Qualifié de révolution culturelle, le Grenelle de l’environnement a catalysé des transformations en cours dans le secteur du bâtiment. Malgré cet engouement, les lois applicatives du Grenelle n’ont pas fixé d’obligation de rénover le parc de bâtiments existants. L’analyse des dispositions incitatives développées ces dernières années montre que l’enjeu des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) se situe essentiellement dans les dimensions sociales de leur mise en œuvre. Les différentes expérimentations menées à l’échelle des territoires témoignent des difficultés à dynamiser la rénovation de l’ensemble du parc des bâtiments existants.
Grenelle de l’environnement : le trop rapide consensus sur la rénovation énergétique des bâtiments
Le secteur du bâtiment a toujours été interpellé, voire bousculé, par des entreprises pionnières en matière d’habitat écologique et de production de proximité [1]. Plusieurs mouvements professionnels ou interprofessionnels, régionaux ou nationaux, ont poussé à des expérimentations dont a pu se saisir l’écologie politique. Des syndicats professionnels se sont appropriés les questions environnementales avant que les édiles politiques et économiques nationaux ne s’en saisissent. Le coup de génie de l’influente association des industriels des matériaux de construction consista à déposer la marque HQE (Haute qualité environnementale) avant d’en céder l’usage à l’association du même nom qui rassemblait au début des années 2000 les principaux regroupements professionnels de la construction, avec la bienveillance sélective des officines de l’État… Un Grenelle du bâtiment en quelque sorte, mais sans ministre et avant l’heure.
Lors des discussions du Grenelle, la convergence rapide et médiatisée autour de la question du bâtiment ne fut donc pas une surprise. Elle s’explique par l’importance du secteur en termes de gisement de réduction des émissions de CO2 et la disponibilité d’image des « bâtiments verts », symbolisant la voie vertueuse. Dans la mesure où l’on construit chaque année à peine 1 % de la surface déjà bâtie, l’échéance intermédiaire de 2020 (qui avait été retenue pour l’ensemble des secteurs) exigeait des objectifs ambitieux sur le parc de bâtiments existants. Ainsi le groupe de travail « Bâtiment et urbanisme », retient à l’automne 2007 un objectif global de consommation énergétique moyenne du parc résidentiel de -12 % en 2012 (210 kWh/m2/an) et de -38 % en 2020 (150 kWh/m2/an). Pour ce faire, il préconise lors des mutations (changements de locataire) la rénovation obligatoire des logements les plus énergivores (classe G) dès 2012, avec extension progressive aux classes E et F (énergie et GES) avant 2020.
Quelques mois plus tard, pourtant, au sein du comité opérationnel « Rénovation des bâtiments existants » du Grenelle, animé par le président de l’Agence nationale de l’habitat, le consensus se rompt sur l’échéancier. Des raisons économiques et pragmatiques sont évoquées pour reporter l’obligation de rénover lors des mutations [2] et le comité opérationnel adopte le principe d’une obligation à partir de 2012/2013, mais recommande d’en repousser l’annonce après la promulgation de la loi Grenelle 1. Finalement, les deux lois Grenelle discutées au parlement en 2009 et 2010 ne prévoient aucune obligation de travaux. Sans jouer les cassandres, on peut affirmer que celle-ci sera beaucoup plus longue à venir, a fortiori pour l’habitat collectif.
Du propriétaire aux collectivités locales, en passant par l’État : des modalités d’aides hétérogènes
Faute de dispositions rendant obligatoire la rénovation énergétique des bâtiments, l’État a jusqu’à présent puisé dans sa boîte à outils économiques (crédit d’impôt pour travaux « développement durable », doublement des prêts à taux zéro) et conforté des dispositifs spécifiques à l’énergie (certificat d’économie d’énergie) et au bâtiment (diagnostic de performance énergétique) déjà en vigueur avant 2007. Les statistiques publiées par l’Insee et le Commissariat général au développement durable soulignent une mobilisation croissante de ces dispositions par les particuliers : 1 résidence sur 7 aurait fait l’objet de travaux éligibles au crédit d’impôt entre 2005 et 2008 pour un coût total de 23,7 milliards d’euros, financés pour plus d’un tiers par l’État, essentiellement en faveur de l’habitat individuel [3]. Cependant, basées sur une nomenclature des travaux, les déclarations des ménages ne permettent pas de quantifier les réelles économies d’énergie ou la réduction des GES. La possibilité de juxtaposer ces dispositions et l’hétérogénéité de leurs modalités d’évaluation rendent difficile l’identification de leur apport tant au niveau local que national.
