Alors que la crise des piscines publiques a marqué l’actualité hivernale du fait des augmentations du coût de l’énergie, et que les piscines privées sont sous surveillance pour des raisons de sécheresse, le réchauffement climatique pousse les populations à revenir se baigner en rivières, comme cela se pratiquait jusque dans les années 1960. Encore faut-il que ces dernières ne soient pas asséchées.
Piscines publiques et piscines privées : des équipements en tension
Depuis le début de l’automne 2022, l’augmentation des prix de l’énergie consécutive à la guerre en Ukraine a fortement impacté l’économie des piscines publiques sur l’ensemble du territoire. Pour y faire face, des collectivités ont décidé de baisser la température de l’eau et de l’air, comme à Paris, de fermer temporairement la piscine extérieure durant l’hiver, comme aux Sables-d’Olonne, ou de ne pas rouvrir cet été le bassin découvert à Villecresnes, dans le Val-de-Marne, alors même que c’est un lieu de détente et de rafraîchissement pour les populations qui ne partent pas en vacances. Ces difficultés viennent heurter de plein fouet la pratique de la natation, qui est en plein développement, dans la capitale comme ailleurs. Selon la Mairie de Paris, on assiste à « un engouement extraordinaire avec une hausse de 46 % des entrées “grand public” en treize ans. La piscine est devenue l’un des équipements publics les plus fréquentés et l’un des plus sollicités par les habitants : 7 millions d’entrées annuelles, près de 70 000 usagers très réguliers et une moyenne annuelle de 190 000 usagers par piscine alors que celles-ci ont été conçues pour en accueillir 120 000 [1] ». Dans les grandes villes, non seulement les piscines sont sous-dimensionnées, mais elles souffrent en plus d’une obsolescence technique et énergétique au regard des exigences écologiques contemporaines. Elles sont adossées à un modèle de gestion public peu performant (Rapport de la cour des comptes, 2018) et sont mises en concurrence avec de nombreux établissements en délégation de service public, qui ont avant tout des objectifs financiers. Si on ajoute à ces constats les grandes difficultés que rencontrent les piscines pour recruter des MNS (maîtresses et maîtres-nageurs sauveteurs), on peut affirmer sans détour que le modèle de la piscine publique est en crise.
À l’inverse, la piscine privée semble se porter très bien, dans un pays qui en compte une pour vingt-sept habitants, occupant ainsi le deuxième rang mondial après les États-Unis. « Les commandes [de piscines privées] ont décollé à partir de 2014 et explosé lors du premier confinement de 2020, faisant un bond de 28 % par rapport à 2019, soit 197 000 piscines livrées, dont 60 000 bassins enterrés », rapporte Le Monde du 2 juillet 2021 en s’appuyant sur les données de la Fédération des professionnels de la piscine. Face aux vagues de chaleur, la baignade chez soi se développe même dans les départements du Nord. Cependant, face à la sécheresse hivernale et aux prévisions pour la saison estivale, des maires prennent des arrêtés interdisant la construction de nouvelles piscines privées, comme à Elne, dans les Pyrénées-Orientales (Les Échos, 9 mars 2023). Le boom des piscines privées risque d’être de courte durée.
Sortir des piscines pour aller en eau libre
En parallèle de cette crise des piscines, la baignade et la nage en eau libre se développent dans les cours d’eau (Moutiez 2021 ; Auvray et Hachet 2022), comme en Île-de-France où cette pratique a pourtant été interdite à de maintes reprises entre le XVIIIe siècle (Duhau 2007 ; Mouchel et al. 2021) et aujourd’hui, pour des motifs alternant entre gêne de la navigation, pollution des eaux ou atteinte à la pudeur. Au début des années 2000, l’ONG European River Network (ERN) lance un grand événement participatif à travers toute l’Europe afin de réclamer la protection et la restauration des rivières ainsi qu’une meilleure mise en œuvre de la Directive-cadre sur l’eau (2000). Chaque année, autour du 10 juillet, des « Big Jump » invitent les populations à aller se baigner au même moment dans des cours d’eau urbains ou ruraux, où cela n’est pourtant pas autorisé. À Paris, le Laboratoire des baignades urbaines expérimentales militait dès 2012 pour le droit à s’approprier des cours d’eau sans nécessairement les aménager, dans une approche qu’ils qualifiaient de « pirate ». Plus récemment, des collectifs se montent pour réclamer l’ouverture de sites à la baignade dans certaines villes, comme à Metz, où elle n’est autorisée dans aucun des cours d’eau qui traversent la commune [2], ou à Marseille, où les plages sont relativement éloignées du centre-ville et vite bondées en été [3].
© Thierry Ciccione architecte.
Il reste très difficile de se baigner en dehors des piscines dans les territoires fortement urbanisés. Si, à Paris, La baignade du Bassin de la Villette a été inaugurée dans le canal en 2017, elle n’est ouverte que quelques semaines dans l’année, et la pratique y est très encadrée. Les bassins sont séparés du reste du cours d’eau, l’entrée limitée à 500 personnes maximum, et une surveillance multiple est assumée par des services de sécurité privés et des MNS employés par la Mairie de Paris. Les coûts de fonctionnement sont élevés et la capacité d’accueil est vite insuffisante les jours de grande chaleur ou en fin de semaine.
© Julia Moutiez.
