Les dispositifs participatifs se multiplient de façon exponentielle en France comme dans le reste du monde. « Débat public », « atelier citoyen », « budget participatif » font désormais partie du vocabulaire de l’action publique. Comment expliquer l’extrême diversité de ces dispositifs qui se réclament parfois du même modèle ? C’est à cette question difficile mais cruciale que s’attelle ce livre. Disons-le d’emblée, si l’ouvrage fournit une masse d’informations empiriques qui réjouira le lecteur averti, il ouvre davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. Il plonge en effet le lecteur au cœur d’une « mosaïque » d’expériences rarement présentées ensemble et dresse un panorama intéressant de la variété des dispositifs expérimentés en Europe et dans le monde. L’ouvrage les regroupe à partir de trois entrées : un dispositif, le budget participatif ; une procédure, le tirage au sort ; et un objet de la participation, le projet urbain. Chaque sous-partie est composée de trois ou quatre contributions, individuelles ou collectives, introduites par une courte présentation. Ainsi organisé, l’ouvrage rassemble dans une perspective diachronique et avec une attention particulière aux acteurs et à leurs réseaux, des expériences aussi distinctes que les budgets participatifs espagnols, l’Assemblée citoyenne de Colombie Britannique, les conseils de quartier à Paris ou encore « le partenariat entre citoyens et gouvernement à Dehli ».
Voyager entre ces différentes expériences pourrait être délicat. Ça ne l’est pas grâce à la grille d’analyse retenue par les auteurs et exposée en introduction. D’une part, l’ouvrage ordonne les textes selon les trois entrées évoquées plus haut. D’autre part, chaque article propose une « histoire croisée » permettant de comprendre « par quels réseaux d’acteurs, quelles institutions, se sont opérés des transferts » de dispositifs et de compétences. Par exemple, la lecture de l’expérience des Assemblées citoyennes canadiennes permet de découvrir l’invention et l’usage d’une procédure originale moins connue que celle du Budget participatif de Porto Alegre, articulant les légitimités tant délibérative que référendaire. Les articles donnent aussi une mesure de la plasticité de la notion de participation dans le champ urbain. Ils interrogent successivement la revitalisation du communisme municipal, les expériences néo-populistes indiennes, et le « cadrage instrumental » de la participation dans les grands ensembles allemands.
Le livre retient particulièrement notre attention sur la circulation des expériences participatives. Pour chaque cas, les auteurs suivent les fils des interactions concrètes nouées entre habitants, professionnels et élus ainsi que les logiques institutionnelles qui contribuent à la promotion d’une injonction à participer. Ils éclairent ainsi la diversité des logiques et des acteurs qui concourent à la formation de cette « constellation réformatrice » (Blondiaux, 2008) [1], à laquelle le monde universitaire contribue d’ailleurs activement par l’identification, la labellisation et la diffusion des « bonnes pratiques ».
Tous les articles convergent pour souligner les processus de rencontre et d’ajustement entre les aspirations venues d’en bas, donc des acteurs de terrain, et l’offre institutionnelle, venue d’en haut. L’ouvrage montre bien qu’au-delà de « l’impératif participatif » qui semble aujourd’hui s’imposer à tous de façon consensuelle, on constate en réalité l’existence de stratégies portées par des acteurs aux logiques distinctes, voire ambivalentes : désir d’approfondissement de la démocratie des militants, logiques de contrôle et d’ajustement institutionnel, usages politiques de l’offre participative. Ainsi le cas des budgets participatifs espagnols met-il en évidence, au-delà des références communes, la multiplicité des objectifs et des acteurs engagés et les particularités de chaque configuration locale. Cet exemple montre comment les bricolages institutionnels, les tentatives d’ajustement entre des procédures et les configurations locales conduisent à leur réinvention et à la redéfinition de leurs objectifs. Pour les auteurs, le « risque de l’institutionnalisation et de la routinisation » est faible tant « son développement même et sa transmission sont loin d’être acquis » (Flamand et Nez). Avançons plutôt l’hypothèse inverse : c’est justement parce que la récupération institutionnelle des innovations participatives est forte, que ces dispositifs doivent être à chaque fois réinventés (Dienel). Ceci peut expliquer l’érosion de la dimension subversive de certains dispositifs, ou du moins de certains discours (par exemple, ceux des néo-travaillistes anglais ou de Bertrand Delanoë cités dans l’ouvrage).
En conclusion de leurs articles, les auteurs s’interrogent sur l’horizon de ces expériences : « la démocratie participative va-t-elle s’essouffler, faute d’ambition portée d’en haut, ou donner lieu à une remobilisation associative ? » (Busquet et al.). Démocratie participative, participation sans démocratie, voire (il manque un mot) contre la démocratie ? Comme l’ouvrage ne propose pas d’analyse transversale des dynamiques structurelles et conjoncturelles – objet d’un prochain ouvrage ? – c’est au lecteur de se faire une idée sur le sens de ces « relations changeantes entre le public, le privé et le sociétal » que l’analyse empirique donne à voir « comme dans un miroir grossissant » (Dakowska). En l’absence de conclusion générale, il faut souvent lire entre les lignes pour analyser les processus d’institutionnalisation de la « démocratie participative » que les auteurs eux-mêmes contribuent à façonner comme un « horizon à atteindre dans lesquels la société civile jouerait un rôle fort de contre-pouvoir coopératif » (Allegretti et al.). À la lecture, on peut même se demander si « la démocratie participative », en tant qu’ensemble de procédures aux contours incertains, a une autre cohérence que celle que les chercheurs lui donnent en projetant sur ces expériences disparates leur propre conception de la démocratie.