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Une double peine : les conditions de logement et de confinement des familles monoparentales

Les familles monoparentales comptent parmi les ménages les plus touchés par la précarité économique et la crise sanitaire. Laure Crepin et Fanny Bugeja-Bloch montrent que la dégradation des conditions de logement de ces familles remonte au début des années 2000, bien avant le confinement.

Fermetures des établissements scolaires et de la plupart des commerces, encouragement au télétravail, chômage partiel (qui touche un salarié du secteur privé sur trois) [1], sorties limitées, déplacements contrôlés, etc., toutes les mesures prises pour faire face à la pandémie du Covid-19 impliquent un repli sur la sphère domestique plus ou moins bien vécu selon les ménages. Quand toutes les activités sociales, y compris le travail et la scolarité des enfants, sont contraintes de se dérouler à domicile, les caractéristiques du logement (taille, présence d’un extérieur, situation, bruit, humidité, manque de chauffage) déterminent en grande partie l’expérience du confinement. Vivre dans un habitat dégradé ou inadapté à la composition familiale apparaît alors d’autant plus insupportable, et met en lumière les inégalités de logement qui frappent la société française (Gilbert 2020).

Si la question des inégalités de condition de logement entre classes sociales et niveaux de vie a été étudiée, témoignant de leur augmentation depuis plusieurs décennies, et ce, en dépit de l’amélioration moyenne de celles-ci, notamment en ce qui concerne la hausse de la taille des logements et baisse du surpeuplement (Jacquot 2006 ; Fack 2009 ; Bugeja-Bloch 2013 ; Laférrère et al. 2017 ; Observatoire des inégalités 2020), celle liée aux inégalités selon la structure familiale a moins été approfondie, malgré des différences de conditions de vie pourtant importantes entre couples et familles monoparentales. Bien qu’étant la cible historique de l’intervention de l’État social (Bonaïti 2011), les familles monoparentales se caractérisent par des conditions de vie particulièrement précaires. Un tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté (Vanderschelden 2014). De surcroît, ces familles, notamment franciliennes, sont nombreuses à habiter des logements suroccupés situés dans les immeubles des centres urbains (Drieux et al. 2016 ; Villaume 2016). Or, cette situation résidentielle peut rendre l’expérience du confinement plus difficile, d’autant plus pour les ménages monoparentaux où le travail domestique ne peut pas être partagé entre conjoints. Partant de la crise sanitaire qui amplifie les inégalités de conditions de logement entre familles mono- et biparentales, le présent article explore ces inégalités et met en évidence leur aggravation à l’œuvre depuis le début du siècle. Les trois vagues de l’enquête nationale Logement (2002, 2006 et 2013) offrent de ce point de vue des informations très précises permettant de comparer les conditions de logement des familles monoparentales et des couples avec enfants en France métropolitaine, et leurs évolutions au cours des années 2000.

Après avoir dressé le profil social des familles monoparentales, nous mettons en évidence la manière dont le confinement est venu aggraver leurs conditions de logement difficiles et une dégradation qui remonte, en réalité, aux années 2000.

Les familles monoparentales : au cœur des classes populaires féminines, précaires et urbaines

Parmi les ménages avec enfants [2], les familles monoparentales sont en constante augmentation (de 17 % des familles avec enfants en 2002 à 22 % en 2013). Cette hausse s’explique principalement par les divorces et les séparations plus fréquents, puisque 79 % des familles monoparentales sont issues d’une séparation, 6 % d’un décès et 15 % de l’absence d’union (Buisson et al. 2015).

Ces familles monoparentales ont un profil particulier, qu’il faut souligner pour comprendre leurs positions sur le marché du logement. En 2013, dans 81 % des cas, c’est une femme qui est à la tête de ce type de foyer. Par rapport aux couples avec enfants, elles sont légèrement plus âgées (43,7 ans contre 42,8 ans) et ont en moyenne moins d’enfants (1,6 contre 1,8). Elles sont moins diplômées et connaissent des difficultés économiques plus importantes et plus fréquentes puisque près d’un tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté (Vanderschelden 2014). Parmi elles, les employées non qualifiées sont surreprésentées [3], notamment les employées de la fonction publique (5 % des personnes à la tête de familles monoparentales), de service direct aux particuliers (11 %), employés administratifs d’entreprise (7 %) et employées de commerce (4,5 %). En raison de leur position subalterne dans la hiérarchie socio-professionnelle, beaucoup continuent à se rendre sur leur lieu de travail malgré le contexte pandémique. Outre le fait qu’elles sont ainsi surexposées au virus, s’ajoute le problème de garde d’enfants pour ces populations (excepté pour les enfants des personnels soignants qui sont accueillis dans certaines écoles).

En termes d’habitat, la fracture entre les familles en couple et les familles monoparentales est sans nuance. Aux couples avec enfants la maison individuelle (71 %), avec son bout de jardin, en accession à la propriété ; aux familles monoparentales, l’habitat en immeuble (57 %), majoritairement en location (sociale ou privée).

