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Essais

Après un an de Covid, l’heure des choix pour les finances locales ?

La crise sanitaire a fortement pesé sur les budgets locaux en 2020. Françoise Navarre pointe ici les incertitudes auxquelles les collectivités sont confrontées, entre impératifs de « relance » et de « maîtrise » des dépenses publiques.

Depuis le printemps 2020, les propos alarmistes prolifèrent : les difficultés résultant de la Covid provoqueraient un choc sans précédent pour les budgets locaux, suscitant leur dérapage, voire les conduisant dans une impasse. De fait, les finances de toutes les collectivités sont touchées mais de façon très différenciée. Par ailleurs si le gouvernement, appelé à la rescousse, a bien mis en place des mesures de soutien, elles sont souvent en demi-teinte. Plus qu’une sortie de crise, c’est bien un nouveau temps d’incertitudes qui s’ouvre pour les budgets locaux. Ce que l’on perçoit en prenant acte des pressions qu’ils ont subies récemment et des tensions qui préexistaient à la pandémie.

Des impacts budgétaires incertains

Les évaluations des impacts de l’épidémie sur les budgets locaux foisonnent. Pour autant, les experts soulignent combien les incidences de la crise sont délicates à apprécier (Cazeneuve 2020 ; Cour des Comptes 2020 ; Dauvin et al. 2020) : faut-il s’arrêter aux seules opérations financières des collectivités territoriales et de leurs groupements ou bien intégrer celles des tiers auxquels elles confient une partie de leurs missions (par exemple en matière de périscolaire, de culture, d’eau et d’assainissement ou de déchets…) ? Qu’imputer précisément à la pandémie alors que les élections locales ont elles aussi suscité des bouleversements ? Les périmètres d’évaluation variant, les chiffres sont incertains, ce qui contribue à alimenter les polémiques.

Les diagnostics convergent toutefois quant à la situation générale à l’aube de la pandémie. D’une part, chacun souligne que les perturbations en cours interviennent à l’issue d’une période de tensions majeures : pour l’essentiel, la réforme fiscale de 2010 (incluant la disparition de la taxe professionnelle), la stagnation de la Dotation globale de fonctionnement puis sa baisse brutale entre 2014 et 2017, alors qu’elle est le principal concours versé par l’État aux collectivités, ont porté atteinte au rythme de progression des ressources locales. D’autre part, le constat commun est que, malgré tout, l’état financier du secteur public local s’était amélioré ces dernières années. Fin 2019, la situation était saine, les décideurs locaux ayant recouvré des capacités d’épargne et d’endettement.

Avec les sollicitations engendrées par la crise sanitaire, les dépenses des collectivités ont augmenté. Les décideurs locaux ont procédé à des acquisitions de matériel sanitaire ou de protection. Assurer des services dans les conditions renforcées de précaution (en milieu scolaire par exemple) a aussi généré des coûts. Localement, des aides ont été apportées aux entreprises, aux ménages en difficulté, aux personnels placés en première ligne, etc. Des charges ont aussi été évitées : en temps de confinement, bon nombre de services publics locaux (culturels, sportifs…) ont été mis à l’arrêt. De plus, moins de services, c’est aussi moins de recettes tarifaires provenant des usagers, moins de droits acquittés en contrepartie de l’occupation du domaine public, etc.

Par ailleurs, du côté des recettes, les rentrées des taxes (de séjour, d’aménagement…) entretenant des liens avec le rythme des activités ont été moindres. Par contre, les budgets locaux étant pour l’essentiel alimentés par des impôts dépendants des stocks de biens (fonciers, immobiliers), ils ont été peu sensibles à ces faits de conjoncture : les rentrées de taxe d’habitation et foncières, de cotisation foncière des entreprises sont restées dynamiques.

Finalement, courant 2020, l’impact net de la situation de crise sur les budgets locaux est certes négatif, mais modeste : la perte nette par rapport à 2019 se situe entre –4 et –7 milliards d’euros, soit 1 à 3 % des recettes courantes de l’ensemble des collectivités. En lien, des inquiétudes planent quant au devenir des dépenses d’équipement. Ces dernières ont d’ailleurs déjà marqué le pas, atteignant à peine leur niveau de 2018. Pourtant, potentiellement, l’investissement public local, générateur de commandes et d’emplois dans le secteur du BTP, joue un rôle contracyclique (Cour des Comptes 2020).

