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Débats

Les tours du pouvoir

Après Manuel Appert, Jean-Marie Huriot discute les enjeux de la course à la hauteur. Selon lui, les arguments avancés en faveur de l’édification de tours toujours plus hautes sont biaisés, voire faux, et masquent la véritable motivation, connue mais inavouable : celle du symbole de la richesse, du pouvoir économique et financier, dans la logique concurrentielle d’un néo-capitalisme mondial essoufflé.


Dossier : Le retour des tours dans les villes européennes

À Dubaï, Burj Khalifa, la plus haute tour du monde, culmine à 828 m. Parmi les 54 tours [1] d’au moins 300 m recensées dans le monde (Emporis 2011), 37 sont en Asie et 14 aux États-Unis. À Londres, la tour Shard devrait être terminée en 2012 et sera la plus haute d’Europe. Du haut de ses 310 m, elle narguera la cathédrale Saint-Paul (Appert 2008, Appert 2011). À La Défense, on a inauguré il y a quelques mois la tour First dont les 228 m constituent le record de hauteur des tours de bureaux en France. Juste à côté, la tour Phare, dont le projet est approuvé, atteindra 300 m. La tour Triangle dominera bientôt de ses 180 m le parc des expositions de la Porte de Versailles. Les projets toujours plus vertigineux foisonnent, avec quelques maquettes effarantes comme celle de la pyramide TRY 2004 dans la baie de Tokyo, véritable ville dont le sommet atteindrait 2004 m, et qui pourrait abriter 750 000 habitants et 800 000 travailleurs…

« La folie des hauteurs », écrit Paquot (2008). Tour de force technique, exploit architectural, recherche de dépassement ? Seul moyen de sauver la ville, réponse rationnelle à la croissance urbaine (Glaeser 2011) ? Mythe éternel de conquête du ciel (ces tours qui grattent le ciel…) ? Utopie, délire, fantasme, symbole machiste, « élan phallique » (Benoît 2009) ? « Horizon inversé » (Allix 2008), « Non lieu à la verticale » (ENSAPM 2009), « impasse en hauteur » (Virilio 2004, cité par Paquot 2011) ? Désir de paraître, d’impressionner ou de fasciner, volonté d’affirmer un pouvoir technique, politique ou économique ? Le débat est immense, et les arguments sérieux côtoient les discours les plus fantaisistes. Le paravent scientifique s’acoquine avec les illusions de la rhétorique politique, l’art de la persuasion et les sophismes de comptoir. La mondialisation exacerbe une émulation verticale coûteuse et déshumanisante. La concurrence des formes uniformise les villes aux dépens de leurs spécificités. Pour quoi, pour qui, cette course sans fin aux tours sans fin ?

Émulation verticale (photo : J.-M. Huriot)

La question n’est pas « être ou ne pas être » pour la construction des tours. Le but n’est pas de condamner les tours, mais de démonter les arguments de la défense et de montrer qu’ils cachent mal la volonté d’afficher sa place dans la mondialisation néo-capitaliste.

Cachez ces motivations que l’on ne saurait voir

Quelques arguments apparaissent de façon répétée dans ce débat. La plupart sont tronqués, unidimensionnels et discutables. L’avouable, la rationalisation ex-post, cachent souvent l’inavouable et l’irrationnel. La plupart des raisons évoquées pour promouvoir les tours peuvent être remises en question. Les arguments généralement utilisés servent de paravent au puissant contenu symbolique de l’architecture verticale.

Les tours affichent une richesse, une réussite, une force, un pouvoir, vrais ou prétendus. Les tours symbolisent le pouvoir. Elles sont l’émanation d’un pouvoir qui veut s’affirmer – les tours du pouvoir. Elles ont une forte puissance symbolique de réussite, de richesse, de développement, de position dominante dans l’échiquier politique ou économique du monde. Cette symbolique du pouvoir est connue. Il est dans l’intérêt de bien des décideurs (politiques, architectes ou promoteurs) de faire semblant de l’ignorer, parce qu’ils utilisent cette symbolique à leur profit.

