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Georges Horan-Koiransky (1894‑1986) : le camp de Drancy, dessiner et écrire pour ne pas oublier

La trajectoire de Georges Horan-Koiransky, né à Saint-Pétersbourg et interné à Drancy entre 1942 et 1943, est un vibrant témoignage de la persécution et de la destruction des Juifs d’Europe. Ses dessins et son journal illustrent une page sombre de l’histoire de France et l’un de ses lieux de mémoire : le camp de Drancy.
Recensé : Georges Horan-Koiransky, Journal d’un interné. Drancy 1942‑1943, Grane, Créaphis, 2017, 306 p., et Le Camp de Drancy, seuil de l’enfer juif. Dessins et estampes, 1942‑1947, Grane/Paris, Créaphis/Ministère des Armées, 2017, 165 p.

On ne peut que saluer l’initiative des éditions Créaphis d’avoir publié ces deux ouvrages de Georges Horan-Koiransky. Les 56 dessins et estampes composant Le Camp de Drancy, seuil de l’enfer juif sont en fait une réédition d’un ouvrage de 1947, publié à compte d’auteur en 620 exemplaires, encore vibrant de l’horreur vécue. Il s’agit, cependant, ici d’une version largement enrichie : outre un appareil et une analyse critiques, elle comporte des documents inédits montrant comment l’artiste a composé son récit et choisi les planches. Pour le journal, l’affaire a été plus délicate : rédigé en mars–avril 1943, juste après la libération de Horan-Koiransky du camp, il éclaire le recueil d’estampes en mettant des mots sur les dessins. Cependant, contrairement à ce dernier, le journal n’était pas destiné à une publication immédiate. C’est bien après la mort de Koiransky en 1986, au moment de celle de son fils unique Alain en 2014, que la famille a retrouvé, outre trois cahiers de lithographies, 200 pages d’écrits composant le journal. D’après l’éditeur, il en existerait deux versions, mais seule une partie des héritiers a accepté de donner la sienne pour la publication, empêchant une comparaison dont les critiques et les historiens auraient pu faire leur miel.

De Saint-Pétersbourg au camp de la cité de la Muette de Drancy

Dans sa soigneuse et éclairante introduction, avec en particulier une histoire des bâtiments de la cité de la Muette, l’historien Benoît Pouvreau rappelle que, « pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’internement et de la déportation, et plus particulièrement au camp de Drancy, Georges Horan n’est pas inconnu ». Néanmoins, ces deux publications devraient non seulement lui apporter un supplément de renommée, mais aussi nourrir la réflexion sur l’identité juive ‒ la judéité ‒ au temps du nazisme et de la guerre, ainsi que sur la place dans la société des « juifs non juifs », selon d’expression de l’historien britannique Isaac Deutscher.

Georges Horan était en effet né Georges Koiransky, à Saint-Pétersbourg en 1894, dans une famille juive laïque. Après que le père fut venu s’installer à Paris en 1900, la mère et ses six enfants le rejoignirent, sans que le couple reprenne la vie commune. Élevés par leur seule mère, les frères et sœurs s’intégrèrent dans leur pays d’adoption, notamment grâce à leur parcours scolaire. Signe de cette intégration, outre son engagement dans la légion étrangère pendant la Grande Guerre, Georges, éloigné de la tradition juive désapprouvant les mariages mixtes, épousa en 1926 Hélène Lejeune, une « aryenne » aux yeux de la future législation nazie. Naturalisé en 1925, Georges devint dessinateur industriel tout en suivant des cours du soir aux Beaux-Arts et en ouvrant, pour compléter ses ressources, un cabinet de courtage en assurances. Mobilisé en 1939, il rejoignit l’armée de l’air. Après l’armistice, sa démobilisation et diverses tribulations, il se réinstalla avec Hélène et leur fils Alain à Boulogne-Billancourt au cours de l’été. C’est là que, dénoncé comme Juif par des voisins, il fut arrêté le 11 juillet 1942 et interné à Drancy, où il commença immédiatement à dessiner les scènes déchirantes qu’il avait sous les yeux et à tenir un journal. Il y décrivait la vie dans le camp, les trafics, la maltraitance, le désespoir, les essais d’organisation des internés, la solidarité parfois, l’impuissance, toujours.

Les estampes et l’écriture pour témoigner

Après un détour par Pithiviers et Beaune-la-Rolande, il revint à Drancy le 27 septembre 1942. Or, depuis son arrestation, il contestait vigoureusement sa désignation de Juif, lui qui, selon son journal, n’était jamais entré dans une synagogue, ne parlait ni le yiddish, ni l’hébreu et se considérait comme un Français à part entière. Le 13 août 1942, il notait avec un humour grinçant : « jamais on n’aurait pensé qu’il existât une telle variété de Français : d’origine, optants [Alsaciens ayant opté pour la France après la guerre de 1870], naturalisés avant 1927, après 1927, protégés, etc., demi-juifs, fraction de juifs, enjuivés, baptisés avant le 25 juin 1940, conjoints d’aryennes ou conjointes d’aryens, avec enfants, anciens combattants, décorés, etc. ». Se classant dans la catégorie des « conjoints d’aryennes », il était en principe non déportable ; encore fallait-il prouver cette qualification.

Son épouse, tout en réussissant malgré les difficultés à lui faire parvenir le papier, les crayons et l’encre nécessaires à ses dessins, finit par obtenir pour lui un certificat de « non-appartenance à la race juive ». Déclaré non-juif en janvier 1943, libéré du camp en mars, il commença aussitôt à mettre en forme les notes qu’il avait prises au jour le jour pendant son incarcération, tout en soulignant dès la première phrase : « j’écris ceci pour moi. Pour me libérer d’une obsession » ‒ celle des souffrances endurées, celle du rescapé ? Parallèlement à cette écriture cathartique, il se mit à ordonner ses dessins, « créés sur le vif, mais recomposés et assemblés a posteriori pour former un récit » en vue de les publier, comme témoignage du seuil de l’enfer juif. Revendiquant l’héritage de Jacques Callot, Goya et Picasso, pratiquant comme eux la technique de l’eau-forte pour dénoncer les horreurs de la guerre, il y ajoute la compassion et l’incompréhension pour le sort réservé aux Juifs arrêtés. Il ne devient plus, dit-il, « qu’un observateur, un œil enregistreur. Je transcrirai tout ce que je verrai. Nous dresserons le réquisitoire de cette inhumanité monstrueuse, de cette honte ineffaçable ».

L’œuvre de Koiransky, « témoignage contre l’oubli », dédié à la mémoire des Juifs déportés et exterminés en Allemagne, prend place dans l’abondante littérature de témoignages sur la destruction des Juifs d’Europe. Mots et dessins d’une honte ineffaçable, d’autant plus salutaires qu’elle est en permanence menacée d’être niée.

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Pour citer cet article :

Danièle Voldman, « Georges Horan-Koiransky (1894‑1986) : le camp de Drancy, dessiner et écrire pour ne pas oublier », Métropolitiques, 29 mars 2018. URL : https://metropolitiques.eu/Georges-Horan-Koiransky-1894-1986-le-camp-de-Drancy-dessiner-et-ecrire-pour-ne.html

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