Populaires et monoparentales : des conditions de logement doublement dégradées

Puisque les familles monoparentales sont plus populaires que les couples avec enfants, il est intéressant de démêler l’effet classe de l’effet monoparentalité dans leurs conditions de logement. Pour cela, l’enquête Logement permet de comparer les conditions de logement de ces deux types de structures familiales, catégorie sociale par catégorie sociale (populaire, moyenne et supérieure) [4].

Figure 1. Conditions de logement des couples et familles monoparentales selon la classe sociale

Note de lecture : 14 % des couples avec enfant(s) de classes populaires vivent dans un logement sans espace privé extérieur.

Plusieurs données intéressantes ressortent de ces graphiques, qui peuvent être mis en lien avec la situation actuelle. Dans cette période de repli contraint sur la sphère domestique, disposer d’un espace intérieur suffisamment spacieux et d’un accès extérieur privé conditionne largement l’organisation du ménage et les modes de vie. En situation de confinement, l’espace habitable structure en effet les possibilités de travail du ou des parents, les devoirs des enfants et les temps de repos ou de loisirs des uns et des autres. Or, à classe sociale égale, les espaces de vie des familles monoparentales sont plus souvent surpeuplés (au sein des milieux populaires, c’est le cas de 22 % des familles monoparentales contre 11 % des couples avec enfants) et sans extérieur (respectivement 30 % et 14 %), et ce, à tous les échelons de la hiérarchie sociale (la part des logements surpeuplés s’élève, chez les classes supérieures, à 13 % pour les familles monoparentales contre 4 % pour celles en couple). À cela s’ajoutent les problèmes d’humidité (qui touchent le logement de 34 % des familles monoparentales de milieux populaires contre 27 % des familles biparentales de même milieu), de chauffage (respectivement 40 % et 26 %) et les remontées d’odeurs, plus fréquentes dans les logements de ces familles. Outre l’espace dans le logement, la qualité de vie confinée s’apprécie aussi au regard de l’environnement. Et là encore, les familles composées d’un seul adulte souffrent davantage des bruits du voisinage (cette nuisance est déclarée par 32 % de ces familles de classes populaires et 29 % pour celles de classes supérieures contre 24 % et 18 % pour les familles biparentales).

Les effets de la structure familiale se cumulent ainsi aux effets de la classe sociale, si bien que les familles monoparentales de classes supérieures vivent, en proportion, plus souvent dans des logements dont les caractéristiques rendent plus difficiles l’expérience du confinement que les familles biparentales de catégories populaires.

Au final, la situation de monoparentalité au sein des classes populaires constitue un double handicap, accentué par le contexte pandémique : aux revenus faibles (et instables) associés à leur position professionnelle, lesquels sont d’autant plus limités par une monoparentalité qui réduit considérablement les économies d’échelle permises par le couple, s’ajoutent des situations de surpeuplement et des conditions de logement dégradées.

Bien avant le coronavirus

Si les familles monoparentales subissent de manière aiguë le confinement, la dégradation de leurs conditions de logement résulte en réalité d’un processus de plus long terme, lié au contexte d’accroissement des inégalités de logement entre les différentes catégories sociales depuis les années 2000. Nos conditions d’habitat sont dans l’ensemble bien meilleures aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans (Laferrère et al. 2017). Pour autant, cette amélioration moyenne dissimule des inégalités de plus en plus fortes entre les populations. Si les inégalités face aux conditions de logement et à son coût, entre les plus riches et les plus pauvres, sont documentées (Fack 2009 ; Bugeja-Bloch 2013 notamment), il est utile d’appréhender ces inégalités selon la structure des ménages.

Figure 2. Évolution des conditions de logement des couples et des familles monoparentales de classes populaires entre 2002 et 2013

Note de lecture : 33 % des familles monoparentales de classes populaires vivent dans un logement sans espace extérieur en 2002, c’est le cas de 30 % en 2013. Nous n’avons pas pu harmoniser les variables sur le bruit dans le logement entre 2002 et 2013, il n’apparaît donc pas dans ce graphique.

En dix ans, les conditions d’habitat des classes populaires en couple avec enfants se sont globalement améliorées : elles vivent moins que par le passé dans un logement sans extérieur (cette proportion passant de 18 à 14 % de 2002 à 2006) et rencontrent moins fréquemment des problèmes d’humidité (30 à 27 % sur la période), même si ceux liés au froid ont augmenté (14 à 24 %). Mais cette dynamique temporelle positive ne touche pas les familles monoparentales dont les situations s’écartent de plus en plus de celles des couples de classes populaires avec enfants. Outre le surpeuplement (en légère augmentation, il touche 22 % des familles monoparentales populaires), les écarts en matière d’espace disponible traduisent aussi des inégalités entre ces deux types de famille, le nombre de chambre par enfants ayant augmenté moins vite chez les familles monoparentales que chez les couples avec enfants au sein des milieux populaires [5]. En période de confinement, l’incapacité à s’isoler – notamment quand deux enfants partagent leur chambre ou que l’adulte dort sur le canapé du salon – contraint et dégrade terriblement le quotidien.

