartier recrutent principalement et de manière homogène des jeunes qui éprouvent d’importantes difficultés scolaires.

La fréquence de l’échec scolaire trouve son principe dans l’impuissance familiale à assurer aux enfants concernés une scolarité réussie [1]. Schématiquement, le cursus est le suivant : il conduit des mauvaises notes aux bêtises, des bêtises aux absences, des absences aux convocations, des convocations aux problèmes avec la police, de la police à la justice. Du côté des élèves, les difficultés d’apprentissage des « fondamentaux » conduisent à « l’hypo-activité scolaire » et accroissent les chances de « se faire engrainer ». Progressivement se met en place une conversion disciplinaire du mal-être scolaire : émulation concurrentielle dans la gestion turbulente de l’ennui en classe, chahuts, joutes verbales, provocations, bagarres qu’impose le souci de « préserver la face », esquive des contrôles et absences répétées. Ainsi, la frontière entre les activités des bandes dans la rue et dans l’espace scolaire devient-elle de plus en plus poreuse. Le collège apparaît à la fois comme un lieu de production et d’importation des conduites déviantes, un « tremplin réputationnel » par rapport au monde des bandes.

Mais comment comprendre que, à l’échelle intra-familiale, le pôle déviant n’aspire qu’une minorité de la fratrie ? Pour en rendre compte, il faut se pencher, selon Marwan Mohammed, sur la « présélection qui s’opère en amont » : le statut et la place occupée au sein de la constellation familiale sont, en effet, des clés (parmi d’autres) de compréhension de ces tris. Dans cette perspective (inspirée des travaux de Bernard Vernier [2]), Malika Gouirir a mis en évidence les investissements affectifs discriminants des parents immigrés en fonction du sexe, de la position dans la fratrie et des projets familiaux (rester en France/rentrer au pays) [3]. Ces schèmes d’interprétation permettent de rendre compte des inégalités de traitement et de statut au sein d’une même fratrie et, par exemple, de l’investissement préférentiel sur le garçon aîné ou de la disqualification d’un aîné « paria » et du transfert des espoirs sur le cadet. Mais, pour expliquer la dispersion des carrières scolaires et les engagements différenciés dans le monde des bandes au sein d’une même fratrie, il faut également tenir compte des écarts entre les modes de socialisation familiale des aînés et des cadets (souvent séparés par plus d’une dizaine d’années). Ces écarts sont dus au vieillissement des parents (et à la démobilisation qu’elle induit), au chômage, à la maladie, aux accidents du travail qui les frappent (et à la détérioration des conditions de vie qu’ils provoquent), à la dégradation des « quartiers sensibles » (en particulier, à l’extension du pôle délinquant), aux progrès de l’incroyance scolaire (les expériences négatives des aînés provoquent, en effet, le déclin du credo et de l’investissement scolaires des cadets), à la dégradation du marché du travail, etc. Enfin, les trajectoires des aînés influencent celles des cadets : en proposant à domicile des modèles d’identification positive (« college boy » [4]) ou négative (« bad boy ») accessibles, en familiarisant les cadets d’un aîné établi dans la « culture de rue » avec un univers délinquant banalisé, normalisé, en les créditant d’une « immunité diplomatique » (un statut d’« intouchables » dans le quartier), mais aussi en les dotant d’un « pedigree de famille à problèmes ».

Qu’en est-il de la « perte d’autorité » imputée aux familles des jeunes affiliés au monde des bandes ? Marwan Mohammed rappelle d’abord que l’exercice du contrôle parental suppose des conditions matérielles de possibilité menacées par la multiplication des emplois, les distances à parcourir, les horaires décalés, les tensions domestiques liées au manque d’espace dans des logements surpeuplés, etc. Mais l’autorité familiale, en particulier en matière scolaire, suppose également des conditions culturelles et symboliques de possibilité. Or, le déficit de capital culturel entrave la communication écrite du collège avec les familles : d’où les convocations presque toujours tendues et humiliantes et les procès mutuels où les familles, infantilisées et accusées de « laxisme », retournent l’accusation contre l’école (« l’école apprend mal, elle est trop laxiste avec les enfants »), quitte à corriger les enfants de retour à la maison. De façon générale, l’école délégitime la politique éducative parentale : au pouvoir coercitif fondé sur la menace, à l’économie de la crainte et de la sanction, elle oppose une pédagogie de l’autocontrôle et de l’intériorisation des normes (« tu tapes, t’as pas le droit »).

