Après Mexico, Moscou, New York, Séoul et Shanghai, la collection « Atlas–mégapoles » dirigée par Thierry Sanjuan consacre un volume à Paris. On retrouve dans cet ouvrage les qualités rédactionnelles et iconographiques qui font la réputation d’une collection visant expressément à offrir à un lectorat large les clés « pour comprendre et aimer les grandes villes du monde ». Une cinquantaine de cartes particulièrement lisibles caractérisent l’espace parisien du point de vue fonctionnel (« l’axe des affaires » de l’Opéra à la Défense), urbanistique (le quartier de Bercy avant et après sa restructuration dans les années 1980) ou encore symbolique (« les lieux de la mémoire politique »). Les textes allient richesse informative et concision ; ainsi, l’histoire de Paris, de Lutèce à nos jours, est brossée en quatre pages. Une vingtaine de photographies, souvent de grande qualité, permettent de fixer un paysage caractéristique ou d’exprimer l’atmosphère d’un quartier ou d’un lieu. Enfin, les documents canoniques de la géographie parisienne, comme le Schéma directeur de 1965 ou la coupe d’un boulevard haussmannien, sont complétés avec bonheur par des éclairages plus inattendus, comme « l’arbre généalogique d’un Parisien » illustrant le cosmopolitisme de la capitale et son rôle de carrefour dans les parcours familiaux, ou les extraits de descriptions parisiennes par des écrivains américains.
L’ouvrage s’ouvre et se clôt sur la question de la durabilité, thème incontournable mais qui aurait mérité ici d’être défini de manière plus précise et d’être mieux articulé avec les chapitres successifs de l’ouvrage. Ceux-ci reprennent les entrées thématiques structurant les atlas de la collection : origines historiques, rayonnement métropolitain, « cœur de la ville », puis inscription de « la mégapole dans sa région », et enfin interrogation de nature plus prospective sur l’avenir de la métropole parisienne. Une couverture thématique aussi vaste dans le format court de l’atlas constitue assurément un défi, que les auteurs relèvent en s’appuyant sur une iconographie synthétique et en hiérarchisant le niveau de précision avec lequel les sujets sont abordés. Concernant l’iconographie, la réussite est incontestable : les cartes et schémas sont clairs et denses. Citons, au titre d’un exemple parmi d’autres, une carte figurant « les strates successives de la fabrique urbaine » (p. 20) qui montre de manière synchronique – ce qui n’est pas si fréquent – comment le tissu urbain de Paris intra-muros est fait de pièces historiquement multiples et spatialement distribuées selon un agencement beaucoup plus complexe qu’une succession d’auréoles concentriques.
Une approche plus morphologique que sociologique
Quant à la préférence accordée à tel ou tel éclairage thématique, elle est nécessairement plus discutable. L’accent est clairement mis sur la morphologie (tissu, infrastructures, équipements) et les fonctions plus que sur la société urbaine. Ainsi, le « cosmopolitisme » parisien est certes abordé (p. 26-28), mais dans une perspective étroitement circonscrite à Paris intra-muros. On s’étonne de lire une carte de la population étrangère qui s’arrête au boulevard périphérique, alors que les départements de première couronne, la Seine-Saint-Denis en premier chef, partagent avec la ville-centre une spécialisation spatiale dans l’accueil de la population immigrée qui singularise Paris par rapport à d’autres métropoles françaises et européennes.
De même, les inégalités sociales et leurs inscriptions territoriales ne sont directement documentées que dans la planche « ghettos de riches, ghettos de pauvres » (p. 66-67), alors que cette question est au cœur de la réflexion sur l’impact social de la métropolisation et qu’elle a plus particulièrement nourri le débat, dans les années 1990, sur la transposabilité à Paris du modèle de « simplification sociale » qui caractériserait la global city [1]. On peut ainsi regretter que la carte qui illustre cette planche ne soit pas complétée par des éclairages à l’échelle infra-communale, soit à Paris intra-muros soit en Seine-Saint-Denis, à laquelle il est fait mention à propos des émeutes de 2005. La seule carte francilienne des revenus imposables ne suffit pas, en effet, à comprendre la territorialisation des inégalités sociales, ni son articulation avec les infrastructures de transport, les pôles d’emploi ou encore le marché du logement (notamment le parc HLM, dont on sait combien il singularise Paris par rapport à d’autres métropoles). Il aurait également été intéressant de voir la structure démographique de la population parisienne plus directement analysée, dans la mesure où elle interagit directement avec certaines caractéristiques fonctionnelles (concentration de l’offre universitaire) et morphologiques (étalement résidentiel périurbain) abordées par ailleurs. Au-delà de ces – relatives – lacunes thématiques, qui tiennent essentiellement au format court de l’ouvrage, le choix de l’échelle pour décrire et analyser la métropole parisienne mérite d’être discuté.
Au-delà du périphérique ?
Les auteurs centrent clairement leur propos et leurs traitements cartographiques sur Paris intra-muros, et c’est bien de Paris au sens strict qu’il est question la plupart du temps, l’introduction annonçant une analyse de « la fabrique urbaine » d’un espace allant « de la place des Vosges à l’esplanade de la Défense, en passant par la place d’Aligre et le boulevard Saint-Germain » (p. 12). L’accent mis sur la ville-centre se justifie naturellement par la spectaculaire, et spécifiquement parisienne, permanence d’une centralité clairement marquée par la discontinuité majeure, tant physique que politique et symbolique, du boulevard périphérique. Néanmoins, la focalisation sur l’espace central dépasse largement la section explicitement consacrée « au cœur de la ville », à travers le thème de la « ville-musée ». D’où une certaine confusion, parfois, lorsque des analyses censées s’appliquer à la métropole parisienne se réfèrent, en fait, au seul territoire intra-muros. Ainsi, dans une section consacrée à la densité, peut-on véritablement considérer que « Paris intra-muros […] représente en cela une référence vertueuse pour les tenants de la “ville compacte” » (p. 26) dès lors qu’on tient compte d’un système métropolitain fortement marqué par les navettes à longue distances et l’étalement périurbain ? L’espace francilien n’est, certes, pas absent de l’atlas, qui développe en particulier de très bonnes pages et figures sur les défis actuels de la gouvernance métropolitaine, depuis les intercommunalités jusqu’au Grand Paris. Néanmoins, la succession de cartes d’un Paris intra-muros « flottant » dans un environnement grisé rend difficile la saisie d’un véritable territoire métropolitain, fût-il en gestation d’un point de vue politique. À cet égard, la lecture d’ouvrages récents qui prennent le parti d’aborder les dynamiques métropolitaines parisiennes à l’échelle francilienne [2] apparaît comme une utile mise en perspective.
Très attendu, cet atlas permettra incontestablement la diversité des usages que cible la collection. Il offre un corpus documentaire alliant rigueur sémiologique et intérêt de la problématique illustrée, et se prêtant ainsi idéalement à la réalisation de supports de cours. L’atlas constitue un ouvrage usuel pour des étudiants ou des esprits curieux désirant accéder à une information claire et synthétique, mais néanmoins problématisée, sur la région capitale. Enfin, il peut faire office de vade-mecum pour des flâneurs ou usagers des transports franciliens qui pourront profiter du format commode de l’atlas pour resituer les « choses vues » dans leur contexte urbanistique et historique.