Dossier : Les nouvelles politiques du logement
Quelle est l’ampleur du déficit de logements en France ? En première analyse, s’il manquait vraiment entre 800 000 et un million de logements (chiffres les plus couramment évoqués), les habitants « en ménage » auraient dû se serrer dans les logements existants. En effet, entre 1999 et 2008, la population de France métropolitaine a augmenté de 3,614 millions de personnes tandis que le nombre de personnes « hors-ménages » [1] est passé entre 1999 et 2008 de 1,294 million à 1,469 million, soit une augmentation de moins de 175 000 personnes. S’il manquait effectivement autant de logements, la taille moyenne des ménages aurait donc dû augmenter. Or, selon les recensements, elle a continué de baisser, passant de 2,40 personnes à 2,27 entre 1999 et 2008.
Quel déficit ?
L’idée d’un important déficit national est donc difficile à soutenir. Pourtant, les difficultés de logement sont réelles et justifient pleinement que l’on continue de parler de crise : persistance d’un nombre élevé de personnes mal logées, élévation continue de l’effort financier des ménages, freins à la mobilité résidentielle des familles. Il y a donc bien un problème d’offre qui, s’il n’est pas strictement quantitatif, mérite d’être expliqué.
Dans notre précédente contribution, nous suggérions deux pistes essentielles à cette explication : où manque-t-il des logements ? et surtout : quelles sont les caractéristiques des logements qui manquent ? Précisons les termes de ces questions en les liant l’une à l’autre.
La localisation est évidemment un critère fondamental et chacun sait à quel point il est plus facile de bien se loger dans beaucoup de villes de province qu’en région parisienne, au bord de la Méditerranée ou près de la frontière genevoise. Ces différences sont évidemment liées à une offre plus abondante, face à une demande moins vigoureuse, qui se traduit par des niveaux de prix immobiliers très inférieurs.
Une pénurie de logements accessibles
Un simple regard sur les données mises en ligne par la FNAIM (Fédération nationale de l’immobilier) montre, pour le premier trimestre 2011, des prix moyens à l’achat très différenciés entre Paris à 7 500, voire 8 000 euros par m², les villes attractives de Provence et de la Côte d’Azur autour de 4 000 euros, la plupart des autres grandes villes entre 2 500 et 3 000 euros et le reste du territoire sous la barre des 2 000. Ces disparités territoriales illustrent un fort différentiel d’attractivité et montrent surtout l’importance qu’il faut attacher, là où le marché est cher, à mettre à la disposition des ménages à revenus modestes et moyens une offre à prix réglementés. Or, les agglomérations les plus chères ne sont pas celles où la construction de logements neufs a été la plus active au cours des dernières années : 2,6 logements neufs pour 1 000 habitants par an entre 1998 et 2009 en Île-de-France, 4,3 en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), mais 4,8 en Franche-Comté, 5,7 en Poitou-Charentes et 6,9 en Bretagne !
Encore faudrait-il aussi que ces logements soient financièrement accessibles. Une analyse simple sur la production de logements en Île-de-France entre le milieu des années 1990 et 2007 montre qu’en 1994 les parts respectives des promoteurs immobiliers et des organismes de logement social dans la maîtrise d’ouvrage de logements étaient équivalentes, les deux autour de 40 %. En 2007, un écart considérable s’est creusé, avec une part de marché supérieure à 65 % pour les promoteurs et inférieure à 15 % pour les bailleurs sociaux [2]. Non seulement la production en Île-de-France a été quantitativement faible, mais en plus, elle s’est concentrée sur l’offre privée à prix élevés. Le même type de démonstration peut être fait pour la région PACA.
La nature du déficit s’en trouve clarifiée : il est localisé et caractérisé en termes d’accessibilité financière.
Un manque de planchers plus qu’un manque de terrains
Cette situation doit beaucoup à la question foncière qui, elle aussi, mérite d’être explicitée au-delà d’une affirmation réductrice selon laquelle il manque des terrains pour construire. En effet, la problématique de l’offre foncière destinée à la construction de logements relève surtout de la mise à disposition de terrains constructibles avec une densité suffisante pour rentabiliser les opérations. En d’autres termes, ce qui manque, ce sont les mètres carrés de SHON [3] plutôt que les mètres carrés de terrains. C’est donc une affaire de plans locaux d’urbanisme et de décision politique locale.
Ainsi comprend-on plus aisément où se situe le problème en Île-de-France, région dans laquelle les décisions en matière d’urbanisme restent entre les mains de 1 281 maires (dont 412 dans l’unité urbaine de Paris) dont la propension à densifier l’occupation de leur territoire est pour le moins limitée. Une fois de plus, c’est la question de la gouvernance de l’agglomération parisienne qui est en cause : rien n’incite aujourd’hui les communes à contribuer spontanément à résoudre le problème du logement qui se pose à l’échelle métropolitaine.
Le résultat est le cumul d’une faiblesse de l’offre foncière en périphérie peu dense avec une relative atonie de l’urbanisme opérationnel (en 2007, en Île-de-France, seulement 19 % des logements neufs ont été produits en ZAC [4]). La pression qui en résulte se traduit par des prix élevés qui défavorisent les bailleurs sociaux et mettent les promoteurs privés en première ligne. Tout est donc en place pour induire durablement une production de logements à la fois faible et chère, incapable de répondre de façon satisfaisante aux attentes des Franciliens à revenus moyens ou modestes. Ils paient cher leur logement, cumulant sous des formes diverses un effort financier élevé, l’éloignement géographique ou l’inconfort et une mobilité impossible ou fortement contrainte.
Mieux articuler logement et urbanisme
Quelles leçons peut-on tirer de ces analyses pour les politiques de l’habitat, tant au niveau national que dans leurs dimensions locales ? Certainement pas qu’il ne faut construire des logements neufs que dans les villes et régions dont les marchés résidentiels sont les plus tendus. Il y a bien d’autres raisons de construire, notamment pour l’aménagement du territoire ou le renouvellement urbain.
En revanche, il est indispensable que l’accroissement de la production se concentre là où les besoins sont les plus intenses. Encore faut-il le rendre possible en levant les obstacles fonciers à la construction. Cela passe, notamment, par la mise en place d’une nouvelle organisation de l’articulation entre le logement et l’urbanisme : mise au niveau intercommunal des plans locaux d’urbanisme urbains et transformation de la gouvernance des politiques de l’habitat en Île-de-France.
Ensuite, il faut accroître fortement la part des logements financièrement accessibles au sein de la production neuve, ce qui suppose à la fois de ne pas compromettre la pérennité du financement du logement social et de mieux maîtriser les composantes foncières du coût de production des programmes en accession à la propriété. Ce dernier point suppose un renouveau de l’urbanisme de ZAC et une transformation des relations entre villes, aménageurs et promoteurs. Certaines villes, comme Rennes, Grenoble ou Toulouse, s’y sont essayées avec succès ; rien de tel ne s’est produit à ce stade à l’échelle de l’agglomération parisienne.