Des impacts différenciés

Les impacts diffèrent toutefois selon les types de collectivités (communes, départements, régions…) et au sein de chacun d’eux. Les régions ont dans leur ensemble fait le choix d’accroître leurs dépenses de soutien aux activités économiques. Les communes semblent préservées mais avec des différences sensibles : les stations touristiques, les localités hébergeant un casino, les collectivités ultramarines ont été confrontées à une baisse notoire de leurs recettes. Les grandes villes, plutôt aisées, seraient les premières touchées. Enfin, les dépenses courantes des intercommunalités à fiscalité propre ont progressé, les hausses différant selon les compétences que leur ont confiées les communes. Ils varient aussi selon les interventions engagées localement, parfois en vue de pallier ce qui a pu être estimé comme relevant de déficits des politiques nationales en matière de protection, de santé, d’aide sociale, etc.

Les départements n’ont pas été épargnés. Une part de leurs recettes provient des droits de mutation à titre onéreux (imposés sur les ventes de biens) : elles ont été affectées par le moindre dynamisme des marchés immobiliers en période de confinement. Simultanément, en raison de la crise économique et du chômage, les dépenses liées au versement du RSA progressent. Baisse des recettes d’un côté, hausse des dépenses de l’autre conduisent à des risques de déséquilibres, susceptibles de se perpétuer pour les institutions départementales les plus fragiles (La Banque Postale 2020a). Les groupements compétents en matière d’organisation des mobilités ont quant à eux subi de plein fouet des pertes de recettes tarifaires (du fait de la moindre fréquentation des transports en commun), des baisses de leurs financements récurrents (versement transport payé par les entreprises à partir de onze salariés) tout en devant maintenir la plupart des charges d’exploitation des réseaux (Cour des Comptes 2020).
De la sorte, l’épisode sanitaire met à jour des fragilités dans les budgets des collectivités ; la diversité des situations révèle les difficultés à trouver un mode uniformisé de réponse politique, aussi bien pour panser les maux soudainement apparus que pour amorcer une sortie de crise.

Le soutien limité de l’État et l’appel aux collectivités dans le Plan de relance

Face aux revendications des représentants des collectivités, une succession de mesures d’appui aux budgets locaux a été mise en place au niveau national, incluant des solutions d’urgence (sous forme d’avances remboursables), des clauses de sauvegarde (des recettes domaniales et fiscales) et de garantie (des niveaux antérieurs de recettes) ainsi que des soutiens financiers (en compensation par exemple de l’achat de masques). Dans les faits, compte tenu des seuils, des délais impartis, des aléas dans les montants, un petit nombre de collectivités est éligible aux dispositifs de soutien [1] : celui-ci s’avère finalement limité.

Le Projet de Loi de finances adopté pour 2021 va plus loin, en associant les collectivités au plan « France Relance », initié en vue de renouer avec la croissance. De par leurs compétences, les collectivités sont parties prenantes d’actions visant la transition écologique, la souveraineté et la compétitivité économique ainsi que la cohésion sociale et territoriale, qui sont au cœur de ce plan. Cette préoccupation révèle une ambiguïté, voire une contradiction : après une période de rationnement pour les budgets locaux, les collectivités devraient s’impliquer financièrement en vue d’une « territorialisation » de la relance, celle-ci en constituant une des clés de sa réussite.

En outre, le plan contient une disposition qui interpelle les décideurs locaux : en vue de soutenir l’activité et le secteur industriel, la fiscalité locale économique (taxe foncière sur les propriétés bâties et cotisation foncière des entreprises revenant aux intercommunalités, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficiant aux régions) est allégée. Cette mesure est indolore à court terme pour les ressources des collectivités. Néanmoins, ces allègements font écho aux transformations fiscales intervenues en 2010, aux inquiétudes suscitées par la suppression – en cours – de la taxe d’habitation. Soit autant de mesures qui sonnent la fin de la fiscalité locale, remplacée par des impôts partagés et des dotations.

Et au-delà de la crise sanitaire ? Des incertitudes d’un nouvel ordre

De manière générale, les effets de la crise sanitaire sur les budgets locaux se manifesteront bien au-delà de 2020. Certaines ressources, comme la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) [2], parviennent en effet aux collectivités avec un décalage de plusieurs mois. Des traces subsisteront aussi pour certains services publics comme les transports en commun ou l’aide sociale, rendant inenvisageable un retour des finances des collectivités à l’état d’avant.

Surtout, ces évolutions se produisent dans le contexte d’une crise qui a engendré un changement plus général du cadre de référence budgétaire. En effet, engagements européens aidant, le niveau du déficit et de l’endettement publics servaient ces dernières années de points de repère dans la gestion des finances publiques. Ces fondamentaux ont volé en éclats, sous la pression des soutiens consentis par le gouvernement [3]. L’État – responsable du respect des règles européennes – sera-t-il en mesure de maintenir son train de dépenses ou bien, pour le réduire, optera-t-il pour une nouvelle cure de rigueur dont les collectivités feront les frais ? Ces dernières en appellent à un pacte financier avec l’État, les protégeant de tels risques.