Scolairement disqualifiée, l’autorité familiale est symboliquement dévaluée par les rapports de domination subis au guichet des institutions, économiquement dévalorisée par son incapacité de répondre aux demandes engendrées par l’intériorisation de la « culture jeune ». Elle est également divisée par le partage traditionnel des compétences entre le père et la mère, mais elle l’est aussi souvent par les difficultés statutaires des pères en situation de précarité (souvent assorties d’alcoolisme et de violences conjugales), par les conflits conjugaux qui dérivent des mariages forcés ou de la polygamie, par les divorces, les remariages, les « accidents biographiques », qui se traduisent par des désaccords budgétaires, éducatifs, relationnels et, en définitive, par la dégradation d’un climat domestique fragile. Enfin, l’autorité familiale peut être compromise par « des trucs chelous » : des pères « fichés au grand banditisme » à « l’économie de la débrouillardise », en passant par les « petites magouilles » et l’ambiguïté familiale à l’égard des ressources de l’économie illégale.

Économie du capital symbolique et sociogenèse des trajectoires délinquantes

S’interrogeant sur la place de la socialisation familiale dans la sociogenèse des trajectoires délinquantes, Marwan Mohammed a dû élargir le champ d’investigation à l’expérience scolaire (p. 29-95) et aux effets propres de la socialisation dans le monde des bandes (p. 231-288), ébauchant de ce fait une véritable sociogenèse du monde des bandes. Aussi a-t-il été conduit à étudier, outre l’expérience domestique, l’expérience scolaire et l’expérience de la « culture de rue » associée aux formes de sociabilité des jeunes des cités. L’enquête met ainsi en évidence les logiques d’engagement et de désengagement, les étapes du décrochement scolaire et familial et de l’investissement délinquant [5].

Dans l’univers tripolaire formé par la famille, l’école (relayée ultérieurement par le marché du travail) et le groupe de pairs, où « la réputation » est à la base de l’estime de soi, Marwan Mohammed montre que la socialisation primaire des jeunes des cités est animée par la quête permanente de gratifications symboliques et l’évitement des humiliations (p. 325-404). Le capital symbolique (i.e. « la réputation ») suppose à la fois la reconnaissance de la valeur de ce capital (« les actes ne valent que par ceux qui les reconnaissent ») et l’insertion dans un réseau de connaissances qui l’entretient – les « réputations » sont indissociables des « commérages » (« chez nous, c’est pire qu’internet », note Marwan Mohammed).

Dans ce cadre, la valorisation de la réussite scolaire dans les discours parentaux permet de comprendre que l’humiliation de ne pas être au niveau provoquée par l’échec scolaire soit redoublée par la délégitimation familiale : les verdicts totaux et brutaux du système scolaire sont, en effet, relayés par la famille et les pairs (« les tebés d’un côté, ceux qui ont des facilités de l’autre »). Dans un contexte de quête permanente de « respect », le monde des bandes apparaît alors comme une « niche affective et identitaire », un « espace protecteur et médiateur », un espace d’affirmation de soi « sur des bases accessibles » (i.e. mobilisant des ressources dont ils ne sont pas a priori démunis), susceptible d’assurer une forme de réussite locale, une reconquête de l’estime de soi. C’est pourquoi le monde des bandes, « lieu d’accueil réceptif pour ceux qui renoncent progressivement à courir après une scolarité normale inaccessible » peut être défini comme « un espace de compensation statutaire ». Espace de légitimation de l’échec scolaire, il dévalue l’école (en l’accusant de racisme) et ceux qui y réussissent : les « bouffons », « chouchous » et autres « bolos » sont l’image inversée du jeune des bandes. Il valorise l’immédiateté, le plaisir et l’hédonisme contre l’apologie scolaire des gratifications différées, de l’effort et de l’abnégation.

Marwan Mohammed met ainsi en évidence les rapports dialectiques entre la famille, l’école et la rue : « la bande dédramatise l’acte déviant, elle banalise l’absentéisme et les relations conflictuelles, elle permet de passer outre les réprimandes familiales et institutionnelles ». À l’inverse, le fait d’être encore sous l’emprise, même fragile et limitée, des institutions scolaires et familiales réduit le pouvoir d’attraction de la bande et limite l’intensité de l’engagement. Le degré d’engagement dans le pôle déviant (des « permanents » aux « intérimaires ») dépend ainsi des rétributions symboliques associées aux trois pôles que représentent la famille, l’école et la bande. Ainsi peut-on comprendre à la fois les surinvestissements déviants compensatoires des disqualifications scolaire et familiale, les engagements mesurés en termes de réputation, les postures médianes et surtout – objection récurrente – le fait que tous les enfants en échec scolaire ne rejoignent pas les bandes. À cet égard, il faut rappeler que, comme le montre Thomas Sauvadet, le monde des bandes est également un univers concurrentiel, avec ses « winners » et ses « losers », ses « prétendants refoulés » (« recalés ») et ses « membres déchus » [6].