Alors, à Paris comme à Lyon, Nantes ou Strasbourg, on assiste régulièrement à des baignades sauvages, en dehors des espaces dédiés. En période de canicule, ces pratiques spontanées deviennent particulièrement difficiles à maîtriser pour les autorités locales. Une élue d’arrondissement à Paris déclare en entretien que la mairie « ne veut pas encourager ce phénomène-là », considéré comme trop dangereux, et poursuit en soulignant qu’il faudrait en fait « l’accompagner », « permettre qu’il se déploie dans les bonnes conditions ». Le développement de ces pratiques de baignade informelles en été amène ainsi à une renégociation de l’accès à l’eau libre au sein de l’action publique. Cette question va se faire de plus en plus pressante dans les années qui viennent face à l’intensification et la multiplication des vagues de chaleur.
Baignade, sécheresse et canicule
L’augmentation prévue des températures, accentuée par l’effet d’îlot de chaleur urbain, pousse les responsables des grandes agglomérations à développer des solutions afin de rafraîchir les populations : végétalisation (forêts urbaines, cours d’école ou d’immeubles), identification d’espaces frais existants (accès aux musées, églises, sous-sols), amélioration de l’accès à l’eau (installation de fontaines, ouverture gratuite des piscines et accès aux rivières et canaux). « De toute façon les gens ne nous attendent pas », remarque une personne du pôle climat de la ville de Paris. En période de canicule, les points d’eau sont déjà pris d’assaut hors des cadres légaux, qu’il s’agisse des bornes à incendies (David et al. 2019), des rivières urbaines ou des piscines, à l’image du centre nautique d’Aquarives à Hagondange, dont l’entrée a été forcée par 400 individus durant l’été 2022 (Le Républicain Lorrain, 19 juin 2022). Si certaines villes cherchent à anticiper ou encadrer ces phénomènes en mobilisant les espaces aquatiques déjà présents sur leur territoire, l’ouverture de sites de baignade demande des investissements massifs pour atteindre les normes en vigueur, en termes de sécurité et de qualité des eaux. En Île-de-France, les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 sont utilisés comme « levier » pour « reconquérir » la Seine et la Marne (Moutiez 2021). Des moyens importants ont été débloqués pour améliorer la qualité des eaux nécessaire au déroulement des épreuves de nage libre dans la Seine (Rouillé-Kielo et al. 2022). L’ouverture d’une vingtaine de sites de baignade est promise dès 2025 en héritage de la manifestation, sans pour autant que l’avancée des travaux soit rendue publique.
Ces solutions pourraient peut-être suffire pour faire face à l’intensification des vagues de chaleur dans les années à venir, mais qu’en sera-t-il en 2050 ? Selon le GIEC, la moitié de l’humanité souffre déjà du manque d’eau au moins un mois dans l’année. La France métropolitaine elle-même est en déficit pluviométrique presque tous les mois depuis août 2021 [4]. Le niveau d’eau de fleuves comme la Seine est déjà maintenu artificiellement une partie de l’année et, comme nous le confiait un hydrologue du Syndicat interdépartemental de l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) : « moins il y a d’eau et plus elle est difficile à traiter ». Or, le sixième rapport du GIEC l’a confirmé, nous pourrions nous retrouver très vite dans des situations de stress hydrique telles que les rivières s’assèchent et que les faibles ressources en eau disponibles soient sévèrement rationnées pour les réserver aux usages vitaux. Dans les régions où les cours d’eau se seront éteints, et quand les piscines auront fermé depuis longtemps, comment se rafraîchira-t-on ? Face à des températures ressenties approchant les 50 °C dans les deux ou trois décennies à venir dans certaines régions de France, il ne sera pas possible pour tout le monde de se réfugier à proximité des littoraux. Si nous ne réaménageons pas nos espaces urbains extérieurs, et ne repensons pas l’accès des habitants aux eaux de surface, que restera-t-il alors comme solution pour les populations captives des villes, en dehors de mises à l’abri collectives dans des espaces souterrains ou climatisés ?
Bibliographie
- Auvray, E. et Hachet, B. 2022. « Crise des piscines publiques : le retour à l’eau froide ? », AOC, 25 novembre 2022.
- David, S., Revéret, J.-P. et Euzen, A. 2019. « Ouvrir ou fermer les bouches d’incendie ? Des enjeux technico-économiques aux enjeux sociaux. Opening or closing fire hydrants ? From technical and economic issues to social issues », Développement durable et territoires, vol. 10, n° 3.
- Duhau, I. 2007. « Les baignades en rivière d’Île-de-France : des premiers aménagements à la piscine parisienne Joséphine Baker », Livraisons d’histoire de l’architecture, n° 14, p. 9-38.
- Mouchel, J.-M., Lucas, F., Moulin, L., Wurtzer, S., Euzen, A., Haghe, J.-P., Rocher, V., Azimi, S. et Servais, P. 2021. « Bathing Activities and Microbiological River Water Quality in the Paris Area : A Long-Term Perspective », in N. Flipo, P. Labadie et L. Lestel (dir.), The Seine River Basin, Cham : Springer, p. 323-354.
- Moutiez, J. 2021. « Se baigner à nouveau dans la Seine : l’héritage promis par les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 », Projets de paysage. Revue scientifique sur la conception et l’aménagement de l’espace, n° 25.
- Rouillé-Kielo, G., Bouleau, G., Gramaglia, C., Le Métayer, J. et Allouche, A. 2022. La Baignade urbaine en eau vive au-delà de l’enjeu bactériologique. Regards croisés Paris/Berlin, rapport pour le PIREN-Seine (phase 8).