Accéder directement au contenu
Débats

(Dé)mesure de la périurbanisation

La croissance du périurbain, unanimement décriée, suscite de nombreuses inquiétudes, économiques, environnementales et sociales. Pourtant, la définition même du phénomène est complexe et n’est pas sans effet sur sa mesure.

Espace en forte croissance depuis les années 1960 et dont le développement suscite de nombreuses inquiétudes, le périurbain est difficile à saisir du fait de son caractère ambigu, entre ville et campagne. Le terme de périurbanisation ne s’est d’ailleurs imposé que tardivement dans le champ scientifique français. C’est la nouvelle nomenclature spatiale de l’Insee élaborée en 1996 [1] qui consacre le terme : le périurbain devient alors une catégorie statistique officielle. Jusque-là, divers termes avaient été employés : celui de ZPIU (zone de peuplement industriel et urbain) en vigueur à l’Insee depuis 1962 ; ou celui de « rurbanisation », un néologisme mis sur pied par les géographes Bauer et Roux [2] afin de souligner le repeuplement partiel des campagnes dans un contexte de fort exode rural. Jugeant ces termes inadaptés aux rapides transformations de l’espace français, le ministère de l’agriculture, la Délégation interministérielle à la Ville et la DATAR commandèrent une étude à la Société d’Études Géographiques, Économiques et Sociologiques [3]. afin d’affiner la définition de ce qui allait devenir deux ans plus tard, dans la nomenclature officielle, le « périurbain ». Pourtant, sa définition n’est pas sans poser problème. Elle met en jeu la nature même du phénomène que l’on entend mesurer. Les critiques que lui ont fait les uns et les autres révèlent aussi les multiples acceptions que chacun prête à ce terme.

Les espaces périurbains font en effet l’objet de critiques récurrentes dans le débat public, qu’elles soient d’ordre culturel (apathie et individualisme de ses habitants), esthétique (uniformité de la construction pavillonnaire au détriment du patrimoine vernaculaire), économique (coût de la dépendance automobile pour les particuliers et de la desserte en réseaux pour la collectivité) ou encore environnemental (consommation d’espaces verts ou agricoles). L’enjeu est clairement le taux de croissance de ces espaces plus que leur existence, qui apparaît inhérente au phénomène urbain comme en témoigne l’existence ancienne des faubourgs. Ainsi, la nouvelle nomenclature de l’Insee devait permettre une meilleure connaissance de l’évolution des espaces périurbains. Selon cette définition, les espaces périurbains couvraient en 1999 plus de 15 000 communes et comptaient près de 12,5 millions d’habitants, soit 22% de la population française, contre 19 000 communes et 10,5 millions d’habitants dans les espaces ruraux. Toutefois, après une période de forte hausse au cours des années 1970, la croissance démographique des couronnes périurbaines aurait ralenti sur le plan démographique (+ 2,2 % par an entre 1975 et 1982 contre + 1,3 % par an depuis 1999) et l’extension spatiale de ces zones périurbaines, c’est-à-dire la distance à la ville centre, n’évoluerait plus que très faiblement. Couronnes périurbaines, banlieues et villes centres connaîtraient désormais des taux de croissance de plus en plus similaires [4].

Outre la mesure de taux de croissance, l’intérêt du nouveau zonage en aires urbaines de l’Insee, adossé au recensement de la population de 1990, est de mieux prendre en compte l’influence des villes sur les campagnes environnantes, en particulier en termes d’emploi (la « dépendance fonctionnelle »). Ce zonage divise en effet le territoire en deux grandes catégories : l’espace à dominante rurale, composé des petites unités urbaines et des communes rurales, qui couvrent plus des deux tiers du territoire métropolitain ; l’espace à dominante urbaine, composé des pôles urbains (unités urbaines d’un seul tenant offrant au moins 5000 emplois) et du périurbain (couronnes périurbaines et communes multipolarisées). Selon l’Insee, les couronnes périurbaines sont des communes dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaillent hors de la commune, dans le pôle urbain ou dans des communes attirées par celui-ci. La particularité des communes multipolarisées est de dépendre de plusieurs pôles urbains à la fois.