Sur la question des coûts du logement enfin, il s’avère que l’envolée des prix immobiliers et des loyers (Friggit 2009) se répercute en premier lieu sur les ménages populaires qui connaissent, indépendamment de leur structure familiale, une hausse continue de leur taux d’effort (plus marquée que celle des ménages plus favorisés dont les conditions de logement sont pourtant meilleures) (Fack 2009 ; Bugeja-Bloch 2013).

Finalement, entre 2002 et 2013, au sein des classes populaires, les inégalités de conditions d’habitat entre les familles mono- et biparentales se sont creusées, alors même que les premières dépensent une part non seulement croissante mais également plus conséquente de leur budget pour se loger.

Cette période pandémique rend visible les inégalités de logement qui traversent la société française et participe à dégrader encore davantage les conditions de vie de certaines catégories. Si la situation est pesante et souvent intolérable pour les classes populaires (Bugeja-Bloch et Lambert 2020), elle l’est encore plus pour les familles monoparentales au sein de ces milieux. Plus que les autres, elles auront fait l’épreuve, deux mois durant (au moins), d’un confinement dans des habitats surpeuplés et insalubres (moins bien isolés, plus bruyants, plus insalubres), sans accès à un espace extérieur. Les mères à la tête de familles monoparentales – car ce sont des mères dans 80 % des cas – se retrouvent à endosser tous les rôles : outre leurs activités professionnelles, elles gèrent seules le travail domestique, s’occupent seules des enfants, des soins, des loisirs et de la scolarité [6]. Finalement, les familles monoparentales confinées font l’expérience d’une double peine : nombreuses à occuper des postes d’employées (caissières, aides à la personne, aides-soignantes), qui impliquent leur présence sur le lieu de travail et met ainsi en péril leur santé, elles doivent continuer à accompagner leurs enfants dans toutes leurs activités, et ce, dans des conditions de logement plus précaires.

Ces conclusions soulèvent deux questions. Outre celle des conséquences – sociales, économiques, psychologiques – devant le surplus de difficultés liées au confinement qu’ont vécu et vivent les familles monoparentales, il faut se tourner vers le futur et en tirer quelques leçons. Puisque la dégradation des conditions de logement des familles monoparentales précède le confinement, l’objectif des politiques publiques ne saurait consister en un simple « retour à la normale » pour des ménages dont la situation préalable au confinement était déjà marquée du sceau de la précarité.

Bibliographie

  • Bugeja-Bloch, F. et Lambert, A. 2020. « Le logement, vecteur des inégalités », La Vie des idées [en ligne], 27 avril.
  • Bugeja-Bloch, F. 2013. Logement, la spirale des inégalités. Une nouvelle dimension de la fracture sociale et générationnelle, Paris, PUF-Le Lien social.
  • Buisson, G., Vianney, C. et Daguet, F. 2015. « Depuis combien de temps est-on parent de famille monoparentale ? », INSEE Première, vol. 1539, p. 1‑4.
  • Bonaïti, C. 2011. « Les effets de la politique familiale en faveur des familles monoparentales », Politiques sociales et familiales, vol. 105, p. 96-101.
  • Drieux, S., Martinez, C., Insee Île-de-France, Azaroili, N., Demonchy, V. et DRDFE Île-de-France. 2016. « Familles monoparentales franciliennes : les femmes toujours en première ligne face aux difficultés », Insee Analyses, vol. 29, p. 1‑4.
  • Fack, G. 2009. « L’évolution des inégalités entre ménages face aux dépenses de logement (1988-2006) », Informations sociales, vol. 155, n° 5, p. 70‑79.
  • Friggit, J. 2009. « Le prix des logements sur longue période », Informations sociales, vol. 155, n° 5, p. 26‑33.
  • Gilbert, P. 2020. « Le Covid-19, la guerre et les quartiers populaires », Métropolitiques [en ligne], 16 avril.
  • Jacquot, A. 2006. « Cinquante ans d’évolution des conditions de logement des ménages », Données sociales-La société française, p. 467‑473.
  • Laferrère, A., Pouliquen, E. et Rougerie, C. 2017. Les Conditions de logement en France, Insee.
    Observatoire des inégalités. 2020. « Qui vit dans un logement surpeuplé ? ».
  • Vanderschelden, M. 2014. Les Ruptures familiales. État des lieux et propositions, Haut conseil de la famille.
  • Villaume, S. 2016. « Petites surfaces, surpeuplement, habitat dégradé : des conditions de logement plus difficiles après une séparation », Drees, vol. 947.

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Pour citer cet article :

Laure Crepin & Fanny Bugeja-Bloch, « Une double peine : les conditions de logement et de confinement des familles monoparentales », Métropolitiques, 4 juin 2020. URL : https://metropolitiques.eu/Une-double-peine-les-conditions-de-logement-et-de-confinement-des-familles.html

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