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Débats

Inscrire les trames vertes dans une histoire de l’aménagement

Les trames vertes et bleues sont ici comparées à d’autres formes urbaines plus anciennes.

Les trames vertes sont des « outils d’aménagement du territoire constitués de grands ensemble naturels et de corridors les reliant ou servant d’espace tampon ». Elles sont « complétées par une trame bleue formée des cours d’eau et masses d’eau et des bandes végétalisées généralisées le long de ces cours et masses d’eau » (Grenelle de l’environnement – lettre de mission à Paul Raoult – chantier 11 – 26 décembre 2007). Prévues par la loi « Grenelle 1 » complétée par le projet de loi « Grenelle 2 » portant engagement national pour l’environnement, elles sont destinées avant tout à maintenir et à développer la biodiversité, notamment en milieu urbain, en diminuant la fragmentation entre les habitats de différentes espèces animales et végétales. Elles constituent également de véritables outils d’aménagement.

Ces trames sont souvent saisies par les collectivités comme des éléments susceptibles d’améliorer également l’accessibilité des habitants aux espaces verts, en étant notamment le support de modes de transport dits « doux ». Elles s’appuient parfois sur des chemins existants, dont la gestion est alors modifiée. Elles sont également susceptibles de constituer un paysage ayant un sens pour l’homme et peuvent être le support, à leurs abords, de mutations foncières pouvant inclure des objectifs de densification du bâti, corollaires de la préservation d’espaces ouverts, dans un contexte de développement durable.

La multiplicité des objectifs cachés derrière la notion de trame verte et bleue est sans doute essentielle pour l’acceptabilité de ces projets. Ainsi, une étude menée en 2010 pour la ville de Villepinte par le master « Aménagement, urbanisme et durabilité des territoires » de l’université de Paris-Ouest Nanterre La Défense a montré d’une part la diversité des objectifs de la municipalité, d’autre part les attentes très diverses que les habitants expriment à propos du projet, en cours d’étude, d’une trame verte et bleue dans cette ville de la Seine-Saint-Denis. Les attentes étaient ainsi, selon les personnes interrogées : améliorer l’accessibilité aux espaces verts ; mieux répartir la fréquentation de ces espaces (certains étant actuellement sous fréquentés, d’autres saturés) ; préserver des espaces non bâtis existants ; produire du logement aux abords de la trame ; bénéficier à cette occasion de formations au jardinage ; maintenir des zones tampon entre habitat et parc des expositions ; développer des aires de jeux pour les enfants… Les inquiétudes étaient principalement liées à l’intensification de la circulation de personnes et d’animaux près des habitations.

Au-delà de l’acceptabilité des projets, les trames vertes et bleues impliquent la contribution de tous. En effet, les corridors écologiques ne sont pas de simples « coulées vertes » dont la maîtrise pourrait être entièrement publique. Sur la partie publique de ces trames, la gestion différenciée, impliquant notamment des fauches moins fréquentes et le maintien en place des feuilles mortes pour un compostage « naturel » n’est pas toujours bien comprise : elle doit donc être pensée en concertation avec les habitants. Aux abords de ces espaces publics, les actions des propriétaires et locataires sont importantes : les jardins des pavillonnaires ou l’assise des grands ensembles et autres équipements sont autant d’éléments constitutifs de corridors en « pas japonais » susceptibles de faciliter ou au contraire d’interdire le cheminement de certaines espèces (graines et insectes notamment). Dans ce contexte, l’entretien de ces espaces privés (types d’espèces plantées, usage ou non de pesticides, etc.) est essentiel pour le fonctionnement de l’ensemble de la trame. Les clôtures sont également importantes et peuvent ou non contribuer à l’objectif de biodiversité. Elles sont aussi parties prenantes de la constitution d’un paysage ouvrant le regard sur des espaces plantés dont certains sont privés, au-delà du cheminement principal dessiné pour les animaux et pour les promeneurs.

