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DAL et Jeudi noir : deux usages du squat dans la lutte contre le mal-logement

Si les squats sont un expédient pour se loger, ils sont aussi un instrument de mobilisation contre le mal-logement. Décrivant les différents usages de ce mode d’action au DAL et à Jeudi noir, Thomas Aguilera montre comment le squat peut servir à interpeller les médias et les politiques, en particulier en période électorale.

Dimanche 8 avril 2012, exactement deux semaines avant le premier tour des élections présidentielles, Jeudi noir et Droit au logement (DAL) occupent la clinique, désaffectée depuis trois ans, du 17 rue Duhesme dans le 18e arrondissement de Paris, au pied de la butte Montmartre. Les militants ne sont pas seuls ce dimanche. Avec eux, 25 personnes, dont quatre familles et six enfants, qui vivaient dans des logements très précaires ou dans des foyers. Malgré les nombreux soutiens de riverains et de personnalités politiques locales et nationales, les squatteurs sont expulsés dans la journée. Derrière cette action médiatique, en pleine période de campagne électorale, se cachent des logiques plus profondes. La France souffre d’un sévère problème de logement. Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre chiffre à 685 116 le nombre de personnes n’ayant pas accès à un logement personnel. Parmi eux, 133 000 sont sans domicile fixe et vivent dans nos rues. On estime encore que 3,6 millions de personnes sont mal logées (Fondation Abbé Pierre 2012). Paradoxalement, 120 000 logements sont vacants à Paris, soit 9 % du parc total [1].

Face à cette situation préoccupante du mal-logement, des collectifs militent, notamment en occupant illégalement des lieux pour loger des ménages précaires, mais aussi pour attirer l’attention des médias et des pouvoirs publics. DAL et Jeudi noir sont deux exemples marquants dans ce domaine. S’ils collaborent souvent, leurs modes d’action sont différents. Ainsi, DAL squatte pour reloger des familles précaires et faire pression sur les pouvoirs publics afin d’obtenir des relogements ; Jeudi noir mise sur son impact médiatique en squattant des lieux symboliques. Nous revenons ici sur ces deux formes d’usage du squat [2].

Jeudi noir : la logique médiatique du squat

Le collectif Jeudi noir est né en octobre 2006. Au départ, quelques membres de l’association MACAQ [3] et du collectif Génération précaire [4] décident de créer un groupe dédié aux questions du mal-logement. Le choix est très vite fait de rechercher l’impact médiatique. Il s’agit de « frapper les esprits, de pointer du doigt les pouvoirs publics et leur inaction » (Collectif Jeudi noir 2009) [5]. Ils développent trois principaux modes d’action : la « fausse crémaillère », la « visite d’agences immobilières » et le squat, dont la première expérience fut l’ouverture en 2007 du « ministère de la Crise du logement » [6] dans un immeuble vide de la rue de la Banque (2e arrondissement de Paris), en collaboration avec le DAL. Le squat devient, à partir de ce moment, un mode d’action privilégié pour Jeudi noir, qui en réalise treize autres en cinq ans.

Les squats de Jeudi noir se distinguent des autres types de squats parisiens. Tout d’abord, les militants et habitants disposent, comparativement, de plus de ressources que les autres squatteurs parisiens. Les leaders-militants-fondateurs et principaux animateurs du collectif disposent de ressources financières, d’un capital scolaire élevé, travaillent, sont proches de partis politiques voire même élus (un conseiller régional, un élu local, deux attachés parlementaires). Ils militent et ouvrent des lieux pour des populations plus précaires mais pas en situation de marginalité ou de désaffiliation, contrairement à ce qui a été observé chez de nombreux autres squatteurs parisiens (Aguilera 2010) ou marseillais (Bouillon 2009). Jeudi noir occupe généralement de grandes propriétés privées « scandaleusement vides » depuis longtemps (neuf ans en moyenne) [7]. Les bâtiments occupés sont situés symboliquement dans des arrondissements centraux et de l’ouest parisien, alors que les autres types de squats se situent plutôt dans des quartiers plus populaires.

