Malgré une urgence écologique mondialement reconnue, depuis le dernier sommet de Copenhague (2009), les changements indispensables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre butent sur les mentalités.
Pour dépasser ces difficultés, il est indispensable de mettre en place les conditions d’une perception partagée des enjeux planétaires, dans le quotidien même des acteurs, habitants, entrepreneurs, élus, services, à chacune de leurs différentes échelles de territoire et d’actions. Les représentations doivent être renouvelées et la menace climatique pensée en termes quotidiens. Penser carbone comme on pense euros, à chaque prise de décision, est déterminant. L’expérience francilienne montre qu’un tel mode de pensée est susceptible de déplacer les centres d’intérêt, de révéler les enjeux majeurs du développement durable là où on ne les attend pas (dans le local ; dans les pratiques individuelles) et de revisiter des pratiques installées. Il est également indispensable de développer de nouvelles solutions agricoles, industrielles, constructives. C’est le cœur de la réalisation matérielle du nouveau métabolisme urbain et rural dont nous avons besoin, aux différentes échelles de territoire, du quartier à la planète. Les technologies vertes sont déterminantes, mais ce sont les modèles économiques et sociaux, les mentalités et les processus qui sont les plus difficiles à changer. D’où l’intérêt de promouvoir une vision locale, mesurée, concrète, partagée, opérationnelle de l’emploi de l’espace et des ressources, sur une planète limitée. C’est elle qui permet un partage raisonné, qui conduit à revisiter les usages des espaces publics en matière de déplacement et de récréation. Elle incite aussi à reposer les vocations urbaines et rurales des espaces disponibles et à interroger pour les adapter les comportements et les prises de décision.
La contribution francilienne : une méthode pour la déclinaison locale des enjeux planétaires
Dans leur recherche d’une traduction des enjeux planétaires en actions locales permettant une aide à la décision, la DRIEA (Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’aménagement) et les huit établissements publics d’aménagement franciliens ont inventé un premier outil intitulé "@d aménagement durable". Douze lignes d’action et douze indicateurs stratégiques constituent, aux différentes échelles du territoire francilien (Communes, Opérations d’intérêt national, Intercommunalités, Départements, Région) un tableau de bord local du développement durable planétaire. Chacun de ses indicateurs a pour caractéristique d’être comparable d’une commune à l’autre, et additionnable à l’Intercommunalité, à l’Opération d’intérêt national, au Département, à la Région. La méthode peut être transposée à d’autres régions françaises ou à l’étranger mais demande à être adaptée aux spécificités locales.
Utilisable comme un tableau de bord, elle a plusieurs utilisations possibles. Elle est en premier lieu une grille de lecture guidant l’élaboration de stratégies locales. Elle sert aussi à détecter les données publiques qui manquent aux collectivités pour se gouverner, et dont elles doivent impérativement se doter.
L’enjeu de la biodiversité
À titre d’illustration, l’enjeu de la biodiversité donne lieu à l’une des douze lignes d’action et indicateurs « d’ @d aménagement durable ». En l’absence de données publiques robustes, la seule démarche disponible est l’inventaire effectué par des naturalistes, commune par commune. Cette action demande environ un an par commune. Inspirée de la démarche de la ville de Paris, la méthode retenue pour la fabrication de l’indicateur « @d biomos » permet de mesurer le potentiel de biodiversité des biotopes de la commune. L’Île-de-France a développé ces 25 dernières années un Système d’Information Géographique, le MOS (Mode d’Occupation des Sols), qui décrit en 83 postes les différents modes d’occupation des sols. Il a été paramétré sous la forme de 25 postes de potentiel de biodiversité. Ce travail, mené par des naturalistes de la DRIEA et du Muséum national d’Histoire naturelle, a conduit à distinguer l’enjeu de la biodiversité remarquable, sous contrôle en France, de celle de la biodiversité ordinaire, aujourd’hui laissée pour compte. Deux cartes de l’Île-de-France ont pu ainsi être produites. Elles sont d’une lecture immédiate par les élus, les services, ainsi que par les habitants et les entrepreneurs locaux.
Appliquée à l’échelle infra-communale, la cotation cartographiée permet à un naturaliste de détecter très rapidement les corridors écologiques à protéger ou à rétablir. L’intérêt de cette contribution est double : une vision partagée est rendue possible, les enjeux locaux de la biodiversité sont mis à jour. Cette méthode introduit d’entrée de jeu la préoccupation de la biodiversité dans les esprits et les pratiques professionnelles des aménageurs et des gestionnaires urbains et ruraux. Une donnée publique jusqu’ici manquante a ainsi été constituée. Elle est aussi facilement partageable que le taux d’emploi de la population d’une commune. Cette méthode a intéressé le Commissariat général au développement durable qui a demandé à la DRIEA, au SOES (Service de l’observation et des statistiques) et à l’IGN comment et jusqu’où elle pouvait être étendue à la France, voir proposée à l’international. Ce développement suppose que l’équivalent du MOS francilien existe ailleurs, pour que les applications infra communales soient opérationnelles : identification des lieux à fort potentiel, recherche rapide des corridors d’intérêt locaux par un naturaliste.
Un modèle à développer vers d’autres secteurs
Donner une nouvelle ampleur au modèle élaboré par la DRIEA peut être pour l’ingénierie française, publique et privée, l’occasion d’un important développement économique. La fabrication du système, son ingénierie, le conseil, voire la réalisation d’aménagements ou la création de co-entreprises, la formation ou l’échange avec les services techniques, des collectivités territoriales aux États seront autant d’opportunités à saisir. Un autre acquis de la DRIEA pourrait être saisi de la même manière : son modèle de trafic routier, transports en commun et circulations douces. Celui-ci a été rodé de longue date sur les multiples territoires et projets d’Île-de-France, tant pour des prévisions globales, à l’échelle de la région, qu’à l’échelle locale sur des projets spécifiques. La DRIEA le fait actuellement évoluer vers une prévision des émissions de gaz à effet de serre, mais ce modèle reste peu disert sur le transport de marchandises et muet sur l’origine des gaz à effets de serre comme sur leur production. Le champ de développement potentiel de cette modélisation se situe autour d’un logiciel libre, susceptible de généralisation aux grandes agglomérations françaises et qui pourrait être le moteur d’une ingénierie de conseil à l’international. Il s’agit d’être capable de porter et de financer des développements réussis localement jusqu’à l’échelle nationale et internationale avec une ampleur permettant un effet d’entraînement. À la hauteur de cette ambition, le financement de ces projets pourrait passer par une inscription au grand emprunt.