Accéder directement au contenu
Terrains

Le Père Noël, aménageur du Grand Nord

Le mythe du Père Noël a contribué à l’aménagement du territoire lapon depuis les années 1960. Servant d’abord d’arguments au développement du tourisme dans une région enclavée, l’image du Père Noël devient un support à la construction de parcs technologiques. Marc Lohez s’interroge sur les effets et la durabilité du marketing territorial de Noël.

Comme dans un conte de Dickens, l’esprit de Noël semble avoir changé la destinée de la commune de Rovaniemi, capitale de la Laponie finlandaise. En 1944, l’armée allemande a laissé la ville en ruines ; cinquante ans plus tôt, la Laponie avait été frappée de l’une des pires famines européennes, poussant des milliers de Finlandais à émigrer aux États-Unis. De ce pays neuf est venu un des acteurs majeurs de l’essor de Rovaniemi : le Père Noël.

La capture du Père Noël

Les illustrateurs américains ont donné une physionomie au personnage né d’un poème écrit à New York en 1822, attribué au pasteur Clzment Clark Moore. Ils lui ont attribué une résidence, le pôle Nord, dans les années 1880. Les Finlandais ont très tôt adopté l’image du Père Noël américain pour incarner leur personnage donneur de cadeau, Joulupukki. Au moment où les enfants des Trente Glorieuses prenaient l’habitude d’envoyer une lettre au Père Noël, des milliers de missives arrivaient du monde entier en Finlande. En 1976, le gouvernement finlandais a décidé de déplacer à Rovaniemi le service postal en charge du courrier de Noël. Pourtant, Markus Rautio, animateur de la radio finlandaise, avait appris aux petits Finlandais que le Père Noël vivait avec ses elfes et ses rennes au mont Korvatunturi en Laponie, à proximité de la frontière soviétique. Les autorités finlandaises ont donc placé les bureaux du Père Noël à plusieurs centaines de kilomètres de son domicile.

Au pays de Nöel…

Le projet de transformer la Laponie en pays du Père Noël (Joulupukin Maa) remonte aux mêmes années 1960, et correspond aussi à la volonté de développer le tourisme dans une région dont l’économie forestière et minière peine à fournir les emplois suffisants à retenir ses habitants, avec déjà l’idée d’un parc à thème à Rovaniemi. L’établissement du bureau de poste à Rovaniemi a été le premier pas. La capitale de la Laponie n’a pas seulement été choisie en fonction de son rôle administratif : dotée d’un aéroport long courrier, elle contrôle aussi la principale route vers le nord de la Laponie et vers le cap Nord. Dernière ville importante avant le quasi-désert arctique finlandais, elle avait été longtemps une simple ville de transit touristique, avant que la proximité avec le cercle polaire ne soit mise en valeur dès les années 1950. À quelques kilomètres au nord du centre-ville, le lieu, signalé par un panneau, où la grande route du nord croise le repère géographique, était déjà devenu l’incontournable cadre de la photo-souvenir des explorateurs du Grand Nord et le lieu d’accueil des hôtes de marque de la ville depuis la visite de la veuve du Président Roosevelt (Pretes 1995).

La situation sur le cercle polaire et la capture du Père Noël américain vont faire de Rovaniemi et de la Laponie le pays de Noël. Dès 1985, le village du Père Noël est ouvert sur le cercle polaire. Si la réalisation finlandaise est devancée d’un an par son équivalent suédois, Rovaniemi va rapidement écraser ses concurrents nordiques dans le domaine du tourisme à la barbe blanche. Un quart de siècle plus tard, le dispositif est impressionnant : dans la zone du cercle polaire située entre l’aéroport et la ville sont localisées les deux attractions majeures, le village du Père Noël et le Santa Park, un parc à thème souterrain qui proposent des activités autour de la rencontre avec le Père Noël.

Toutefois, le parc à thème, situé dans un ancien abri de défense civile, a connu bien des déboires économiques depuis son lancement en 1998. Il n’est ouvert qu’au cœur des saisons d’hiver et d’été. Au contraire, le village du Père Noël, deux kilomètres plus loin, ouvre toute l’année le bureau de poste du Père Noël et une galerie marchande, dans une ambiance « forestière » (intérieurs en rondins de bois, village fondu dans les sapins, etc.). Plus récemment a été construit le Joulukka, chalet en bois perdu dans la forêt, dédié aux traditions et à la magie de Noël. La rencontre avec le Père Noël est organisée sous forme de randonnées en traîneau tiré par des rennes ou en motoneige. Cette initiative montre l’évolution du tourisme de Noël vers les possibilités offertes par la nature de ce « Grand Nord » européen. Elles sont de plus en plus associées à des séjours à thèmes de très courte durée, particulièrement prisés par les touristes du Royaume-Uni. Des vols directs relient les aéroports des îles Britanniques aux villes lapones. Rovaniemi a aussi essaimé plus au nord la recette de la visite touristique au Père Noël. Elle l’a également exportée, installant dans le nord du Heilongjiang chinois, près de la frontière russe, un parc à thème sur le modèle du village du Père Noël.

