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Débats

Ville désirable ou ville durable : quelle place pour les espaces verts ?

Si les espaces verts sont très recherchés par les citadins, leur seule présence ne suffit pas à rendre la ville désirable et à générer du bien-être. Pour Jean-François Guet, ils doivent pour cela remplir une double fonction, pratique et symbolique, et être accessibles à tous. À l’heure de la ville durable, composer avec la nature en ville partout et pour tous devient une ardente nécessité et passe par une meilleure gestion des parcs et jardins qui composent l’espace public urbain.

De nombreuses publications récentes associent ville durable, nature en ville et ville désirable (ministère de l’Écologie 2011 ; WWF 2010 ; Urbanisme 2011). Elles mettent en évidence la nécessité de construire un nouveau type de relation entre ville et nature en cessant d’opposer l’une à l’autre. Il y a sans doute obligation de répondre aux besoins exprimés de longue date par les citadins d’avoir accès à des espaces tantôt propices à la rencontre et à l’échange (bac à sable, jeu de boule ou de société, pique-niques, etc.), tantôt à la rêverie solitaire (promenade et exercice physique, repos et méditation). Attentif à la diversité des pratiques de ces espaces, Pierre Sansot y a construit son œuvre. Au titre de la prise en compte du risque d’inondation (aires de divagation des cours d’eau), de la lutte contre les émissions de gaz à effets de serre (stockage carbone), du réchauffement climatique (îlots de fraîcheur) ou de la biodiversité (biotopes particuliers), on accentue aujourd’hui une vision fonctionnelle de la nature en ville. C’est oublier sans doute que la nature en ville, qu’elle soit naturelle et sauvage (massifs et cours d’eau) ou cultivée et exploitée (parcs et jardins), est un puissant vecteur d’émotions, le plus souvent agréables. Que la nature apparaisse au premier plan de la représentation des projets urbains ne doit donc rien au hasard.

La nature au premier plan de la ville désirable : quand la nature fait vendre

Ainsi, l’image d’un projet d’opération d’aménagement est portée par des vues d’ensemble qui expriment le parti retenu par l’urbaniste. Habilement dessinées par des spécialistes, ces vues ont un objectif déterminant : séduire ! Il s’agit de séduire les édiles et les membres du jury s’il y a concours ; les acteurs de la ville directement concernés ou non : riverains, promoteurs et constructeurs, habitants et électeurs, et évidemment les futurs acheteurs des produits immobiliers proposés. On sait que les comportements d’achat sont dictés par la sphère des émotions. Objectif séduction : l’îlot, le quartier et la ville doivent impérativement être désirables ! À l’examen des rendus des projets d’éco-quartiers primés dans le cadre de l’appel à projet organisé par le ministère de l’Écologie [1], les vues d’ensemble proposées par les candidats respectent scrupuleusement ce qui ressemble fort à une règle de l’art : au premier plan, des arbres et de la pelouse, parfois une pièce d’eau, et, bien entendu, des gens heureux avec une prime à la figure de la mère épanouie accompagnée de ses jeunes enfants. Au loin, des indications de bâti qui ne permettent pas, même aux professionnels, de lire le parti d’aménagement retenu. La végétation, en masquant le projet et ses imperfections, invite à la rêverie bucolique à la façon d’une toile de Watteau. Supercheries ? Peut-être, mais est-il possible d’échapper aux règles de la publicité dès lors que ce sont des planches et des images qui portent le projet ? Bien hypocrite alors celui qui ironise devant des rendus de projets urbains conçus comme des affiches ! La ville désirable, c’est soleil, verdure et jolies mamans d’abord ! Mais n’est-ce pas oublier que la nature en ville peut aussi donner ou ôter de la valeur à des biens immobiliers et fonciers ?

Quand la nature ne suffit pas à rendre la ville désirable, l’exemple des grands ensembles

Le « grand ensemble » apparaît aujourd’hui comme un archétype de la ville repoussante. C’est loin d’être le seul et on peut ajouter les quartiers anciens dégradés ou les quartiers en mutation des proches banlieues. En France, on a perdu de vue que le concept de « grand ensemble » s’opposait alors violemment à celui, plus ancien, de « cité-jardin ». La contestation par Le Corbusier du concept d’Howard est pour partie l’expression de l’opposition féroce entre progressistes et réactionnaires, entre espaces verts et jardins familiaux. Dès lors, à densité équivalente, le parti de la « cité radieuse » est le négatif de celui d’une cité-jardin : un immeuble d’habitat collectif posé sur ses pilotis, au milieu d’un parc public, son « écrin de verdure ».

