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Débats
Dossier : Les nouvelles politiques du logement

Vertus et vices du développement de l’accession à la propriété

Pourquoi faudrait-il absolument devenir propriétaire ? Jean-Claude Driant expose les arguments pour et contre les politiques de soutien à l’accession à la propriété et se demande si le gouvernement actuel n’a pas abandonné la prudence qui avait jusqu’ici guidé l’action de l’État dans le domaine du logement social.


Dossier : Les nouvelles politiques du logement


Avec une grande constance depuis les années 1970, les gouvernements successifs ont fait du développement de la propriété un axe majeur des politiques du logement. La « France de propriétaires », slogan de Valéry Giscard d’Estaing lors de la campagne électorale de 1974, constitue un leitmotiv jamais renié depuis, même si les majorités de gauche y ont apporté quelques nuances. L’objectif de « 70 % de propriétaires » constitue, à ce jour, la seule priorité clairement énoncée de la politique du logement menée sous la présidence de Nicolas Sarkozy ; c’est aussi le seul volet de cette politique qui semble préservé en temps de rigueur budgétaire.

Où en est-on aujourd’hui de cette feuille de route ? Quels sont les objectifs poursuivis et les pièges qu’ils masquent ? La relance des politiques de l’accession à la propriété, annoncée à la fin de l’année 2010, n’amorce-t-elle pas un tournant et le renoncement à la prudence qui avait caractérisé l’action publique en la matière depuis trente ans ?

État des lieux

Le développement de la propriété est l’une des évolutions les plus importantes en matière de logement depuis l’après-guerre. 35 % des ménages possédaient leur résidence principale en 1954 ; ils étaient 45 % en 1970 ; ils sont plus de 57 % aujourd’hui, dont 38 % sont libres de toute charge de remboursement. Si on y ajoute les locataires qui possèdent une résidence secondaire, voire un logement qu’ils mettent en location, on atteint un taux global de 63 % de ménages propriétaires d’un logement.

La part des propriétaires situe la France dans une position proche de la médiane des pays européens, se différenciant des pays du Sud, auxquels il faut ajouter l’Irlande et le Royaume-Uni, où la propriété est plus développée (jusqu’à 82 % de propriétaires en Espagne, par exemple) et de ceux du Nord où la part des locataires est plus élevée qu’en France (Suède, Allemagne, Danemark, Pays-Bas).

L’accession à la propriété peut être considérée comme une étape du cycle de vie ; lorsqu’elle intervient, elle marque le moment où le ménage est supposé avoir atteint une certaine stabilité familiale et financière qui lui permet de s’engager dans un projet de longue durée et un endettement lourd. Il y a donc un lien fort avec l’âge et la composition familiale. Le taux de propriétaires n’est que de 13 % avant 30 ans et il dépasse les 72 % à partir de 60 ans ; 67 % des ménages propriétaires sont des couples [1] et la moitié ont des enfants.

Notons enfin la relation très forte qui unit, en France, la propriété du logement à la maison individuelle. En effet, 80 % des propriétaires vivent en maison individuelle et 80 % des maisons individuelles sont occupées par un propriétaire.

Arguments

Tous les sondages d’opinion montrent que la grande majorité des ménages français aspire à être propriétaire de son logement [2]. Cet argument ne suffit cependant pas à expliquer la constance des politiques à aller dans le même sens. De fait, la justification de l’incitation à la propriété mobilise des registres très divers que l’on peut synthétiser en quatre rubriques.

La première renvoie aux situations individuelles à partir de l’idée selon laquelle la propriété répond à des attentes de sécurité du statut résidentiel, de stabilité, d’accumulation patrimoniale et de solidarité intergénérationnelle. La propriété serait « l’aboutissement d’un parcours résidentiel réussi » [3]. Les inquiétudes sur l’avenir des retraites renforcent cette aspiration et justifient que la grande majorité des français souhaite atteindre le statut de propriétaire au plus tard au moment du passage à la retraite. De fait, en 2006, le taux de propriétaires occupants parmi les ménages de 60 ans et plus approche des trois quarts. Est-ce à dire que l’essentiel de l’objectif est atteint ?

La deuxième rubrique renvoie au registre de la responsabilisation des ménages selon lequel, pour reprendre à nouveau les propos du Président de la République en décembre 2007, « la propriété, c’est la garantie d’un bon entretien des parties communes d’un immeuble. C’est la garantie du civisme, des relations de voisinage pacifiées, d’occupants responsabilisés. C’est même la garantie d’une réelle mixité ». Bref, le développement de la propriété serait un gage de fonctionnement urbain harmonieux et de qualité d’un parc immobilier, mieux entretenu que par des propriétaires bailleurs et des locataires qui seraient déresponsabilisés vis-à-vis du logement qu’ils habitent. On trouve là un des arguments centraux pour le développement de la vente des logements HLM à leurs occupants.

Le registre macroéconomique est, pour sa part, construit sur l’idée qu’un propriétaire, plus autonome, coûte moins à la collectivité et consacre plus de dépenses à la consommation une fois que ses dettes sont remboursées.

Enfin, les promoteurs de politiques d’appui à la primo-accession soulignent le rôle qu’elles jouent dans les mécanismes du marché du logement en libérant les logements locatifs, notamment sociaux, nécessaires à l’accueil des personnes les plus modestes, ce qui revient à énoncer une sorte de partage des rôles entre les statuts, fondé sur leur complémentarité dans les parcours résidentiels [4].