Or, loin de faire cause commune dans la définition des modalités adaptées à une sortie des tensions budgétaires du moment, décideurs locaux et représentants de l’État ne cessent de s’opposer. Ces controverses portent sur l’évaluation des impacts budgétaires, les modalités de soutien par l’État, la territorialisation de France Relance (effets d’annonce, recyclage de crédits ou d’enveloppes existantes, délais impartis, mises en concurrence, logiques de guichets sectoriels…) et surtout les faibles marges de manœuvre locales face à des dispositions nationales qui s’imposent. Ces points d’achoppement agissent comme un symptôme additionnel, révélant encore une fois des luttes permanentes d’influence à propos de l’architecture financière intergouvernementale (Le Lidec 2011), du partage de ressources, par construction limitées. Tout en étant un épisode hors norme, la phase actuelle illustre les nœuds ordinaires des finances locales. À l’issue de décennies mouvementées de relations entre niveaux de gouvernement, il est ainsi probable que les incertitudes en cours pour l’action publique locale et pour son financement perdureront. Elles font écho à la place de la sphère publique dans l’économie et dans les régulations collectives (Plane et Sampognaro 2020) ; elles questionnent l’importance des dépenses des gouvernements, à leur couverture, soit par l’impôt, soit par l’emprunt. Du point de vue du fonctionnement économique et social, quelle place accorder aux prélèvements obligatoires, à leur limitation, voire à leur réduction (Pucci et Tinel 2020), ou bien à l’accroissement de la dette publique, quitte à envisager l’annulation de cette dernière (Hernu 2020) ? Toutes positions qui ne se règlent pas aisément.

Bibliographie

  • Association des maires de France (AMF), Banque des territoires Groupe Caisse des Dépôts. 2020. Analyse financière des communes et des EPCI : les leviers de l’investissement.
  • Baudu, A., Bin, F., Calmette, J.-F., Houser, M., Le Clainche, M. et Terrasse, Y. 2020. « Repères d’actualités des finances et de la gestion publiques. Spécial Covid-19 en mars 2020 », Gestion et finances publiques, n° 3, p. 134-141.
  • Cazeneuve, J.-R. 2020. Impact de la crise du Covid-19 sur les finances locales et recommandations, Rapport d’étude, Premier ministre.
  • Cour des Comptes. 2020, Finances et comptes publics. Les finances publiques locales 2020. Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, Fascicule 2, 118 p.
  • Dauvin, M., Ducoudré, B., Heyer, É., Madec, P., Plane, M., Sampognaro, R. et Timbeau, X. « Évaluation au 26 juin 2020 de l’impact économique de la pandémie de la Covid-19 et des mesures du confinement et du déconfinement en France », Revue de l’OFCE, n° 166, p. 111-160.
  • France Urbaine, La Banque Postale. 2020. Territoires urbains. Portrait financier, Édition n° 5.
  • Hernu, P. 2020. « Le “mur” de la dette publique », Gestion et finances publiques, n° 4, p. 10-16.
  • Klopfer, M. 2020. « Quel impact de la crise sanitaire sur les comptes locaux ? », Gestion et finances publiques, n° 3, p. 126-133.
  • La Banque Postale. 2020a, Note de conjoncture, Tendances 2020 par niveau de collectivités locales.
  • La Banque Postale. 2020b. « Collectivités locales et Covid-19. De la gestion de crise à la relance économique », Accès Territoires, hors série, juillet 2020.
  • Le Lidec, P. 2011. « Chap. 2 : La décentralisation, la structure du financement et les jeux de transfert de l’impopularité en France », in P. Bezes (dir.), Gouverner (par) les finances publiques, Paris : Presses de Sciences Po, p. 149-192.
  • Plane, M. et Sampognaro, R. 2020. « 2. La place de l’État dans l’économie », in OFCE Observatoire français des conjonctures économique (éd.), L’Économie française 2021, Paris : La Découverte, p. 18-34.
  • Pucci, M. et Tinel, B. 2011. « Réductions d’impôts et dette publique en France », Revue de l’OFCE, n° 116, p. 125-148.

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Pour citer cet article :

Françoise Navarre, « Après un an de Covid, l’heure des choix pour les finances locales ? », Métropolitiques, 12 avril 2021. URL : https://metropolitiques.eu/Apres-un-an-de-Covid-l-heure-des-choix-pour-les-finances-locales.html

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