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Débats

Le maire, le promoteur et l’accession sociale

Les négociations entre promoteurs et élus locaux sur les programmes de logements.

Alors que maîtriser le prix du logement est une priorité nationale, une récente enquête menée par Guilhem Dupuy montre que les usages locaux des dispositifs nationaux sont les enjeux de négociations formelles et informelles entre promoteurs et élus locaux. Par ces pratiques parfois à la limite de la légalité, ceux-ci co-élaborent les programmes de logements, contribuant à modeler l’offre sur le marché local. Or leurs critères ne coïncident pas toujours avec ceux des politiques nationales.


Dossier : Les nouvelles politiques du logement


Les débats publics sur les évolutions du marché de l’immobilier, périodiquement relancés par certains événements comme l’annonce récente du « PTZ+ » (Prêt à Taux Zéro Plus) par le Secrétaire d’État au Logement Benoist Apparu, ou encore la publication des derniers indices de prix, tournent la plupart du temps autour de la même idée : le logement est une affaire d’État. C’est d’ailleurs une conception que semblent partager profanes et professionnels.

Il est vrai que le marché de l’immobilier résidentiel est massivement dépendant des dispositifs publics de soutien de la demande et des conditions favorables de crédit : dans le neuf, près des trois quarts des ventes pour 2009 ont bénéficié d’une aide publique (défiscalisation ou aide à l’accession).

Pourtant, il faut garder en tête que toutes les politiques nationales d’aide à l’acquisition d’un logement sont conditionnées par des dispositifs d’attribution locaux : depuis 2007, le doublement du prêt à taux zéro et le Pass-Foncier du 1% logement, dont la combinaison représente un puissant outil de solvabilisation des accédants, ne peuvent être déclenchés sans l’octroi d’une aide locale même de faible montant.

Dans ce contexte, l’analyse empirique des politiques locales du logement s’avère particulièrement cruciale pour comprendre le fonctionnement de l’accession aidée et pour espérer la faire évoluer dans un sens plus efficace et plus juste. Une récente étude de l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement tentait de dresser un tableau exploratoire des différents modèles locaux de concertation entre acteurs locaux du logement, au premier rang desquels collectivités locales et promoteurs immobiliers. Il s’agissait d’aborder la question sans tabous et d’analyser ces modèles en tenant compte de toutes les pratiques, officielles et officieuses, qui en fondent la cohérence.

Qu’est-ce qu’une négociation ?

C’est sur le territoire des communes urbaines et périurbaines que se concentre l’essentiel de l’activité de promotion immobilière.

Dans le cas général, la clé de voûte des négociations est la délivrance du permis de construire par l’autorité compétente (commune ou communauté d’agglomération délégataire). Dans le droit positif, cette délivrance n’est pas une compétence discrétionnaire mais une compétence liée à la commune. L’autorité en charge de l’instruction du permis vérifie la compatibilité du dossier de demande aux différents documents d’urbanisme régissant la constructibilité du terrain (Plan Local d’Urbanisme, etc.), et délivre automatiquement le permis si cette compatibilité est avérée. En pratique, dans la plupart des communes urbaines, cette délivrance donne lieu, pour des projets dépassant une certaine importance, à des tractations multiples tendant à rendre discrétionnaire – c’est-à-dire stratégique – la délivrance du permis par la collectivité territoriale. Le but de l’opération est que le projet respecte non seulement les conditions écrites de l’urbanisme règlementaire en vigueur sur le territoire, mais aussi les « clauses non écrites » émanant de l’autorité publique : partage du coût des équipements, contraintes diverses sur les formes et les types de logements, et surtout éventuels quotas de logements locatifs sociaux ou de logements en accession à prix maîtrisés. Ces contraintes peuvent être perçues comme des facteurs d’incertitude susceptibles de compromettre le montage d’opérations de promotion. L’enquête a montré que les négociations ont toujours pour but la réduction sélective de cette incertitude.

