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L’immobilier de bureaux, nouvel objectif stratégique des entreprises

L’immobilier de bureaux a acquis depuis une dizaine d’années une nouvelle fonction stratégique pour les entreprises. Dans son dernier ouvrage, Ingrid Nappi-Choulet rend compte de cette évolution. Elle montre de quelle façon les acteurs de ce marché ont évolué en intégrant les critères financiers dans le pilotage de l’activité immobilière des entreprises.

Recensé : Ingrid Nappi-Choulet, L’Immobilier d’entreprise, analyse économique des marchés, Paris : Economica, 2013, 256 p.

Il est assez courant de pointer la relative rareté des études sur les marchés immobiliers en France, ainsi que le caractère lacunaire des sources et des données. Ce constat s’impose avec plus de force encore pour l’immobilier non résidentiel que pour le logement. Si l’intérêt suscité par l’immobilier d’entreprise, et en particulier par le marché des bureaux, a été vif dans les années 1990 dans un contexte de crise de ce secteur, il ne s’est pas renouvelé après 2008, sans doute parce que la crise des subprimes s’enracine dans le marché du logement. Pourtant, l’immobilier d’entreprise a connu depuis une quinzaine d’années des transformations considérables, qui affectent aussi bien son financement que son environnement réglementaire ou encore son système d’acteurs.

Dans ce contexte, la parution d’un manuel consacré à l’immobilier d’entreprise est à la fois notable et bienvenue, d’autant plus que son auteur, Ingrid Nappi-Choulet, est la principale spécialiste de ce domaine en France depuis le milieu des années 1990. Dans la continuité d’un précédent manuel (Nappi-Choulet 1999), cet ouvrage avant tout destiné aux étudiants en management et aux praticiens (ou futurs praticiens) intègre les évolutions récentes du secteur et permet d’interroger, à travers les pratiques des professionnels, la façon dont la dimension financière tend à structurer les modes de gestion, les logiques d’investissement et le fonctionnement des marchés.

La gestion et l’investissement structurés par des logiques financières

Le sous-titre de l’ouvrage (« analyse économique des marchés ») correspond, en fait, à la deuxième partie, la première étant consacrée aux biens et aux acteurs dans le cadre d’une approche qui fait la part belle au management. Le tour d’horizon des différentes composantes de l’immobilier d’entreprise, qui forment un ensemble très hétérogène allant des tours des centres d’affaires aux boutiques en pied d’immeuble, précise la part respective des immeubles de bureaux, des locaux d’activité et industriels, et des locaux commerciaux tout en décrivant brièvement leurs principales caractéristiques. L’accent n’est pas mis sur les formes bâties mais sur la diversité des acteurs, dans la gestion comme dans l’investissement. La gestion est principalement présentée à partir de la question de la reconnaissance de la fonction immobilière dans les entreprises. Longtemps considéré comme une fonction de support, l’immobilier devient un « objectif stratégique » qui ne se réduit pas à un choix simple entre propriété et location, et dont le pilotage doit s’appuyer sur un suivi fin des indicateurs de rentabilité. Il représente, en effet, le deuxième poste des dépenses des entreprises après les salaires, et la hausse des prix et des loyers depuis le début des années 2000 renforce encore son poids. Il est bien montré que la structuration de cette fonction est un processus en cours, marqué par la reconnaissance de son importance, l’émergence des directions immobilières au sein des grandes entreprises et la mise en place d’instruments de gestion dans un contexte d’évolution des normes comptables et de la réglementation. L’auteur a d’ailleurs contribué à ce processus par la mise en place en 2004 de l’Observatoire du management immobilier, et c’est sans doute pourquoi une attention plus grande est portée à la fonction immobilière dans l’entreprise qu’aux autres professionnels de l’immobilier, intermédiaires ou prestataires.

Du côté de l’investissement, les principaux acteurs sont les investisseurs institutionnels (compagnies d’assurance, mutuelles…) et les sociétés foncières et immobilières, en particulier celles cotées en bourse comme les sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC), créées en 2003. Parmi les premiers, les investisseurs étrangers tiennent un rôle très important (40 % à 65 % des investissements selon les années depuis 1998). Les fonds spéculatifs nord-américains qui ont marqué les années 1990 laissent progressivement la place à des investisseurs d’autres nationalités, allemands notamment, moins court-termistes. La financiarisation de l’immobilier, qui recouvre à la fois l’évolution des sources de financement (importance croissante des marchés de capitaux) et celle des techniques de gestion d’actifs (l’immobilier d’entreprise étant traité de la même façon que les actifs financiers), est notamment mesurée par la hausse de la capitalisation boursière des sociétés foncières, nettement moins avancée en France (3,57 % de la capitalisation boursière parisienne) qu’en Grande-Bretagne (10 %) ou en Asie (45 % à Hong Kong). On compte toutefois d’importantes sociétés foncières françaises cotées telles qu’Unibail-Rodamco, Icade ou Gecina. Les déterminants de la décision d’investissement et les différentes stratégies d’investissement sont ensuite décrits de façon classique, en s’appuyant sur les mathématiques financières, avec un moindre recours aux données empiriques.