Un pôle touristique et économique de dimension européenne

Le savoir-faire cultivé depuis un quart de siècle par la capitale de la Laponie lui permet de se présenter désormais comme un pôle d’excellence dans le domaine de « l’industrie de l’expérience », un domaine associant le tourisme et d’autres activités, de loisirs, culturelles, faisant vivre une expérience, y compris au travers des réalisations multimédia. Son université comprend un centre de recherche sur le tourisme. Le Centre lapon d’expertise pour l’industrie de l’expérience (LEO) qui dépend du ministère finlandais de l’économie, promeut les innovations dans ces domaines. Outre le soutien de l’État, la ville de Rovaniemi bénéficie des efforts de la grande ville du nord de la Finlande, Oulu, pour redistribuer vers la Laponie en voie de dépeuplement une part de son dynamisme acquis grâce aux nouvelles technologies. Le parc technologique d’Oulu a essaimé toute une série de petits technopoles spécialisées, le réseau Multipolis.

Pôles universitaires et de haute technologie

À Rovaniemi, le centre « Aurora Borealis » est dédié aux techniques de l’information, notamment en matière de tourisme. C’est ici que le parc technologique du Père Noël a été inauguré en novembre 2004. Il s’inscrit dans la zone périphérique de Rovaniemi, entièrement structurée autour de l’image du Père Noël : le triangle de Noël, qui a pour sommets l’aéroport, le Santa Park et le village du Père Noël. Les entreprises installées se consacrent à la recherche appliquée et à la production de médias électroniques autour du thème du Père Noël (animation 3D, sites Internet, produits pour téléphones portables, etc.), mais également de services en ligne comme l’envoi – payant – de « vraies » lettres du Père Noël personnalisées. Plus récemment, une entreprise de prospection et d’extraction minière est venue s’installer dans les locaux que venaient de quitter un des pionniers de la technopole : Joulupukki.tv, maison de production de vidéos, de sites Internet autour de Noël et du tourisme.

La magie de Noël à l’épreuve du désert lapon

Le départ cette entreprise vers le centre-ville marque-t-elle les limites de la création d’un territoire dédié au Père Noël ? La volonté de fonder l’image de la capitale de la Laponie sur l’identité de ce vieillard débonnaire a été poussée très loin (Hall 2009). Rovaniemi a déposé comme marque les appellations la définissant comme la résidence officielle du Père Noël [1], voulant faire reconnaître officiellement le Père Noël de Rovaniemi comme celui de l’Union européenne. Sans doute ce marketing territorial a-t-il permis à Rovaniemi de fusionner avec la commune de Rovaniemi-Campagne, doublant ainsi son potentiel démographique et stimulant ses moyens d’action économiques. Mais l’engouement pour le personnage pourrait s’essouffler. Les sombres perspectives pour la saison de Noël 2011 (trente mille visiteurs en moins d’après les responsables de certaines entreprises touristiques de Rovaniemi) ne sont-elles dues qu’à la dureté de la conjoncture ou annoncent-elles la fin de la magie de Noël et un désenchantement pour la Laponie ? On peut redouter aussi l’impact du déclin de la neige pour cause de réchauffement climatique sur le tourisme de Noël. Rovaniemi tente depuis plusieurs années de diversifier ses rôles d’avant-poste de l’Union européenne dans le Grand Nord, notamment en tentant d’obtenir la création d’un centre d’information arctique de l’Union qui serait piloté depuis son université.

Mais le dynamisme et l’esprit de conquête des autorités de la capitale régionale, qui permettent à sa population de croître en accueillant jeunes actifs et nouveaux retraités, ne parviennent pas à enrayer le déclin démographique de la Laponie. Elle a perdu des dizaines de milliers d’habitants depuis les années 1960 et malgré la découverte de nombreux gisements d’or et d’autres métaux, exploités depuis plus de cinq ans, cette tendance ne s’inverse pas. L’immense commune de Rovaniemi (8 000 km2) rassemble désormais le tiers des 180 000 âmes de la Laponie et risque de se retrouver bien seule dans son royaume du Père Noël.

Bibliographie

  • Hall, C. M. 2009. « Changement climatique, authenticité et marketing des régions nordiques », Téoros, vol. 28, n° 1, p. 70-79.
  • Lohez, M. 2001. « Un technopôle arctique, Oulu (Finlande), fief de Nokia », actes du Festival international de Saint-Dié.
  • Perrot, M. 2002. Sous les images, Noël, Paris : Le Seuil.
  • Pretes, M. 1995. « Postmodern Tourism : The Santa Claus Industry », Annals of Tourism Research, vol. 22, n° 1, p. 1-15.

Faites un don

Soutenez
Métropolitiques

Soutenez-nous

Pour citer cet article :

Marc Lohez, « Le Père Noël, aménageur du Grand Nord », Métropolitiques, 23 décembre 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Le-Pere-Noel-amenageur-du-Grand-Nord.html

Lire aussi

Ailleurs sur le net

Newsletter

Recevez gratuitement notre newsletter

Je m'inscris

La rédaction publie

Retrouvez les ouvrages de la rédaction

Accéder

Faites un don

Soutenez
Métropolitiques

Soutenez-nous
Centre national de recherche scientifique (CNRS)
Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

Partenaires