Le plus important se joue toujours en amont du dépôt du permis de construire. Collectivités et promoteurs ont intérêt à ce qu’au moment officiel de la première demande, le permis déposé soit déjà conforme aux clauses non écrites. Cela suppose des contacts variés dont l’occasion ne manque pas dans la vie locale : échanges au sein des réseaux professionnels de la promotion immobilière, contacts téléphoniques, réunions formelles ou informelles, rencontres et échanges au gré des colloques, séminaires et cocktails qui les suivent, où se trouvent souvent concentrés l’essentiel des acteurs publics et privés. Par ce biais, les promoteurs sont bien informés des clauses non écrites « d’ordre public », pour ainsi dire, qui s’appliquent indifféremment à la plupart des projets. En Île-de-France par exemple, un promoteur explique : « on sait que, où que l’on construise, on devra faire au moins 20 % de logements sociaux ».

En outre, il est de rigueur pour tout promoteur de sonder auprès de la collectivité la constructibilité attendue pour un terrain qu’il projette de construire. De cette constructibilité dépend tout l’équilibre financier de l’opération, ainsi que le prix d’achat proposé au propriétaire foncier. Au-delà d’une certaine taille d’opération, cette constructibilité ne peut pas être considérée comme une donnée du zonage du PLU. Elle est généralement directement discutée entre les acteurs : les plans d’urbanisme des grandes communes sont de ce fait beaucoup plus instables que ceux des petites communes, puisque constamment révisés au gré des opérations publiques ou privées.

Cette phase exploratoire prend la forme d’une double discussion bilatérale : avec la collectivité, comme on l’a vu, et avec le propriétaire du terrain, consulté simultanément. Il arrive souvent que la transaction doive se conclure alors que la constructibilité réelle du terrain est encore inconnue. Pour réduire l’incertitude, le terrain est toujours vendu sous clause suspensive (c’est-à-dire sous réserve d’obtenir le permis de construire aux conditions fixées), et il existe des contrats à plusieurs prix de vente indexés sur plusieurs densités envisageables, alors que la densité réelle autorisée n’est pas encore connue – le maire doit alors négocier avec le promoteur et avec le propriétaire foncier, qui ont tous deux intérêt à une sortie dense.

Plusieurs types de systèmes locaux de négociation

Le renouveau récent des politiques locales d’aide à l’accession s’est traduit par l’apparition de différents systèmes locaux de négociation.

On peut distinguer deux archétypes : les collectivités « planificatrices », où les contraintes pesant sur les programmes ont fait l’objet de négociations-cadre entre collectivité et opérateurs et dépassent le cadre singulier des programmes ; les collectivités « négociatrices », où, bien que certaines contraintes générales existent, la plupart sont négociées dans le cadre singulier des programmes courants. Ces archétypes, plutôt que de correspondre véritablement à des exemples concrets, permettent de situer le cas d’une ville entre ces deux pôles.

Brest Métropole, par exemple, illustre ce que peut être un système de négociation-cadre. La communauté urbaine dispose de longue date des pleins pouvoirs en matière d’urbanisme. En appuyant leurs expertises sur des observatoires locaux performants, les pouvoirs publics organisent régulièrement une « conférence intercommunale des acteurs de l’habitat » regroupant élus, services techniques, promoteurs, bailleurs sociaux, constructeurs, banquiers, pour définir et exposer les objectifs de la politique communautaire. Cette conférence met en place et organise les « groupes de travail » de Brest Métropole réunissant des acteurs spécialisés pour négocier des questions plus précises ou des projets en cours de montage. Ces groupes de travail débouchent sur une contractualisation des objectifs et des moyens discutés. Cette contractualisation n’est pas à entendre au sens formel : elle ne débouche pas sur des ZAC. Elle est plus simple, voire simplement orale.

Ce processus de négociation confine à la co-élaboration des projets immobiliers : il élimine incertitudes et asymétries d’information en contrepartie de marges réduites pour le promoteur. À Brest, en effet, tous les programmes sont grevés de 50% de logements locatifs sociaux et/ou de logements en accession à prix maîtrisés.