Des marchés cycliques

On passe ensuite logiquement aux principes de l’analyse des marchés, en commençant par des éléments de cadrage et par la présentation des filières de production (filière utilisateur et filière promoteur). Le rôle des pouvoirs publics n’est pas pris en compte. Dans la lignée d’ouvrages de référence tels que l’Économie immobilière (Granelle 1998) sont ensuite successivement abordés les marchés locatifs, les marchés d’investissement, puis leur articulation. Le cadre théorique retenu est celui de la microéconomie néoclassique, quelque peu complexifiée par les spécificités des biens immobiliers (localisés, durables et hétérogènes), essentiellement préoccupée de la détermination des quantités et des prix. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, la discussion des modèles et des équilibres de marché est relativement peu développée et laisse la place à la description des sources disponibles et aux indicateurs de suivi des marchés, comme le taux de vacance. Les données rassemblées dressent un panorama de l’évolution des marchés depuis les années 1980, qui confirme leur dimension cyclique tout en pointant une érosion des rendements locatifs consécutive à l’augmentation tendancielle des prix. Celle-ci n’est pas sans conséquence car elle contraint les investisseurs à accorder plus d’importance à la recherche de plus-value.

L’articulation entre les marchés fait l’objet d’une partie synthétique. Les interdépendances entre marchés financiers et immobiliers sont approchées par le biais du taux de capitalisation, celles entre marchés fonciers et marchés immobiliers par le mécanisme du compte à rebours (c’est-à-dire le fait que le calcul du promoteur part du prix auquel il pourra vendre son programme, prix à partir duquel il détermine le prix du foncier acceptable pour son opération), tandis que les liens entre marchés locatifs et d’investissement le sont par le biais de modèles stock–flux. Le tout s’achève par une présentation succincte des cycles immobiliers et des bulles spéculatives. En ce qui concerne l’articulation entre marchés immobiliers et fonciers, le choix est explicitement fait de ne pas présenter de modèle portant sur les choix de localisation. L’ouvrage s’en tient donc aux questions de prix et de volume, ne traitant ni de la distribution spatiale des activités (par exemple l’alternative entre centre d’affaires et localisation périphérique des immeubles de bureaux), ni de la concurrence entre usages résidentiels et non résidentiels de l’espace. Sur ce plan, il reste fidèle à son objectif de former des praticiens, même s’il aurait été intéressant d’en dire plus, ne serait-ce que sur la façon dont les critères de localisation sont intégrés dans l’évaluation des projets d’investissement.

Si cet ouvrage s’en tient à son rôle d’exposition des concepts de base en immobilier d’entreprise, il apporte également des éléments de cadrage et de nombreuses données provenant de sources multiples, utiles à la connaissance de ce secteur et susceptibles d’intéresser au-delà du public cible. Triplement nourri de travaux de recherche de l’auteur, d’une longue expérience d’enseignement et de collaborations avec les professionnels, il offre un contenu dense et riche. De nombreux encadrés et exemples complètent utilement le propos, témoignant du souci pédagogique de guider le lecteur dans une matière parfois austère, souvent technique, et qui fait appel à un large éventail d’indicateurs et de ratios. Il est également révélateur d’un moment dans l’histoire récente de l’immobilier de bureaux, celui de la structuration depuis un peu moins d’une dizaine d’années de la fonction immobilière au sein de l’entreprise, dans un contexte de financiarisation de l’investissement immobilier.

Bibliographie

  • Nappi-Choulet, Ingrid. 1990. Marketing et stratégie de l’immobilier, Paris : Dunod.
  • Granelle, Jean-Jacques. 1998. Économie immobilière, Paris : Economica.

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Pour citer cet article :

Loïc Bonneval, « L’immobilier de bureaux, nouvel objectif stratégique des entreprises », Métropolitiques, 4 octobre 2013. URL : https://metropolitiques.eu/L-immobilier-de-bureaux-nouvel.html

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