Construire des tours pour densifier : les faux postulats implicites

La défense des tours rattache la construction en hauteur aux lois du marché et à la nécessité de densifier. Mais le choix entre densifier ou étaler repose sur une argumentation tronquée. La construction en hauteur serait le meilleur moyen de pallier les effets tant décriés de l’étalement urbain incontrôlé. Glaeser (2011) développe cette idée en s’appuyant sur les lois du marché. Déjà Alfred Marshall, il y a un siècle montrait que sur le sol urbain le plus demandé (central) on devait construire plus haut, de manière que le coût marginal du dernier étage égale l’économie foncière ainsi réalisée. La croissance urbaine implique une demande croissante de logements et d’espace de bureaux qui fait monter les prix dans les lieux centraux, les plus désirables. Construire plus haut permettrait d’augmenter l’offre de surface de plancher sur une surface donnée de sol. Ce serait donc le moyen rêvé de diminuer la pression foncière au centre et d’y rendre la localisation plus abordable. Par là, cela permettrait une croissance urbaine continue avec un étalement limité. D’une certaine manière, restreindre la hauteur des constructions reviendrait à limiter la croissance urbaine.

Cette logique est trop simple. Elle est reliée à deux postulats implicites discutables. Le premier pose la nécessité de densifier les villes et particulièrement les centres. Mot d’ordre à la mode, bonne conscience face aux méfaits de l’étalement illimité. Mais, à ce jour, les études sérieuses sur l’alternative densité-étalement n’ont pas abouti à une réponse unique et claire (Huriot et Bourdeau-Lepage 2009a). La ville dense n’est aujourd’hui qu’un slogan politique sans fondement scientifique solide.

Le second postulat relie de manière automatique densification et construction en hauteur. Or le rapport entre les deux est très mal défini, d’abord parce qu’une haute densité dans une ville, voire dans un quartier, peut s’accommoder de répartitions internes des densités très différentes, compatibles avec quelques hautes tours aussi bien qu’avec un grand nombre de constructions de hauteur plus modeste (Fouchier 1994 ; Huriot et Bourdeau-Lepage 2009a ; Humstone 2009). À Paris, la densité d’habitants est plus élevée aux Gobelins, quartier haussmannien, qu’aux Olympiades, quartier voisin avec des tours de plus de 100 m de haut. Par ailleurs, la construction de tours n’a jusqu’alors pas freiné l’étalement urbain : les deux phénomènes sont concomitants (Paquot 2008). La densité et l’étalement ne touchent pas les mêmes catégories de population et d’activités.

Le silence sur les coûts matériels et humains

Tout en restant dans la logique du marché, les coûts mériteraient une attention particulière. Le coût de construction augmente plus vite que le nombre d’étages, de sorte que le coût du mètre carré construit augmente rapidement avec la hauteur.

Certes, des progrès importants ont permis d’abaisser la trop forte consommation d’énergie des hautes tours. Mais, primo, cette consommation est encore nettement plus élevée qu’ailleurs et reste très au-dessus des normes du Grenelle de l’environnement ; la plupart du temps, les performances environnementales effectives sont loin d’atteindre les annonces préalables. Secundo, ces progrès sont encore un argument discutable des défenseurs de la hauteur, car ils pourraient aussi bien être appliqués à des bâtiments moins hauts et moins coûteux [2].

Par ailleurs, les coûts de sécurité, de maintenance, d’entretien et d’adaptation des tours aux besoins changeants restent bien plus lourds qu’en moyenne (Palisse 2008). Ces coûts conduisent, par le jeu des capacités à payer, à réserver les hautes tours aux bureaux, appartements et hôtels de grand standing, à éloigner les catégories plus modestes et à aviver la ségrégation urbaine.