Mais si l’engagement dans la bande (et les rétributions symboliques associées) compense le discrédit scolaire, il renforce également la disqualification familiale : le délinquant « salit le nom ». De façon générale, la révélation publique de la délinquance est un drame familial : « depuis la perquise pour moi c’est fini, j’suis persona non grata pour toujours ». D’où les stratégies de dissimulation et d’évitement de l’espace domestique ou les stratégies de réhabilitation : « missions » (services rendus) accomplies pour la famille, allègement des charges financières de la famille (il s’agit d’éviter d’« être sur les côtes » de ses parents), soutien matériel, quitte, pour les enfants, à « mythoner » leurs parents et, pour les parents, à « fermer les yeux ». La débrouillardise s’impose, en effet, pour échapper aux injonctions contradictoires des ressources familiales réduites et du conformisme consumériste des adolescents : « t’es obligé de débrouiller des thunes à droite et à gauche ». D’où, également, les stratégies de refoulement et de dédramatisation des parents (c’est finalement l’intrusion de la police et de la justice et, à un degré moindre, le rapprochement de travailleurs sociaux chargés de traiter spécifiquement ces déviances qui provoque une réelle rupture dans la gestion familiale, explique Marwan Mohammed) et, dans certains cas, les « contre-expertises » familiales destinées à défendre l’honneur familial, mettant en cause la rue, l’école, le chômage, les mauvaises fréquentations, voire les « jnouns » (mauvais esprits).

Les pôles de la « culture de rue »

C’est à juste titre que Marwan Mohammed souligne (en dépit des effets homogénéisants de la massification scolaire, du développement de la consommation de masse et de l’emprise des médias) les multiples clivages entre « jeunes des cités » : entre étudiants et chômeurs, entre salariés et délinquants, entre « rouille », précarité et intégration, entre scolaires, précaires et « galériens » (investis dans le « bizness »), entre intégration au quartier (participation aux sociabilités communautaires) et évitement (repli sur l’espace privé et les jeux vidéo), entre « college boys » et « corner boys » (Whyte [7]), entre le pôle sportif (football et arts martiaux), le pôle des ambitions professionnelles, le pôle hip hop, le pôle du « mode de vie by night » (celui du « délire meuf » et des « bon plans ») et le pôle religieux (celui du « délire mosquée » qui oppose le mouvement Tabligh aux salafistes) [8]. Mais c’est au monde des bandes qu’il s’intéresse : parmi les différentes formes de sociabilité juvénile, il le définit comme celui qui forme et anime l’univers délinquant. Il y distingue deux pôles, l’un associé aux violences et aux « petits », l’autre aux prédations et aux « grands ».

Au premier pôle (« les conneries des petits ») est associée une logique agonistique (du défi, du combat), valorisant le courage, l’esprit rebelle, les valeurs de virilité et « un virilisme agressif » (opposant les « taspés » aux « meufs protégées »), dont l’enjeu est la conquête, la défense et l’amélioration d’une « position en vue » individuelle et collective (celle du quartier) dans la hiérarchie des réputations locales (« cités chaudes » et « quartiers de oufs » s’opposent aux « bouffons »). Ces réputations s’acquièrent dans les « bastons » au sein de la bande, avec les bandes des cités voisines ou encore avec la police (« embrouilles avec les chtars ») : autant d’occasions de briller dans la surenchère déviante. Elles supposent un territoire à défendre (un « nationalisme de cage d’escalier »), l’instrumentalisation éventuelle de l’opposition « rebeus »/« renois » ou anciens/nouveaux arrivants [9] et des « casus belli ». Dans les « embrouilles » internes ou externes, il est question de joutes verbales, de « coups de pression », de « dépouilles », de « mettre les autres à l’amende » et de ne pas « se laisser bolosser » par les autres, d’intrusions sur le territoire de la cité adverse ou d’expéditions punitives : pratiques qui obéissent toutes à la grammaire de l’honneur associée à la logique agonistique.