À l’opposé, l’archétype de la collectivité « négociatrice » se caractérise par un processus de négociations par tâtonnement. Les différents acteurs ajustent alors leurs comportements et leurs exigences au gré des rencontres, de la nature des projets et de l’évolution de la conjoncture. Le rapport de force n’est pas clairement défini mais a tendance à évoluer : au cours des années 2000, la forte hausse des prix de l’immobilier rendait très suspectes aux yeux des élus les plaintes des promoteurs contre des contraintes trop coûteuses. En revanche, à partir de la crise économique de 2008 et du Plan de Relance (qui étendait les conditions d’octroi du Pass-Foncier et doublait le Prêt à Taux Zéro dans le neuf), les promoteurs ont pu être nettement plus écoutés par les élus. La forte baisse de la demande anticipée a encouragé les promoteurs à solliciter de la part des collectivités des mesures de solvabilisation des acheteurs et à accepter les contraintes de prix que ces mesures font peser sur les programmes. Les promoteurs sont devenus très demandeurs de ces dispositifs et ce sont eux, en partenariat avec le Crédit foncier, les communautés d’agglomération et les Agences Départementales pour l’Information sur le Logement, qui ont invité les communes à se servir davantage de ces instruments.

Dans un système de ce type, l’incertitude est maîtrisée par le processus continu des discussions, mais ne disparaît pas : promoteurs et collectivités ont intérêt à conserver des zones d’ombres, les premiers pour préserver des marges intéressantes au gré des projets, les seconds pour préserver les confortables marges de manœuvre liées à l’usage stratégique du monopole de gestion du droit des sols. C’est en ce sens qu’on peut parler d’une réduction sélective de l’incertitude.

L’accession sociale toujours en quête de sens

Les systèmes locaux de négociation visent avant tout à mettre en conformité les intérêts divergents des acteurs locaux du logement. Dans certains cas, les solutions trouvées et acceptées par les acteurs restent relativement éloignées d’un intérêt général correctement défini.

Le cas de l’accession sociale est un bon exemple des failles des systèmes locaux de négociation. Dans les faits, lorsque les collectivités mettent en œuvre des programmes d’aide à l’accession, on observe une grande diversité des contraintes d’urbanisme qui en résultent. La vision locale de ces politiques articule systématiquement aide à l’accession et contraintes de prix de sortie maîtrisés sur les programmes privés associés à ces aides.

La contrainte de prix maîtrisés peut être écrite ou non écrite. Généralement, elle est non écrite quoique connue de tous. Cependant, de nombreux documents en portent la trace explicite : d’abord des articles de Plans Locaux de l’Habitat, mais aussi des délibérations de conseils municipaux, qui peuvent stipuler ce genre de contraintes. Dans ces documents, on ne les trouve pas de façon isolée : elles viennent généralement compléter des dispositifs d’urbanisme où les clauses de prix maîtrisés sont de droit commun, comme le Pass-Foncier, le PSLA (Prêt Social Location-Accession), les zones ANRU (zones gérées par l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), éventuellement des ZAC (Zones d’aménagement concerté), des mises à disposition de terrain communal, ou encore une politique de compensation de la surcharge foncière, comme à Aix-en-Provence ou à Rennes. Dans ces opérations, la collectivité intervient financièrement dans les bilans des opérations pour compenser le manque à gagner dû au plafonnement des prix de sortie. Cet ensemble de dispositions suffit généralement à étayer une politique de quotas de prix maîtrisés sur tous les programmes privés, y compris ceux qui ne bénéficient pas de subventions directes.