Enfin, grands absents du débat, les coûts humains sont pourtant une réalité préoccupante. Quelques travaux récents montrent que la vie dans les bureaux aériens des tours pose des problèmes de bien-être et de santé. La « pathologie des tours » et le « syndrome des tours de bureaux » sont connus, même si des efforts sont faits pour rendre les tours plus vivables (notamment Paquot 2008, p. 82-83).

Quant aux préférences des citadins pour la forme de leur ville, elles sont discrètement mais efficacement considérées comme hors débat et inopportunes. Les citadins voient souvent les tours d’un mauvais œil, mais les tours relèvent de fait de la seule compétence de ceux qui détiennent le pouvoir technique, politique et surtout économique.

Les tours ne facilitent pas nécessairement les interactions

Selon Glaeser (2011), les tours, parce qu’elles densifient, favorisent les interactions. Si c’était avéré, les tours seraient l’atout majeur des villes. Pas si simple… si on se réfère à la complexe et délicate relation proximité-interactions. Laissons de côté les interactions virtuelles (par les technologies de l’information et de la communication) qui ne nécessitent aucune proximité physique. Pour qu’il y ait interactions directes, face à face, il faut la combinaison d’une proximité géographique permanente (même localisation) ou temporaire (par déplacements entre localisations distantes) et d’une proximité « organisée » caractérisant la capacité et la volonté d’interagir des acteurs (Bourdeau-Lepage et Huriot 2009b). La densité ne peut être qu’un facteur de proximité géographique permanente, à condition qu’elle s’accompagne d’une organisation efficace des déplacements. Être dans une tour n’est ni nécessaire ni suffisant pour interagir, même en face à face. Malgré (ou à cause de ?) son horizontalité, la Silicon Valley est un des lieux les plus interactifs du monde en termes scientifiques et technologiques. Il n’est pas certain que les interactions soient plus intenses dans les tours du site Tolbiac de l’université Paris-I que dans les campus horizontaux. Au contraire, l’empilement dans les tours est souvent vu comme une source de cloisonnement plus que d’interactions. Les interactions sont certainement plus intenses entre les occupants de la tour et l’extérieur qu’entre ces occupants eux-mêmes. On sait bien que ces occupants (notamment les services supérieurs et les sièges sociaux) fonctionnent plus en réseaux mondialisés (Taylor 2004) qu’en interactions avec les voisins immédiats. Les raisons d’existence des tours de bureaux sont ailleurs.

La course à la performance, au prestige et au pouvoir : Paris !

Derrière toutes les tentatives de rationalisation se dissimule ce qui est le plus puissant motif de la course à la hauteur : les symboliques étroitement imbriquées de la performance, du prestige et du pouvoir.

La volonté de performance technique est patente, depuis les premiers gratte-ciel. C’est grâce à des innovations techniques (structures métalliques, ascenseurs, …) que les gratte-ciel ont pris leur envol, à New York et à Chicago. Les hauteurs ne sont limitées que par la technique. Ce que la technique permet de faire, on le fait. La tour est donc d’abord le symbole d’une maîtrise technique. Les tours de force techniques de la verticalité forcent l’admiration et sont source de prestige, pour l’architecte et pour les responsables politiques qui le soutiennent.

À Paris, les politiques veulent entrer dans cette course à la performance. Programme d’autant plus dérisoire que la ville est très loin des premiers ! Pour des raisons historiques, bien sûr, et à cause d’une réglementation récemment abandonnée pour entrer dans la course. Mais quel handicap, quand la première tour française (First !) est au 331e rang mondial !

Une ville qui se définit à travers une telle compétition, qui veut construire des tours « pour ne pas rester à la traîne », ne se définira jamais que par un rang dans un classement, ce qui revient, sauf pour les premières, à se noyer dans la foule et dans son uniformité. Rien à faire, bien des autres montent les étages plus vite que Paris. Alors pourquoi s’entêter ? Le prestige de la hauteur est fragile. La tour la plus haute aujourd’hui ne le sera plus demain. Plus grave, qu’en est-il de la durabilité physique des tours ? La plupart sont destinées à se dégrader très vite ou à être rénovées à des coûts prohibitifs. Leurs caractéristiques environnementales sont vouées à une rapide obsolescence. Même leur apparence est condamnée à passer de mode. Enfin, la preuve est dramatiquement faite de leur extrême vulnérabilité. Ces questions sont absentes d’un débat entre décideurs trop sûrs d’eux et que seul l’avenir immédiat préoccupe.