Ce concept sera décliné sous bien des formes dans les projets de grands ensembles, dont il faut souligner que la densité restera faible et comparable à celle d’un lotissement, laissant aux espaces verts la moitié au moins des surfaces. Dans tous ces projets, le bâti est organisé autour de l’espace vert traité à l’anglaise – pelouses, massifs et boisements composés de telle sorte qu’ils semblent avoir pré-existé à l’urbanisme, à l’état naturel donc. L’espace vert pouvait être fragmenté, comme les Grandes Terres de Lods et Honegger, à Marly-le-Roi, ou d’un seul tenant comme pour les Courtillières d’Aillaud à Pantin (Pouvreau 2011). Le parti de « la ville dans la nature – la nature dans la ville » du quartier du Lac à Bordeaux proposé par Arsène-Henry a été rendu à l’encre verte !

Cependant, dans la réalité quotidienne de ces quartiers, l’espace vert, c’est ce qui reste après le bâti et les voiries : un immense délaissé, mal délimité, qui coûte toujours trop cher à entretenir. Tellement délaissé que la nature y a repris ses droits au bénéfice de la biodiversité. On ne s’étonnera guère que ces espaces verts n’aient jamais conféré une image positive à ces quartiers. L’abondance d’espaces verts ne suffit donc pas à rendre la ville désirable.

La nature, un déterminant de l’approche hédoniste de la ville désirable

Au sens littéral, la ville désirable renvoie à une vision hédoniste du fait urbain. Il n’est pas avéré que cette philosophie fondée sur la recherche du plaisir individuel immédiat soit compatible avec celle du développement durable, qui repose sur la satisfaction des besoins des générations futures. Cependant, l’hédonisme est désormais un facteur déterminant des prix de l’immobilier, le seul à expliquer les différences entre quartiers, îlots et immeubles et, au sein d’un même immeuble, les différences entre appartements identiques. Ceci est cohérent avec la vieille règle des 3 S : ce qui compte dans le choix d’un logement, c’est la situation, la situation et la situation : 1) la situation dans la ville ou l’agglomération, 2) la situation dans le quartier, 3) la situation dans l’îlot ou l’immeuble.

À cet égard, le périurbain, entre ville compacte et espace rural, offre une situation d’autant plus enviable que sa relation aux emplois, aux équipements (santé, éducation), aux services et aux commerces est facilitée ; d’autant plus désirable que le foncier constructible y est abondant et abordable. Dans ce contexte, la vue préservée sur un site naturel, la proximité d’un parc ou d’un jardin public, un jardin privatif, un mail d’arbres, voire un sujet remarquable sont des valeurs objectives. On considère alors les espaces verts comme des aménités urbaines qui doivent être conçues et exploitées pour répondre à la demande des habitants et des visiteurs : promenade et contemplation, pratiques de jeux ou de sports, aires de pique-nique ou guinguettes. Mieux les espaces verts sont composés et dessinés, mieux ils sont organisés, exploités et entretenus, plus ils influent à la hausse sur les prix. Hélas, au-delà d’un certain niveau de prix, la ville désirable ne devient accessible qu’à la classe sociale supérieure. Si la ville désirable doit tout à sa situation, la ville durable devrait offrir une situation désirable à chacun de ses habitants.

Composer avec la nature en ville, une « ardente obligation »

L’argumentaire sur « l’ardente obligation » de composer avec la nature en ville n’est plus à faire et, au plan général, il fait largement consensus nonobstant quelques désaccords ponctuels et locaux sur l’opportunité d’urbaniser des sites encore vierges de tout aménagement ou de rendre à l’état de nature une friche industrielle ou militaire. Cependant, on ne saurait assez insister sur la nécessité d’avoir une approche programmatique de la conception et de l’exploitation des espaces qui lui sont dédiés, tant à l’échelle de l’aire urbaine et des bassins versants des cours d’eau qui la traversent qu’à l’échelle du quartier voire de l’îlot. Cette approche doit se fonder sur les attentes des résidents et des visiteurs au regard de leurs pratiques. Elle doit être confrontée aux politiques sectorielles connexes : espace public (infrastructures de transport, stationnement), habitat et politique de la ville (gestion urbaine de proximité, sécurité), activités économiques (dont loisirs et tourisme), santé publique (parcours de santé, pratique de la marche). Il n’y aurait rien de pire que de continuer à s’en tenir au concept d’espace vert ornemental qui, faute d’entretien et de valeur d’usage, tourne d’autant plus vite au « délaissé », ajoutant ainsi à la déqualification de l’espace urbain adjacent et au mépris implicite de leurs résidents.