Une nomenclature sujette à controverse

Si on laisse de côté les débats sociétaux que soulèvent les espaces périurbains – parce qu’ils ne sont pas l’objet de cette note –, la nomenclature retenue par l’Insee n’en reste pas moins sujette à controverse. En premier lieu, et comme toute catégorie statistique, elle est soumise à un effet de seuil qui sépare artificiellement les communes où au moins 40 % des actifs sont attirés par la ville des autres. D’autres seuils d’activité auraient probablement modifié les frontières du périurbain. Toutefois, l’Insee effectue des tests de robustesse afin de contrôler qu’au seuil de 40 %, les variations sont moindres. D’autres questions d’ordre sociologique interrogent la définition des espaces périurbains. Les déplacements domicile-travail sont-ils les seuls déplacements structurants des styles de vie périurbains ? Comment dans ce cas prendre en compte les déplacements vers les pôles de services, de commerces, de loisirs ? De plus, pour la population résidente qui n’effectue pas de migration alternante, l’espace vécu n’est clairement pas celui de l’agglomération. Enfin, la catégorie statistique de périurbain homogénéise des espaces qui n’ont rien en commun selon la taille du pôle urbain de référence (ville moyenne, petite, etc.). Par exemple, le taux d’équipements collectifs, de services, ou même la densité du bâti peuvent être très variables d’une zone à l’autre. Pour Éric Charmes [5], la définition du périurbain devrait privilégier des critères plus qualitatifs et retenir une entrée par la géographie et l’urbanisme. Les territoires périurbains ont une dépendance fonctionnelle (et symbolique) à une agglomération, mais ils sont aussi marqués par une forte interpénétration des zones naturelles ou agricoles et des zones urbanisées – à la différence de la banlieue –, et par une faible mixité fonctionnelle et densité du bâti – à la différence de la ville.

Enfin, l’usage du terme périurbain par les sociologues mais aussi par certains géographes renvoie davantage à un mode de vie qu’à une localisation géographique. L’expérience des territoires à la périphérie des agglomérations varie en effet selon la taille de la commune centre, mais aussi le type d’habitat (petit collectif, individuel diffus ou groupé, etc.) ou encore le niveau de ressources de ses habitants. Entre le périurbain des classes moyennes à la conquête des espaces politiques locaux [6] et celui des « captifs » des lointaines couronnes [7], peu de pratiques urbaines, économiques, culturelles ou politiques sont communes. Sous l’effet des politiques d’accession sociale à la propriété, l’espace périurbain s’est en effet socialement diversifié en raison du faible coût du foncier dans ces zones. Selon Mischi et Renahy, il constitue même « la seule zone où le groupe ouvrier n’a pas vu ses effectifs diminuer » entre 1982 et 1999, « alors que la France métropolitaine concentre plus de 76 % de ses cadres en ville » [8]. Le périurbain, devenu pour partie le lieu de résidence de couches sociales plus modestes, recouvre ainsi des réalités sociales diverses qui interrogent la pertinence même de cette catégorie. Si elle semble insuffisante pour saisir finement l’évolution des villes et des sociétés urbaines, elle pourrait rester opérationnelle pour les collectivités locales qui supportent, pour partie, le coût de cette extension urbaine peu dense.

Faites un don

Soutenez
Métropolitiques

Soutenez-nous

Pour citer cet article :

Anne Lambert, « (Dé)mesure de la périurbanisation  », Métropolitiques, 11 mars 2011. URL : https://metropolitiques.eu/De-mesure-de-la-periurbanisation.html

Lire aussi

Ailleurs sur le net

Newsletter

Recevez gratuitement notre newsletter

Je m'inscris

La rédaction publie

Retrouvez les ouvrages de la rédaction

Accéder

Faites un don

Soutenez
Métropolitiques

Soutenez-nous
Centre national de recherche scientifique (CNRS)
Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

Partenaires