Les illusions de la modernité

Oppressante modernité (photo : J.-M. Huriot)

Le prestige, c’est ensuite ce qui est « moderne ». Le débat sur les tours prend alors la forme de l’opposition simpliste entre anciens et modernes. Les partisans des tours se prétendent les représentants de la modernité face au conservatisme des défenseurs du patrimoine. La double correspondance affirmée (modernité – architecture contemporaine – tours) est boiteuse. Heureusement, l’architecture contemporaine, pas plus que la modernité, ne se définit essentiellement par la course à la hauteur. Plus caricatural encore est le discours de Glaeser (2011) rejetant les opposants aux tours dans la catégorie des « activistes anti-croissance » et des « ennemis du changement ».

On assiste ici à un enfermement dans une série de raccourcis erronés, partisans et pernicieux. Un double faux postulat soutient cette opposition : celui qui identifie ce qui est moderne à tout ce que la technique permet de réaliser, et celui selon lequel la défense du patrimoine est nécessairement l’opposition à toute nouveauté.

Le patrimoine n’est pas figé, et son contenu évolue avec la société. On pourrait considérer que les gratte-ciel de New York entrent dans le patrimoine de la ville. Il n’y a donc pas d’opposition évidente entre promoteurs des tours et défenseurs du patrimoine. Le vrai débat devrait porter sur la question du mode de développement du patrimoine et sur la manière d’allier les préférences des citadins aux exigences d’un urbanisme durable.

L’ancienneté du fantasme des tours et les déplorables effets des réalisations de Le Corbusier et de l’urbanisme vertical de la seconde moitié du XXe siècle rendent surprenante la référence à la modernité dans la recherche de la hauteur. La question est posée : les gratte-ciel sont-ils une forme de « retro-urbanisme » (Jamawat, Fortin, Halbur et Negrete 2011) ? La modernité, dans un monde qui surconsomme l’énergie, n’est-elle pas plus dans l’éco-construction que dans la hauteur à tout prix ?

La tour considérée comme une marque de modernité se répand sans imagination et au risque de l’uniformité. Il faut être moderne, et pour cela il faut imiter, construire des tours, partout. Faire comme les autres ou mieux que les autres, ne pas rester hors de la course au prestige, montrer par la verticalité qu’on tient son rang. Cette concurrence uniformise nos villes au détriment de leur originalité. Est-ce être moderne (ou post-moderne) de sacrifier encore et toujours depuis des millénaires au mythe du toujours plus haut ? Vaut-il mieux une course à la performance technique ou un aménagement urbain démocratique et réfléchi ?

La hauteur, marque du pouvoir

Arrogante expression du pouvoir (photo : J.-M. Huriot)