L’État a aussi réorienté une partie des aides directes aux propriétaires. Depuis les années 70, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) délivre aux propriétaires occupants modestes et aux propriétaires bailleurs des aides financières aux travaux. Pour démultiplier son action et l’adapter aux populations et aux territoires, cette agence distribue maintenant l’essentiel de son enveloppe financière dans le cadre d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) en partenariat avec des collectivités locales qui complètent les aides de droit commun nationales, élargissant le spectre des propriétaires occupants bénéficiaires. Depuis quelques années, l’amélioration thermique des logements s’ajoute à des objectifs historiques de résorption d’habitat insalubre, de renouvellement urbain, de revitalisation rurale ou de réduction de la vacance locative. Depuis 2002, illustrant cette tendance, l’Anah s’est associée à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) pour lancer avec des collectivités locales une vingtaine d’OPATB (opérations programmées d’amélioration thermique et énergétique des bâtiments). Il s’agit d’élargir le financement public aux bâtiments tertiaires et de donner la priorité aux critères énergie et climat (les critères sociaux n’étant pas a priori pas pris en compte dans la sélection des collectivités locales bénéficiaires du financement d’État).
Retour d’expérience des OPATB de l’agglomération grenobloise [4]
Sélectionnées respectivement au début des années 2000 par l’Anah et l’ADEME, les villes de Grenoble et d’Echirolles ont chacune mené à terme en 2009 (respectivement 2010), une OPATB visant essentiellement des copropriétés des années 50 à 70. Pour tous les partenaires (Anah, ADEME, intercommunalité, conseil général et commune), il s’agissait de réduire la consommation d’énergie et les émissions de GES. Conformément à ses objectifs, l’ADEME entendait amorcer la demande de travaux conformes aux enjeux climatiques et favoriser la conversion des acteurs économiques du bâtiment.
Pour la ville de Grenoble, l’objectif était aussi d’atténuer la coupure urbaine entre les deux parties de la ville en requalifiant le périmètre des grands boulevards (amélioration énergétique en parallèle avec le ravalement des façades et la réalisation de la troisième ligne de tramway) et de positionner la ville parmi les pionnières de la lutte contre le changement climatique. En circonscrivant l’OPATB à ces « quartiers ouest », la ville d’Echirolles (deuxième commune de l’agglomération grenobloise), quant à elle, comblait opportunément les creux d’une politique participative de développement durable fort étoffée : isolés du centre d’Echirolles, les « quartiers ouest » bénéficiaient peu des équipements publics inhérents au nouveau centre-ville et les actions « bâtiments » menées dans la lignée de l’agenda 21 communal ne concernaient pas les bâtiments privés existants.
Au début de la phase opérationnelle, un large bouquet de travaux était proposé aux copropriétés. Mais des difficultés juridiques (impossibilité pour la copropriété d’imposer des travaux sur les parties privatives) et patrimoniales (hétérogénéité des temporalités et des capacités financières des copropriétaires) ont conduit plusieurs assemblées générales à repousser les travaux des parties privatives et à étaler sur plusieurs années les travaux des communs. Progressivement, l’opération s’est ainsi recentrée sur les travaux d’isolation par l’extérieur conjugués à un ravalement, que la ville de Grenoble a astucieusement rendu obligatoire sur une partie du périmètre des Grands Boulevards [5]. Les dépenses en accompagnement et aides aux travaux de l’ensemble des partenaires publics de l’OPATB se sont élevées à 40 % du montant des travaux.
Le succès de ces deux opérations a conforté la communauté d’agglomération, Grenoble Alpes Métropole, dans son intention de poursuivre cette dynamique en l’étendant à toutes les communes de l’agglomération. Le dispositif « campagne isolation », renommé « mur/mur », vise les copropriétés construites entre 1945 et 1975. L’enveloppe allouée de 2010 à 2013 comprend essentiellement les aides de droit commun, dont l’Anah délègue la distribution à la communauté d’agglomération, et des subventions sur fond propre de l’intercommunalité, éventuellement complétées par la commune. In fine, 150 des 2000 copropriétés éligibles bénéficieraient d’un financement substantiel pour des travaux d’isolation par l’extérieur.