Les cartes des niveaux de « bien-être » en Île-de-France de Lise Bourdeau-Lepage et Élisabeth Tovar (2011) montrent qu’il ne suffit pas, loin s’en faut, de résider à proximité d’un espace naturel remarquable pour ressentir un « bien-être » durable. Même si on ne peut que saluer le travail remarquable de l’équipe des parcs départementaux de la Seine-Saint-Denis, c’est dans ce département que se concentre le développement du « mal-être ». Ainsi, le parc départemental de la Courneuve, avec ses 415 hectares particulièrement soignés, peine à tirer l’image d’une commune marquée par la construction de la cité des 4000, dont « l’espace déshumanisé » angoissait déjà en 1961 le paysagiste de l’opération, Jacques Sgard. De même à Clichy-sous-Bois, les 110 hectares de boisements de la forêt départementale de Bondy, le parc départemental de la Fosse-Maussoin, le parc de Bellevue et la pelouse au centre ville, ou encore la coulée verte de l’aqueduc de la Dhuys, n’apportent pas de sentiment de « bien-être » aux habitants, pour partie relégués dans des cités aux espaces verts aussi abondants qu’inutiles. On peut alors s’étonner que le Projet de rénovation urbaine dans cette commune (ANRU 2009) n’aborde pas le sujet et se focalise principalement sur le logement et le bâti.

Détournant la célèbre formule d’Adolf Loos, il est clair que considérer la nature en ville uniquement comme un ornement est une faute, sinon un crime. Organiser la ville ou les quartiers autour de ses cours et plans d’eau, de ses parcs et jardins d’agrément ne suffit pas à les rendre désirables. En somme, prendre en compte les usages des habitants en composant avec la nature en ville est sans doute la première étape d’une démarche vertueuse qui conduit à la création de valeur par la sensation, confortée ou retrouvée, de « bien-être » collectif et individuel. N’est-ce pas la perception du « bien-être » de ses habitants qui rend une ville si désirable pour des visiteurs ?

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En savoir plus

  • Agence nationale de rénovation urbaine. 2009. Projet de rénovation urbaine de Clichy-sous-Bois/Montfermeil. Consulté le 9 septembre 2011. URL : http://www.anru.fr/IMG/pdf/Clichy.pdf.
  • Bourdeau-Lepage, Lise et Tovar, Élisabeth. 2011. « Bien-être en Île-de-France : derrière une hausse générale, des disparités territoriales croissantes », Métropolitiques, 2 mai 2011. Consulté le 9 septembre 2011. URL : http://www.metropolitiques.eu/Bien-etre-en-Ile-de-France.html.
  • Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques. 2010. Composer avec la nature en ville.
  • Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques. 2009. La recherche de la qualité environnementale et urbaine.
  • Conseil général de Seine-Saint-Denis. Parc93info. Consulté le 9 septembre 2011. URL : http://www.parcs93.info/index.php?rid=307.
  • Ministère de l’Écologie. 2011. Le MAG, avril.
  • Pouvreau, Benoît. 2011. « Faut-il « patrimonialiser » les grands ensembles ? », Métropolitiques, 28 mars 2011. Consulté le 9 septembre 2011. URL : http://www.metropolitiques.eu/Faut-il-patrimonialiser-les-grands.html.
  • Sgard, Jacques. 1961. Extraits d’entretien, Les Réenchantements de la Courneuve. Consulté le 9 septembre 2011. URL : http://www.laa-courneuve.net/print1961.html.
  • Urbanisme. 2011. « Penser et faire la ville durable », n° 377 (issu du colloque du 20-21 janvier 2011).
  • WWF. 2010. Urbanisme, pour une ville désirable.

Pour citer cet article :

Jean-François Guet, « Ville désirable ou ville durable : quelle place pour les espaces verts ? », Métropolitiques, 14 septembre 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Ville-desirable-ou-ville-durable.html

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