Plus cachée et pourtant flagrante est la symbolique de la hauteur, qui amène celle du pouvoir. Le haut, c’est le ciel, c’est le bien, le beau, le bon, le positif. Le bas c’est le mal, le laid, le mauvais, le négatif. Tout ce qui élève est souhaitable. S’élever, c’est s’améliorer, c’est chercher le mieux, se dépasser : prendre de la hauteur, s’élever l’esprit. Les constructeurs de la tour de Babel ont payé cher leur ambition de construire haut pour s’approcher de leur dieu. Mais la hauteur, c’est aussi le sommet d’une hiérarchie, c’est donc aussi le symbole du commandement, du pouvoir. Plus haute est la tour, mieux elle symbolise une seconde forme de prestige : celui du pouvoir. Haut rang, haute autorité, haute cour, portent ce message. L’alliance de la tour et du pouvoir est une longue histoire. Les églises, cathédrales et autres lieux de culte s’élancent vers le ciel, et restent longtemps les plus hautes constructions, doubles symboles de l’élévation vers la puissance céleste et du pouvoir religieux terrestre. Avec la sécularisation du pouvoir municipal, les beffrois font concurrence aux églises et rivalisent de hauteur. Depuis l’apparition des premiers gratte-ciel à la fin du XIXe siècle, une autre forme de domination prend progressivement le dessus. De quel pouvoir s’agit-il ? De plus en plus, d’un pouvoir économique soutenu par le pouvoir politique, qui aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation économique, prend la place du pouvoir politique avec son assentiment. Les tours « sont de puissants leviers de spéculation et de communication pour les promoteurs, les investisseurs et les architectes. » écrivait Manuel Appert (2011). En même temps, leur prestige rejaillit sur les responsables politiques qui les défendent.

La tour, exaltation de la mondialisation capitaliste

La mondialisation se manifeste par un pouvoir économique en réseau mondial, matérialisé par le réseau des villes mondiales qui abritent le cœur du pouvoir économique : les activités de coordination de l’économie mondialisée, c’est-à-dire de conception, de décision et d’aide à la décision de portée mondiale. Finance, sièges sociaux et services avancés y jouent un rôle essentiel (Castells 1998 ; Sassen 2000 ; Taylor 2004 ; Bourdeau-Lepage et Huriot 2005). Les tours les plus hautes sont pour la plupart des tours de bureaux, abritant en priorité ces activités mondialisées, comme à Manhattan ou à la Défense. Il est significatif qu’un des premiers occupants de la tour First soit la société Ernst & Young. Comment mieux symboliser le pouvoir économique qu’en prenant le nom d’une firme géante ? Les tours Petronas à Kuala Lumpur (452 m, cinquièmes mondiales) ne se contentent pas d’abriter le géant pétrolier malaisien, elles prennent son nom et symbolisent la puissance économique du pays.

Le champ de tours de Dubaï, dominé par Burj Khalifa, offre une variante commerciale de la symbolique du pouvoir économique. Dubaï a l’ambition d’être le plus grand centre commercial du monde et le fait savoir par sa verticalité. La Chine dépasse d’ores et déjà les États-Unis par le nombre de très hautes tours, et en 2016 elle en aura plus de quatre fois plus. Elle manifeste par là sa puissance économique croissante et sa volonté de faire mieux que les États-Unis. De même, les autres pays émergents, riches en hautes tours, en font l’emblème de leur nouvelle richesse et de leur pouvoir économique croissant, là aussi dans une volonté de dépasser les États-Unis, en anticipant leur possible statut de « nouvel ancien monde »… Bien sûr, cette anticipation a la faiblesse de toute anticipation sur un long terme imprévisible. Par ailleurs, manifester son pouvoir économique par la hauteur de ses tours est tout à fait artificiel. Cette course à la hauteur a quelque chose de dérisoire. Chacun veut paraître le meilleur. Pour cela, impossible de ne pas entrer dans la course. Il faut construire haut, plus haut. Avec quel projet de société ? Celui de vendre, de spéculer, de réaliser des profits au mépris des urgences sociales ? Déplorables symboles… Messieurs les décideurs, revenez sur terre et désacralisez les tours et ce qu’elles symbolisent !

L’identité urbaine, pas le clonage

On prétend parfois que les tours permettent de donner une identité à la ville, par leur qualité et leur originalité architecturale. Est-ce s’identifier que de faire comme tout le monde ? Devant une photo d’une des 200 plus hautes tours tirée au hasard, qui est capable de dire dans quelle ville elle se trouve ? On oublie ici que s’identifier c’est avant tout se différencier. S’identifier par une tour, c’est s’identifier à l’uniformisation mondiale. S’identifier par le symbolisme d’une tour, c’est s’identifier à la mondialisation libérale et à la domination des marchés, et non être soi-même, dans sa singularité humaine.

