Avec la loi ENE, dite loi Grenelle II (Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant Engagement National pour l’Environnement), le PLU devient l’un des nouveaux outils visant à garantir une gestion économe des sols. La loi assigne désormais aux acteurs publics la mission d’assurer un contrôle effectif de la consommation de l’espace naturel, agricole et forestier. Cette nouvelle fonction est louable. Assigner un tel objectif au PLU est nécessaire pour lutter contre le gaspillage foncier. Pour autant cette réforme sera-t-elle suivie d’effets ? Pourra-t-elle conduire à des résultats tangibles et à une réelle économie foncière ? Sa mise en œuvre dépend en grande partie de la réactivité des acteurs locaux et de leur engagement à ne pas ouvrir de zones naturelles à l’urbanisation. Or la densification (seule issue, dès lors, pour remédier à la pénurie de logements) ne sera pas aisée à mettre en œuvre.
Les objectifs de la loi : lutter contre l’étalement urbain
Il ressort – entre autres choses – deux finalités corrélatives de l’examen des motifs du projet de loi Grenelle II : d’une part, lutter contre l’étalement urbain, synonyme de mauvaise gestion du sol et qui se traduit par le grignotage progressif du périurbain et par une régression des surfaces agricoles, naturelles et forestières ; d’autre part, rechercher un aménagement économe de l’espace par la densification. Les raisons d’un tel engagement sont à la fois écologiques, environnementales, agricoles, climatiques, alimentaires, économiques et sociales.
Il y a urgence à agir car le bilan est alarmant : en France, l’artificialisation atteignait 9 % du territoire en 2009. Les sols artificialisés sont passés, entre 2006 et 2009, de 4,59 à 4,85 millions d’hectares, soit une progression moyenne de 86 000 hectares par an. À ce rythme, les espaces agricoles et naturels perdent 236 hectares par jour : ce chiffre correspond à la perte tous les sept ans de la superficie d’un département français moyen (Morel et Jean 2010). L’avancée des sols artificialisés s’est accélérée ces dernières années. La moitié des terres gagnées sur les zones naturelles et agricoles est destinée à l’habitat, généralement pavillonnaire, un tiers aux activités économiques et équipements de superstructures (ZAC, zone commerciale ou artisanale, équipements sociaux, scolaires, sportifs et de loisirs) et le reste aux infrastructures routières ou ferroviaires et aux espaces verts situés en zone urbanisée. Il s’agit d’un processus irréversible : il est rarissime que les espaces aménagés redeviennent des espaces naturels.
Pour lutter contre cette extension, la commune et le PLU ont été identifiés comme les acteurs principaux, même si cette finalité, au terme des modifications apportées par la loi ENE, est désormais inscrite dans tous les documents de planification : les règlements généraux d’urbanisme, la loi littorale, la loi montagne, les schémas de cohérence territoriale (SCOT).
Quels nouveaux outils pour freiner l’artificialisation du sol ?
Le législateur a posé des mécanismes visant réduire la consommation d’espaces et à lutter contre le gaspillage foncier. Le contenu du PLU s’en trouve affecté. Le rapport de présentation du PLU (comme celui du SCOT) doit désormais présenter une « analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers » (art. L123-1-2 al 3). En outre, le rapport doit justifier « des objectifs compris dans le PADD au regard des objectifs de consommation de l’espace fixés, le cas échéant, par le SCOT et au regard des dynamiques économiques et démographiques » (Art. L123-1-2 al 4). Le PADD (Projet d’aménagement et de développement durable) est également concerné. Le troisième et dernier alinéa du nouvel article L 123-1-3 du Code de l’urbanisme indique qu’il fixe des « objectifs de modération de la consommation d’espace et de lutte contre l’étalement urbain ».
Le préfet surveille la commune : il veille à ce qu’elle n’autorise pas une consommation excessive de l’espace. En vertu de l’article L123-12 b) du Code de l’urbanisme, il peut, s’agissant des communes non couvertes par un SCOT, examiner l’acte publié approuvant le PLU. Celui-ci ne devient exécutoire qu’après l’intervention des modifications qu’il pourrait demander à la commune ou à l’EPCI (Établissement public de coopération intercommunale) dans un délai d’un mois à compter de la publication. Il peut notifier par lettre motivée les modifications qu’il juge nécessaires, lorsque le PLU compromet une « utilisation économe de l’espace » (objectif visé à l’article L121-1 C. Urb.). Tel serait le cas d’un PLU qui ne prévoirait pas une densification de secteurs bien desservis en transports ou en équipements collectifs. En effet, l’obligation de densifier peut être inscrite dans le règlement du PLU : le nouvel article L 123-1-5, 13°bis du Code de l’urbanisme prévoit que dans les secteurs situés à proximité des transports collectifs existants ou programmés, le règlement du PLU peut imposer une densité minimale de construction. La loi incite également à la densification en raison de critères de performance énergétique, par des dispositions dérogatoires aux règles d’urbanisme. Le nouvel article L 128-1 du Code prévoit que dans les zones urbaines ou à urbaniser, un dépassement des règles relatives au gabarit et à la densité d’occupation des sols peut être autorisé, par décision du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI, dans la limite de 30 %, pour les constructions satisfaisant à des critères de performance énergétique élevée ou alimentées à partir d’équipements performants de production d’énergie renouvelable ou de récupération.
Les limites : l’implication effective des acteurs publics
Ces nouveaux outils vont-ils provoquer un réel ralentissement de l’artificialisation des sols ? L’optimiste doit être modéré pour deux raisons. D’une part, il est à craindre que les élus locaux continuent à ouvrir des zones naturelles à l’urbanisation. Cette solution, peu onéreuse et lucrative, est soutenue activement par les promoteurs, les aménageurs, les investisseurs et les propriétaires, qui voient le prix de leurs terrains se démultiplier [1]. Elle restera souvent préférée à la densification, qui, en zone urbaine, est une opération compliquée, coûteuse et juridiquement complexe, véritable nid à contentieux. Les nouveaux éléments du PLU pourront certes fixer des objectifs de modération de la consommation de l’espace, mais ils ne lient pas formellement la commune ; ils sont non contraignants pour elle. La densification n’est pas imposée dans le règlement du PLU et le contrôle du préfet sur la gestion économe de l’espace ne porte que sur les communes non couvertes par un SCOT. Il n’a pas été généralisé à l’ensemble des communes.
D’autre part, l’échelon communal, trop étriqué, n’est pas adapté pour faire face à la limitation de l’étalement urbain, qui nécessite une vision plus globale et une prise en charge à un niveau supra ou intercommunal. La généralisation des PLU intercommunaux pourrait offrir un cadre adéquat. Or, si la loi ENE consacre leur existence au nouvel article L123-6 du Code de l’urbanisme, elle ne les a pas rendus obligatoires. Les communes, soucieuses de préserver leurs prérogatives, se sont opposées au transfert de compétences en matière de PLU.
Pour toutes ces raisons, on peut penser qu’un ralentissement significatif de la consommation des sols ne sera pas immédiatement sensible. Il reste que la Loi ENE traduit à tout le moins une prise de conscience des autorités publiques. Les nouveaux PLU permettront de prendre date et de faire un bilan de la consommation d’espaces. D’ici quelques années, ce bilan servira de référence et permettra de mesurer l’engagement communal dans la lutte contre l’étalement urbain. Pour que ces objectifs soient inscrits dans les PLU et mis en œuvre, il est nécessaire que les mentalités changent : les espaces naturels doivent être perçus par les élus locaux comme une ressource non renouvelable et non comme une denrée illimitée, vouée inéluctablement à l’urbanisation.