Des références issues de l’histoire de l’urbanisme et de l’aménagement

Les parkways sont sans doute la première référence qui vient à l’esprit lorsque l’on parle de trame verte. Ces projets, dessinés par F.L. Olmsted et C. Vaux au cours du XIXe siècle pour plusieurs villes américaines, ne se préoccupaient certes pas du cheminement des espèces animales ou végétales. Ils n’en constituaient pas moins de grands tracés paysagers pensés à plusieurs échelles. Reliant entre eux des parcs urbains (et, dans certains cas, comme à Buffalo, New York, des espaces aquatiques – la trame en devient bleue…), ils constituaient à la fois les éléments d’un réseau de desserte intra-urbaine et des lieux de promenade et de loisirs sportifs bien répartis dans la ville et largement plantés, destinés notamment, d’après Olmsted, à la rencontre entre classes sociales, religions, générations différentes. Aujourd’hui ces parkways constituent de précieuses ressources éco-systémiques.

Le cas de la Cité linéaire réalisée par Soria i Mata dans la périphérie de Madrid, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, est également riche d’enseignements. Pour monter son projet, Soria i Mata commence par créer une compagnie de tramway. Son projet de densification urbaine autour d’une infrastructure de transport est ainsi financé sur fonds privés et, chaque année, une « fête de l’arbre » est l’occasion pour tous les habitants de planter dans ce site relativement aride de nombreux éléments végétaux. Le projet aujourd’hui ne ressemble guère aux desseins initiaux de Soria i Mata, mais les espaces publics plantés y sont de grande qualité, en raison de la contribution de chacun à ce projet collectif.

Les percées haussmanniennes sont également une référence pertinente pour réfléchir aux enjeux des trames vertes. Comme les trames vertes, les percées ont des objectifs multiples : assainir, relier, valoriser le foncier, rendre les centres attractifs. Elles reposent également sur une articulation très précise entre planification publique (dessin de la voirie et remembrement parcellaire) et investissement privé (sur les parcelles riveraines, mais aussi pour l’installation de certains réseaux). Comme l’a montré Michaël Darin (2009), les actions individuelles ou collectives des propriétaires fonciers ont, dans de nombreux cas, contribué à modifier substantiellement l’aspect des percées. Serait-il alors possible de parler, pour cette époque, de production collective de l’espace urbain ?

Relire ces projets anciens à partir de la nouvelle référence que constituent les trames vertes et bleues permet de les réinterroger autrement. En retour, ils alimentent le questionnement sur ces trames. Ainsi, pour les percées parisiennes, l’administration municipale s’est-elle dotée (décret de 1852 complétant la loi sur l’expropriation de 1841) d’un outil juridique nouveau et très efficace : l’expropriation. Auparavant n’existait en effet que l’alignement, outil de portée limitée, qui ne permettait qu’un urbanisme de petits pas et interdisait le remembrement en bordure des voies. C’est pourtant sur le remembrement que repose non seulement la création d’un paysage urbain mais aussi les plus-values destinées à financer la partie publique des projets.

Pour réaliser aujourd’hui des trames vertes, peu d’outils juridiques existent. Quelques zones de préemption peuvent être envisagées ; dans certains cas le classement en espaces naturels sensibles ou autres peut aider au portage foncier ; des principes de perméabilité des clôtures et de mise en forme des espaces plantés peuvent être définis aux l’articles 11 et 13 des PLU. Mais dans l’ensemble, l’essentiel doit se faire par le biais de chartes et de conventions de gestion. Doit-on en repasser par l’expropriation ? Ou bien faut-il, au contraire, considérer que l’expropriation n’a été qu’un élément du jeu complexe entre planification et propriétaires qui a finalement produit des percées hybrides ? Dans ce cas la transposition aux projets de trames vertes inciterait à penser ces dernières comme des éléments devant être entièrement coproduits, de l’amont à la gestion en passant par la mise en œuvre.

Bibliographie

  • Darin, Michaël. 2009. La comédie urbaine, Gollion : Infolio.
  • Sander, Agnès, « Development in the 19th Century : between Planning Procedures and Local Action » in Pflieger, G., Pattaroni, L., Jemelin, C., Kaufmann, V. (eds.) 2008. The Social Fabric of the Networked City. New York/Lausanne : Routledge/EPFL Press.

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Pour citer cet article :

Élodie Bourguiba & Nathalie Dubuc & Clémentine Mosdale & Agnès Sander (†) & Jessica Soares de Pinho, « Inscrire les trames vertes dans une histoire de l’aménagement », Métropolitiques, 25 novembre 2010. URL : https://metropolitiques.eu/Inscrire-les-trames-vertes-dans-une-histoire-de-l-amenagement.html

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