Il faudrait peut-être penser plus sérieusement à développer un monde différencié et humain où les complémentarités se substitueraient à la concurrence uniformisante et où l’homme prendrait la première place, manierait les ficelles au lieu d’être le pantin des marchés. Si Paris veut ressembler à Shanghai, il risque de ne plus ressembler à rien, même plus à une métropole mondiale. Gare au clonage urbain.

Fragiles symboles (photo : J.-M. Huriot)

Il ne s’agit pas d’être radicalement contre les tours. Pas plus que d’être béatement pour. La morale de ce papier est qu’il ne faut pas être aveuglément pour une course à la hauteur, ni défendre à tout prix le développement de la verticalité, surtout pas au prix de l’humain, le principal oublié. C’est aussi que les tours ne semblent pas nécessaires au succès d’une ville et ne sont que des affiches publicitaires, crédibles ou non, parfois encombrantes, toujours fragiles.

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En savoir plus

  • Allix, G. 2008. « Les tours, horizon inverse et solution controversée des villes bien pensées », Le Monde – Dossier (3 avril) p. XIII.
  • Appert, M. 2008. « Ville globale versus ville patrimoniale ? Des tensions entre libéralisation du skyline de Londres et préservation des monuments et vues historiques », Revue Géographique de l’Est, vol. 48, n° 1-2.
  • Appert, M. 2011. « Politique du skyline. Shard et le débat sur les tours à Londres », Métropolitiques, 12 septembre.
  • Benoît, G. 2009. « Le complexe de la tour », www.evene.fr (juin).
  • Bourdeau-Lepage, L. et Huriot, J.-M. 2009. « Proximités et interactions : une reformulation », Géographie, Économie et Société, n° 11, p. 233-249.
  • Bourdeau-Lepage, L. et Huriot, J.-M. 2005. « The Metropolis in retrospect : from the trading metropolis to the global metropolis », Recherches économiques de Louvain, n° 3, p. 257-284.
  • Calvino, I. 1974. Les villes invisibles, Paris : Seuil (Points).
  • Castells, M. 1998. La société en réseaux, Paris : Fayard.
  • Emporis. 2011. Official World’s 200 Tallest High-Rise Buildings, octobre.
  • ENSAPM. 2009. « Non-lieu à la verticale », T4/Delirious New York – Groupe 12, 24 avril.
  • Fouchier, V. 1994. « Penser la densité », Études Foncières, n° 64, p. 7-12.
  • Glaeser, E. 2011. « How Skyscrapers Can Save the City », Atlantic Magazine.
  • Huimstone, E. 2009. « Getting the density you want », Planning Commissioner Journal, n° 74 (printemps).
  • Huriot, J.-M. et Bourdeau-Lepage, L. 2009. Économie des villes contemporaines, Paris : Economica.
  • Jamawat, J., Fortin, K., Halbur, T. et Negrete, V. 2011. « Skyscrapers and the World of Tomorrow », Planetizen, 1er septembre.
  • Palisse, J.-P. 2008. « Des tours en débat », Cahiers de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France, n° 149 (« Envies de villes »), p. 38-41.
  • Paquot, T. 2008. La folie des hauteurs. Pourquoi s’obstiner à construire des tours ?, Paris : Bourin Éditeur.
  • Paquot, T. 2011. « Plus haute sera la prochaine tour », Manière de voir – Le Monde diplomatique, no. 114, p. 72-75.
  • Sassen, S. 2000. Cities in a World Economy, Thousand Oaks : Sage, Pine Forge Press.
  • Taylor, P. J. 2004. World City Network : A Global Urban Analysis. London et New York : Routledge.
  • Virilio, P. 2004. Ville panique. Ailleurs commence ici, Paris : Galilée.

Pour citer cet article :

Jean-Marie Huriot, « Les tours du pouvoir », Métropolitiques, 24 octobre 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Les-tours-du-pouvoir.html

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