Tout le problème est que les logements à prix maîtrisés produits dans le cadre de ces systèmes combinant politiques officielles et clauses officieuses sont généralement vendus à travers des réseaux assez fermés, selon des procédures pilotées par les collectivités elles mêmes, visant à faire valoir des critères de « préférence communale ». Pour illustrer cette notion, un promoteur impliqué dans les campagnes de sensibilisation des petites communes d’agglomérations aux dispositifs d’aide à l’accession expliquait par exemple : « les Pass-Foncier qui marchent sont ceux qui ont des clauses illégales ». Cet avis est généralement partagé par les services d’urbanisme des collectivités d’agglomération. Selon lui, les maires, souvent peu avisés du mode de fonctionnement voire de l’existence des dispositifs comme le Pass-Foncier, ne sont disposés à déployer ce dispositif que s’ils y trouvent un intérêt politique, comme loger dans des conditions avantageuses certains habitants de la commune : les listes d’attentes sont alors gérées selon le principe de la préférence communale, illégale en l’état car discriminatoire. Les conditions d’accès aux logements à prix maîtrisées sont généralement assez obscures : la préférence communale est un point de discorde entre mairies et intercommunalités, qui peinent à intervenir dans les processus d’attribution, ce qui révèle la difficulté d’une définition globale de l’intérêt général dans les bassins d’habitat.

Il s’agit d’ailleurs souvent pour les élus de favoriser les administrés méritants. Tous les moyens sont bons pour contrôler les files d’attente : réunions d’information chez des particuliers triés sur le volet, parution d’annonces dans les bulletins municipaux 15 jours avant la commercialisation officielle du programme, etc.

En Île-de-France en particulier, où les logements bon marché sont une ressource extrêmement rare, le manque de professionnalisme dans la gestion des procédures d’attribution débouche régulièrement sur des aberrations : un exemple parmi d’autre est le cas où ce sont les cadres de l’entreprise de promotion elle-même, par nature informés en priorité, qui achètent les logements à prix maîtrisés pour y faire du locatif défiscalisé. Cela n’est pas frontalement illégal, mais la politique rate alors complètement son but.

Cette gestion peu équitable de l’aide publique ne doit cependant pas être érigée en cas général : les pratiques sont très variables et dans les grandes collectivités urbaines, où les systèmes de négociations sont bien établis, les objectifs politiques sont mieux définis, généralement à l’échelle pertinente du bassin d’agglomération, et les procédures d’attribution mieux rodées et plus justes.

Les futures évaluations du PTZ+, recentré sur les zones urbaines tendues, devront tenir compte de la diversité de ces usages pour juger de l’efficacité de l’action publique. Et ce d’autant plus qu’avec la fusion annoncée du Pass-Foncier et du PTZ, beaucoup de systèmes vont être à reconstruire : l’attribution du PTZ+ ne dépend plus des collectivités mais il est trop tôt pour dire dans quelle mesure ce dispositif court-circuitera les politiques locales. Une chose est certaine : la forte hausse des prix de l’immobilier contrarie les systèmes locaux d’acteurs en ce qu’elle favorise les stratégies non coopératives : le niveau des prix est jugé indécent par les collectivités, qui se soucient alors peu de l’efficacité économique des contraintes qu’elles apposent sur une partie des programmes et cherchent à satisfaire dans l’urgence des administrés affolés. Les promoteurs anticipent sur la hausse des prix et sur une demande forte et limitent au strict nécessaire leur coopération avec les collectivités. En période de crise, en revanche, les stratégies coopératives sont privilégiées par les acteurs privés à la recherche des clients solvabilisés par les politiques d’aide. Dans un contexte de reprise de la hausse des prix envers et contre tous les discours alarmistes des collectivités et des observateurs, restent à inventer des systèmes locaux de concertation stables sur le long terme, capables d’agir sur les références globales des prix plutôt que de se limiter à isoler artificiellement quelques logements de la vague de hausse.

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En savoir plus

- Dupuy, Guilhem. 2010. « Le maire, l’accession sociale et le promoteur. La négociation entre élus locaux et promoteurs : une analyse stratégique », Habitat Actualité, Paris : ANIL, février.

- site de l’ANIL : http://www.anil.org

Pour citer cet article :

Guilhem Dupuy, « Le maire, le promoteur et l’accession sociale. Les négociations entre promoteurs et élus locaux sur les programmes de logements. », Métropolitiques, 3 décembre 2010. URL : https://metropolitiques.eu/Le-maire-le-promoteur-et-l.html

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