Globalement, la théorie économique s’accorde sur la définition de deux principales catégories d’instruments de lutte contre la pollution à disposition du législateur (Joumni 2008, Percebois 2004, Weitzman 1974) : celle des instruments prix et celle des instruments quantités.
La catégorie des instruments prix trouve ses fondements dans les travaux de Pigou (1920) qui fut le premier à placer l’ État dans un rôle de modificateur des prix sur le marché en vue d’orienter le système économique vers des pratiques environnementales vertueuses. L’instauration d’une pénalité (la taxe) pour les pollueurs et d’une récompense (la subvention) pour les firmes non polluantes est l’illustration d’une telle démarche. Charge alors à l’État de déterminer le niveau de dommages occasionnés sur l’environnement et le niveau de la taxe et/ou de la subvention correspondants afin de les répercuter sur les prix.
La deuxième catégorie est celle des instruments quantités. Elle s’est développée sur la base des travaux du Nobel d’économie Ronald Coase autour de la définition des droits de propriété (Coase 1960). Cette approche transfère la totalité de l’effort de réduction de la pollution aux firmes industrielles. L’État régulateur détermine en amont le niveau quantitatif optimal de pollution (ou de dépollution) pour l’ensemble des firmes polluantes. Ces dernières chercheront par la suite à respecter leurs quotas respectifs. Celles qui produisent moins de pollution que leurs quotas peuvent émettre des certificats représentant la quantité de pollution non produite par l’entreprise. Les certificats peuvent ensuite être vendus sur un marché spécifique et achetés par les sociétés qui dépassent leurs quotas d’émissions polluantes. A la contrainte par les prix véhiculée par la taxe, se substitue donc une obligation sur les quantités de pollution à ne pas dépasser.
L’exemple des certificats blancs
Le marché des certificats d’économie d’énergie, ou certificats blancs, est une illustration de cette démarche (arrêté du 26 septembre 2006). L’autorité de régulation définit en amont un objectif quantitatif visant un certains nombre d’acteurs énergétiques, appelés les obligés, pour une certaine durée. Durant la période s’étalant du 1er juillet 2006 au 30 juin 2009, les vendeurs d’énergie (électricité, gaz, chaleur, froid et fioul), ont du réaliser un objectif total de 54 TWh d’économie d’énergie. Ils ont eu la possibilité de respecter leurs quotas en finançant des opérations d’économie d’énergie dans leurs propres bâtiments et/ou auprès de leurs clients. Ils disposaient pour cela de trois possibilités :
Respecter directement leurs obligations en investissant dans des procédés et des pratiques qui leur permettent de respecter leurs quotas et éventuellement de produire des certificats d’économie d’énergie susceptibles d’être commercialisés ;
Acquérir des certificats sur le marché ;
Payer une pénalité correspondant à la non réalisation de ces économies d’énergie et par conséquent à la non production de certificats.
L’instauration d’un marché des certificats permet ainsi au législateur d’éviter la contrainte liée à la détermination du prix de la pollution par la taxe et la subvention. Chaque industriel soumis à des obligations chiffrées cherche à produire des certificats d’économie d’énergie tant que leurs coûts relatifs sont inférieurs au prix du marché. Au-delà, il sera moins coûteux pour certains grands opérateurs énergétiques, tels que EDF, GDF ou Ecofioul, d’acheter directement les certificats que de réaliser les économies demandées.
Avec 60 TWh d’économie d’énergie réalisée, la première phase du programme de certificats d’économie d’énergie a permis de dépasser l’objectif prédéfini par le régulateur (54 TWh). Ce résultat soulève la question de la définition de l’objectif initial en matière de politique environnementale par le régulateur. En effet, l’une des difficultés principales dans la construction de ce type de marché est celle de la définition en amont des quantités totales de quotas à respecter et du périmètre des obligés susceptibles d’être soumis à ces quotas.
Des quotas difficiles à établir
Le régulateur devrait donc tenir compte de deux exigences qui peuvent être antagonistes. La première renvoie à l’efficacité environnementale de la politique publique. Le quota total d’économie à réaliser devrait être suffisamment haut pour permettre une modification significative en termes de pratiques et de diffusion de technologies plus vertueuses. La deuxième est relative à l’efficacité économique de ce mécanisme de marché. Le quota total ne devrait pas être trop contraignant au risque de conduire à une détérioration du tissu industriel par l’augmentation des coûts de production ou à des délocalisations.
Toute la difficulté réside dans l’arbitrage entre ces deux objectifs. Généralement l’observation de la construction de marchés similaires, comme celui des certificats d’émission en dioxyde de souffre engagé depuis les années soixante dix aux États-Unis, fait apparaître deux phases. Une phase de démarrage pendant laquelle le régulateur établi un quota initial par tâtonnement (généralement peu contraignant) pour le réévaluer à la hausse dans une deuxième phase sur la base des réalisations obtenues (respect de ce quota, technologies et pratiques appliquées, évolution des coûts de production pour les industriels, critères de contrôle, etc.). C’est ce qui semble expliquer le dépassement du quota total fixé dans le cadre du marché des certificats d’économie d’énergie pour la phase de démarrage (2006-2009) ainsi que la volonté du législateur d’augmenter sensiblement ce quotas pour l’après 2009.
Un autre paramètre économique pourrait expliquer également le dépassement de l’objectif chiffré dans le cas des certificats blancs. Pour transformer leurs quotas respectifs en certificats d’économie d’énergie, les industriels cherchent à investir en premier dans les gisements les moins coûteux. La valeur du certificat étant standard ce sont surtout les interventions sur les systèmes de chauffage dans le secteur résidentiel (remplacement de chaudières) qui ont été les plus pratiquées alors que celles touchant l’enveloppe des bâtiments (supposées plus coûteuses, mais potentiellement plus génératrices de certificats) n’ont pas été exploitées. En investissant d’abord dans les gisements les moins coûteux, les industriels ont pu développer une méthode d’apprentissage de ce nouveau marché, respecter leur engagement à moindre coût et se constituer un début de portefeuille de certificats en prévision de la prochaine période (2009-2011), celle-ci pouvant donner lieu à des quotas plus importants. C’est ce qui pourrait expliquer en partie le faible niveau de certificats échangés sur ce marché (moins de 1% de certificats échangés par rapport au total des certificats produits).
Quels sont les principaux enseignements de ce nouveau marché ?
La mise en place de ce marché intervient dans le cadre d’une approche coût-efficacité cherchant à valoriser les opérations les plus prometteuses en économie d’énergie aux prix les plus faibles. En terme d’analyse sectorielle et au vu des premiers résultats, le secteur du bâtiment semble particulièrement attractif pour ce mécanisme. Néanmoins, il convient de rappeler que l’intérêt de la mise en place du marché des certificats d’économies d’énergie (atteinte des objectifs environnementaux aux coûts les plus faibles) suppose une lisibilité des informations pour les acteurs, qu’ils soient des obligés soumis à des quotas et/ou des investisseurs potentiels. Aux termes des premières phases d’expérimentation, les autorités de régulation respectives pourraient calibrer les niveaux quantitatifs des nouvelles obligations et les pénalités associées en fonction du degré de développement du marché et des résultats chiffrés obtenus.