Ces faits d’armes (violences physiques dont ils sont les auteurs et les cibles de prédilection), les pointes de vitesse en moto et les vols de motos, définissent l’essentiel des pratiques délinquantes caractéristiques de ce pôle (i.e. les mêmes, sous-tendues par la même logique, que celles des « blousons noirs » de la fin des années 1950 ou des « loubards » de la fin des années 1970), sur fond de conduites banales et normales – discussions, loisirs, ennui – mais susceptibles d’engendrer nuisances sonores, obstructions du passage dans les espaces collectifs, dégradations plus ou moins graves du mobilier urbain (pratiques aujourd’hui subsumées sous la notion d’« incivilités »). Dans cette compétition honorifique qui oppose les cités entre elles, les médias fonctionnent comme une instance de consécration : « le traitement quotidien des faits divers par Le Parisien (le quotidien le plus lu par les jeunes des cités avec L’Équipe) répond à une sorte de “service public” pour les bandes de jeunes » et bénéficier d’un reportage en prime time sur TF1, explique Marwan Mohammed, c’est entrer « dans la cour des grands ».

À ce pôle agonistique s’oppose celui de la délinquance acquisitive, sous-tendu par une logique économique (celle du « bizness » ou de la « bicrave ») [10]. Défini par des fins économiques, répondant à la nécessité, à la frustration, à des soucis d’ostentation ou de « philanthropie déviante », ce pôle n’est pourtant pas étranger à la logique agonistique dans la mesure, par exemple, où la mise en place et le maintien d’un réseau de revendeurs supposent une emprise territoriale (à fins commerciales) qu’il s’agit de défendre contre les empiétements de la concurrence. « Il y a sûrement une influence symbolique réelle du cinéma américain sur la mafia, note Marwan Mohammed. Les postures corporelles se nourrissent plus ou moins consciemment de la mise en scène des corps véhiculée par les Affranchis ou par l’entourage de Tony Montana dans Scarface ». L’intériorisation du style « bad boy » du « gars en place », du « gars qui pèse » entretient à travers des rituels ostentatoires – « réserver une table en boîte », « prendre plusieurs teillebous », « inviter des meufs » – une illusion de puissance [11].

Distincts, ces deux pôles ne sont pas étanches. Marwan Mohammed met en évidence une hiérarchie indigène des délits : du vol à l’étalage au braquage et au « car-jacking » en passant par le « bizness » sous ses différentes formes. Dans la logique de la surenchère inspirée par « le culte de la performance » (caractéristique du pôle agonistique), le « oufisme » peut rendre compte du passage d’un pôle à l’autre (« la fuite en avant ») : faire un « truc de ouf » est un gage de réputation et de prestige (les leaders incarnent une forme d’excellence spécifique). Par ailleurs, l’impératif de « la débrouille » précédemment évoqué peut faire de l’engagement dans l’économie illégale le choix le moins humiliant et le plus rassurant. Mais, outre que, plus la barre est haute, moins le nombre de postulants est grand, il s’avère que « le truc de ouf » (le passage des coups à l’usage des armes, des drogues douces aux drogues dures) peut s’inverser d’emblème en stigmate : il y a des frontières du « faisable » et de « l’abuse » (de la simple remontrance – « tu vas trop loin, cousin » – à la « course aux tox »), une sorte de jurisprudence locale par rapport aux délits tolérables (du point de vue des risques encourus et de la morale indigène). Mais on peut considérer, à l’inverse, qu’un fossé sépare les deux pôles : si la logique agonistique s’apparente à la culture populaire masculine traditionnelle, la logique économique suppose, en effet, l’intériorisation des valeurs dominantes (celles d’Al Capone décrites par Merton). Cette opposition culturelle est perceptible, par exemple, dans l’opposition entre les conflits pour la gloire et les conflits pour la conquête des marchés : « la bicrave, ça a rongé la confiance ». Reste qu’il existe des opérateurs de conversion d’un pôle à l’autre. Conformément à l’hypothèse écologique de l’école de Chicago (« delinquency area »), l’existence d’un pôle déviant dans le quartier en fait une aire de recrutement et de transmission des « ressources de rue » (ruse, débrouillardise, savoirs défensifs), ouvrant un espace d’opportunités déviantes : ainsi, les « grands » instrumentalisent-ils souvent les « petits » dans des « missions » à risques. Par ailleurs, la prison, en favorisant l’accumulation de capital social dans le monde de la délinquance professionnelle et la transmission des savoir-faire correspondants, et en élargissant ainsi le champ des possibles délinquants, reste, aujourd’hui comme hier, un lieu privilégié de structuration d’une « élite déviante ».

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Pour citer cet article :

Gérard Mauger, « La logique des bandes : entre famille, école et quartier », Métropolitiques, 2 mars 2012. URL : https://metropolitiques.eu/La-logique-des-bandes-entre.html

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