Contre-arguments

Face à cette argumentation, les voix plus critiques soulignent les risques que peut faire courir un développement inconsidéré de la propriété notamment chez les ménages à revenus bas, moyens ou précaires. On peut résumer leur propos sous la forme d’inquiétudes relevant, là encore, de registres différents.

La première est liée au risque de surendettement qui renvoie aux difficultés rencontrées au cours des années 1980 par certains bénéficiaires du PAP [5], et aux expériences de pays où des politiques mal contrôlées ou des pratiques d’établissements financiers ont conduit de nombreux ménages dans des situations intenables. L’exemple des subprimes américains fait ici office de répulsif, sans doute durable (Vorms 2008).

La deuxième inquiétude, complémentaire de la précédente, résulte du développement depuis les années 1990 de la problématique des copropriétés en difficulté, par laquelle a été rappelée l’évidence selon laquelle le statut de propriétaire ne libère pas des dépenses de maintenance des immeubles, ni de consommation d’eau et d’énergie et que, dans la copropriété, ces dépenses relèvent d’une responsabilité collective. Dès lors, la pauvreté ou l’instabilité des revenus aggrave les risques de dégradation des immeubles, bien plus que lorsqu’un propriétaire-bailleur efficace se charge, pour son propre compte, du maintien de la valeur de son patrimoine.

Dans un registre différent, on peut souligner les contradictions qui apparaissent entre le développement d’une accession à la propriété assise sur un endettement lourd et long (la durée moyenne des prêts dépasse aujourd’hui les 20 ans) et certaines des évolutions de la société qui poussent à l’accroissement de la mobilité résidentielle à tous les âges de la vie : les ruptures familiales et les pertes d’emploi sont souvent des moments à l’occasion desquels la propriété peut constituer un obstacle à l’adaptation qui incite à la prudence (voir les analyses de l’ANIL par Bosvieux, 2008).

La quatrième inquiétude, corollaire du développement de la propriété en maison individuelle, met en avant la relation entre le niveau des revenus des accédants et celui des prix des terrains à bâtir, souvent inversement proportionnels aux kilomètres d’éloignement des centres urbains. L’étalement urbain qui en résulte fait croître à la fois les dépenses des ménages en matière de déplacement et les émissions de gaz à effet de serre nuisibles pour l’environnement.

Enfin, parallèlement aux effets vertueux liés à la libération des logements locatifs, les observateurs du parc social soulignent les conséquences des grandes vagues de primo-accession (principalement le début des années 1980 et la fin des années 1990) sur la composition sociale des ensembles HLM. Ce sont les quartiers les moins attractifs qui connaissent les plus forts mouvements de départ, lesquels se traduisent par une paupérisation accrue, renforçant ainsi les tendances ségrégatives.

Prudence ?

Le débat entre ces arguments et contre-arguments a dessiné les contours des politiques françaises de développement de l’accession à la propriété qui, jusqu’à la fin des années 2000, étaient caractérisées par une grande prudence, évitant une diffusion vers les ménages les plus fragiles et persistant à promouvoir, en parallèle, l’accroissement d’une offre locative sociale.

Faut-il désormais parler de cette prudence au passé ? Plusieurs signes récents suscitent l’inquiétude. D’abord les incertitudes continuent de peser sur la pérennité de l’engagement financier de l’État pour le financement de la construction de logements sociaux. Dans l’attente d’annonces plus précises pour le budget 2011, il est d’ores et déjà acquis que l’État abaissera fortement ses apports dans les secteurs géographiques où la tension du marché est moindre et qu’il cherchera à puiser dans des ressources nouvelles pour maintenir un effort dont la stabilité ne sera qu’apparente. C’est par exemple le cas du prélèvement annoncé sur les fonds propres des organismes d’HLM (340 millions d’euros en 2011) qui consiste à remplacer, pour financer la construction dans les villes à marché tendu, l’effort budgétaire de l’État par une ponction sur le produit des loyers des locataires HLM. Or, on voit bien en quoi la poursuite de l’effort de construction sociale, surtout dans une logique de meilleure répartition des HLM dans l’espace est une condition pour éviter que le développement de l’accession ne renforce les mécanismes ségrégatifs.

Ensuite, l’affichage d’un objectif réitéré par le secrétaire d’État en charge du logement d’une politique d’incitation ciblée sur les « classes moyennes inférieures » dans un contexte d’instabilité économique et sociale est porteur de risques important de surendettement et surtout de résistance à la mobilité.

Enfin, de telles politiques ne sont-elles pas fondamentalement contradictoires avec les intentions issues du Grenelle de l’Environnement qui prônent une ville plus compacte et qui imposent de donner la priorité aux mécanismes de maîtrise collective du foncier plutôt qu’aux aides directes et individuelles offertes à des ménages confrontés directement aux prix du marché ?

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En savoir plus

  • Bosvieux, Jean. 2008. « Les obstacles à la mobilité des propriétaires, Habitat Actualités », décembre, ANIL
  • Driant, Jean-Claude (dir.). 2008. Politiques de l’habitat et crises du logement, Problèmes politiques et sociaux, n° 944, janvier, la Documentation française.
  • Driant, Jean-Claude. 2009. Les politiques du logement en France, Paris : La Documentation française (Les études).
  • Périssol, Pierre-André. 1995. En mal de toit, Paris : L’archipel.
  • Vorms, Bernard. 2008. « Accession à la propriété : la leçon des subprimes », Études foncières, n°131, janvier-février.

Pour citer cet article :

Jean-Claude Driant, « Vertus et vices du développement de l’accession à la propriété », Métropolitiques, 25 novembre 2010. URL : https://metropolitiques.eu/Vertus-et-vices-du-developpement.html

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