Jeudi noir mobilise les journalistes, qui sont souvent présents sur les lieux avant la police, voire invités à participer à l’occupation. Mais les militants font, avant tout, appel aux élus locaux pour qu’ils prennent parti en leur faveur dans les affaires de squats. Cette logique médiatique permet d’agir sur l’agenda politique, bien au-delà du simple agenda médiatique. Notre enquête auprès de décideurs locaux (élus et directeurs des cabinets du logement, de la culture et de l’urbanisme en mairies centrale et d’arrondissements à Paris) nous a permis d’évaluer l’impact des squats en général et a fortiori ceux de Jeudi noir sur les politiques urbaines locales, notamment du logement (Aguilera 2010). Tout d’abord, par le jeu médiatique local, les militants font pression sur l’administration parisienne pour construire du logement social ou encore inventer de nouveaux dispositifs comme par exemple « Louez solidaire » [8]. De plus, Jeudi noir met en évidence la vacance de bâtiments qui pourraient être transformés en logements sociaux et aide le cabinet du maire-adjoint au logement de la mairie de Paris à les repérer. Pour les élus parisiens, Jeudi noir est devenu un « accélérateur » de politique « face à la lenteur de l’administration » (selon les mots d’un membre de ce même cabinet) pour lancer des projets de construction de logements sociaux ou de rachats de bâtiments vides dans Paris. Ainsi, Jeudi noir contribue à alimenter l’agenda politique municipal sur la question du logement à Paris.

DAL : le squat, instrument de pression pour le relogement des précaires

L’association Droit au logement [9] est née en 1990 par scission d’avec le Comité des mal-logés (CML) [10]. À ses débuts, le DAL refuse d’ouvrir des squats, jugeant ces pratiques trop radicales. Mais en 1993, les militants du DAL ouvrent un squat sur l’avenue René Coty (14e arrondissement de Paris), puis rue du Dragon (6e arrondissement de Paris) en 1994. Ces deux squats, surtout le second, font rentrer le DAL dans la sphère publique, politique et médiatique. Les militants actifs sont peu nombreux et sont organisés autour de la figure de « Babar » (Jean-Baptiste Eyraud). Ils collaborent avec des avocats spécialistes des questions de logement, et leurs ressources sociales et politiques sont importantes. Le DAL est souvent pris à parti par les autres squatteurs parisiens, qui réprouvent leurs méthodes et les accusent « d’instrumentaliser » la pauvreté des familles immigrées, tout en mettant tout en œuvre pour rester « propriétaires » du problème du logement dans l’arène publique.

Le DAL a obtenu trois victoires majeures dans les années 1990 : les familles qui ont squatté sont souvent relogées par l’État ; l’État utilise l’ordonnance de réquisition de 1945 [11] ; le droit au logement est déclaré comme ayant une valeur constitutionnelle. Le squat a donc été un instrument efficace de pression sur les pouvoirs publics pour reloger des personnes sans domicile et pour influencer les politiques de logement. Chaque squat ouvre des fenêtres de négociation avec les autorités publiques, qui aboutissent dans la majorité des cas au relogement des familles concernées, d’Afrique de l’Ouest pour la plupart. Dans les 18e, 19e et 20e arrondissements parisiens, le DAL a ainsi contribué à reloger environ 700 familles grâce à une quinzaine d’ouvertures de squats. En Seine-Saint-Denis, le DAL a ouvert et « défendu » une centaine de squats. L’association a ainsi contribué à reloger près d’un millier de personnes. Après chaque éviction, les militants obtiennent que les familles soient relogées par l’État sur le contingent préfectoral, par les municipalités ou par la SIEMP (Société immobilière d’économie mixte de Paris).

Ainsi, le DAL combine les squats « réels », qui logent des familles tout en publicisant un message politique, et les squats « symboliques », se cantonnant au second objectif (Péchu 2010). Cela lui permet de représenter une force de négociation conséquente face aux acteurs publics, notamment locaux.

Le but des squatteurs de Jeudi noir et DAL est ainsi triple : loger des précaires dans Paris ; rendre visible la question du mal logement par la voie des médias [12] ; faire pression sur les acteurs publics locaux et nationaux pour qu’ils opèrent des relogements immédiats et qu’ils changent les politiques du logement. Jeudi noir et DAL utilisent donc le squat comme un mode de mobilisation. Néanmoins, le squat correspond bien à une « occupation sans droit ni titre ». Il s’agit, alors, d’une action qui outrepasse certaines règles – le droit de propriété – pour en légitimer d’autres – le droit au logement. Cette forme de désobéissance qui consiste à entrer dans l’illégalité pour se loger est le témoin d’une crise structurelle du logement.

Bibliographie

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En savoir plus

  • Cottin-Marx, S. 2008, Jeudi noir ou les « nouveaux militants », mémoire de master, université Paris-8, sous la direction de Michel Vakaloulis.
  • Péchu, C. 2006. « Entre résistance et contestation. La genèse du squat comme mode d’action », in Travaux de science politique de l’université de Lausanne, n° 24, p. 3-51.
  • Péchu, C. 2006. Droit au logement. Genèse et sociologie d’une mobilisation, Paris : Dalloz.

Pour citer cet article :

Thomas Aguilera, « DAL et Jeudi noir : deux usages du squat dans la lutte contre le mal-logement », Métropolitiques, 25 avril 2012. URL : https://metropolitiques.eu/DAL-et-Jeudi-noir-deux-usages-du.html

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