La résurgence de la question sociale
La mise au point par Grenoble Alpes Métropole d’un accompagnement des copropriétés (conseil et aides financières aux travaux) a élevé au niveau des maires des questions d’équité sociale [6], liées à la sélection des copropriétés à aider. L’intercommunalité doit-elle privilégier l’efficacité carbone de l’investissement public ou bien les situations de précarité énergétique ?
Dans l’hypothèse d’une communication homogène sur le territoire sur les possibilités de financement OPATB, on peut supposer que les copropriétés les plus solvables soient les premières à adhérer au dispositif. Des faibles taux de subvention et la priorité accordée à la chronologie de la demande conduiraient vraisemblablement à affecter l’argent public aux ménages les plus favorisés. En poussant le raisonnement, la meilleure efficacité du dispositif consisterait à aider, modestement (de façon à faire basculer les votes lors des assemblées générales), les copropriétaires qui disposent de capacité d’investissement et ne restreignent pas leur consommation énergétique. On rejoint ici le constat établi par l’Insee sur le crédit d’impôt « développement durable » [7], qui bénéficie davantage aux ménages les plus aisés.
Ce risque d’inégalité sociale face à la rénovation énergétique n’a pas échappé aux élus de la métropole grenobloise. Face aux préoccupations des maires des communes les moins favorisées, le conseil communautaire s’est engagé à veiller à une répartition des aides communautaires proportionnelle au nombre de logements – ou de copropriétés – éligibles sur chaque commune [8]. Il a également prévu la possibilité de fixer, à la demande de la commune, des conditions sociales (du type « copropriétés dégradées ») ou territoriales (du type projet urbain) d’éligibilité afin d’encadrer les versements de subventions [9]. En outre, une commune pourra, avec l’accord de la Métro, mener « des actions de communications de proximité », par exemple, en privilégiant des copropriétés spécifiques. Enfin, précaution supplémentaire sur laquelle pourront s’appuyer les maires au moment des arbitrages entre copropriétés, la campagne isolation est rattachée non seulement à la lutte contre le changement climatique du Plan climat local mais aussi à la lutte contre la précarité énergétique dans le cadre de Plan local de l’habitat.
Conclusion
Contrairement au consensus initial du Grenelle de l’environnement, aucune des deux lois n’a fixé d’obligation de rénover les logements. Il est probable que plusieurs années s’écoulent avant que la rénovation ne devienne obligatoire, a fortiori pour les copropriétés. D’ici là, seules des dispositions incitatives contribueront à atteindre les objectifs en terme de logements rénovés.
Par ailleurs, l’efficacité de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ne coïncide pas avec celle de la lutte contre la précarité énergétique. Lorsqu’il n’est pas soumis à des conditions de ressources, le financement public redistribue davantage de richesses aux plus aisés. Qui plus est, le rendement de l’argent public en termes de réduction de GES est nettement plus élevé lorsqu’il est attribué à des populations aisées. Jusqu’à maintenant, les rénovations touchant un large éventail de catégories sociales ont été effectuées dans le cadre d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat. L’observation de l’agglomération grenobloise permet de souligner combien les collectivités locales y jouent un rôle majeur, tant dans le financement que dans la définition du programme d’actions, l’accompagnement et le ciblage des populations bénéficiaires.
Il demeure beaucoup d’incertitudes et, sans doute, de débats à mener à différentes échelles territoriales. Le retour d’expériences s’avère particulièrement long dans le secteur du bâtiment. L’information est dispersée entre les différents dispositifs de soutien à la rénovation énergétique. Les sommes en jeu étant considérables (plusieurs centaines de milliards d’euros), les incidences sociales de la politique de rénovation énergétique des bâtiments à venir, quelle que soit sa forme, pourraient avoir des effets importants sur la transformation des villes et l’inclusion/exclusion des populations. C’est bien selon plusieurs échelles de temps qu’il convient d’observer les impacts du financement de cette politique et, progressivement, de définir les modalités de l’obligation de rénover.